Depuis de nombreuses années, nous constatons une augmentation croissante de la prévalence de l’obésité dans les pays industrialisés et, parallèlement, de l’incidence des maladies cardiovasculaires. L’obésité est un facteur de risque majeur de développer une résistance à l’insuline et secondairement un diabète de type 2. Cet état d’insulinorésistance est corrélé avec une accumulation ectopique de lipides, entre autres au niveau du foie, et peut donc favoriser le développement d’une stéatose hépatique non alcoolique (NAFLD). Cette dernière est également un prédicteur indépendant de maladies cardiovasculaires. La NAFLD est définie par une stéatose qui n’est pas secondaire à un excès d’alcool, une étiologie virale ou auto-immune, ou un excès de fer. Etant donné qu’aucun traitement pharmacologique spécifique n’existe actuellement pour la NAFLD et que cette atteinte hépatique est retrouvée jusque chez 90 % des patients obèses et 60 % des diabétiques de type 2, la perte de poids représente un pilier du traitement, de même que l’activité physique.1,2
Dans la littérature, le développement du syndrome métabolique a été associé avec les diètes riches en glucides. Ainsi, de multiples régimes proposent une restriction en hydrates de carbone afin de perdre du poids. L’un des plus connus est le régime Atkins3 qui, depuis la parution du livre dans les années 1970, a rendu populaires les régimes pauvres en hydrates de carbone, dits « cétogènes ». En pratique, ces diètes sont caractérisées par une réduction importante des hydrates de carbone (généralement moins de 50 g par jour) et une augmentation relative des proportions de graisses et protéines. Certaines variations encore plus restrictives sont pratiquées, avec jusqu’à moins de 20 g d’hydrates de carbone par jour (tableau 1). Après plusieurs jours de régime, les réserves de glucose (c’est-à-dire les stocks de glycogène dans le foie et le muscle squelettique) deviennent insuffisantes. Dès lors, le substrat énergétique principal est fourni par la dégradation des acides gras et la production de corps cétoniques. On parle ainsi de cétose.
L’utilisation des diètes cétogènes est reconnue pour le traitement de l’épilepsie depuis de nombreuses années, mais son impact sur les facteurs de risque cardiovasculaire (FRCV) est encore sujet à controverses.
Le but de cet article est donc de résumer les effets des diètes cétogènes sur les différents FRCV au travers de la littérature récente.
De nombreuses études et méta-analyses ont été publiées et ces diètes pauvres en glucides semblent être une bonne alternative pour perdre du poids. Des diminutions de 5 à 14 kg du poids de base ont été décrites.4,5 Cette perte de poids serait surtout due à une diminution de la masse graisseuse plutôt que de la masse maigre. Cependant, les mécanismes de cette perte de poids ne sont pas clairement établis. Tout en étant isocaloriques, en raison d’un contenu plus riche en protéines et en graisses et d’une néoglucogenèse augmentée secondairement à la restriction de glucides alimentaires, ces diètes pourraient être plus coûteuses en énergie. D’autres auteurs ont avancé l’hypothèse d’une diminution de l’appétit secondaire à la cétose induite par la diète, d’une satiété plus vite atteinte avec une diète riche en protéines, ainsi que d’une diminution de la ghréline. Le point important est de savoir si la perte de poids se maintient sur la durée. Cette perte serait la plus importante au début du régime et tendrait à se maintenir au moins jusqu’à un an, mais avec une légère reprise de poids. Il serait donc intéressant de connaître l’évolution du poids après plusieurs années.
Il n’existe actuellement que peu de données sur l’effet hépatique des diètes cétogènes chez l’humain. Certaines études ont montré un effet positif avec une diminution de la stéatose hépatique, mais sans différence significative à court terme. D’autres ont montré une augmentation du contenu graisseux hépatique, ce qui irait dans le sens des études effectuées en recherche fondamentale. En effet, chez le rongeur, les diètes cétogènes ont été décrites comme induisant une inflammation hépatique et augmentant l’accumulation lipidique au niveau hépatique, ce qui induit une résistance à l’insuline.6,7
Chez les patients obèses non diabétiques, suivre une diète cétogène induit une amélioration de la sensibilité à l’insuline et une diminution du glucose à jeun dans la majorité des études. A nouveau, l’effet semble ne pas se poursuivre à long terme. Cependant, chez le sujet sain, une diète riche en graisse et pauvre en hydrates de carbone altère le métabolisme du glucose stimulé par l’insuline, 8 suggérant le développement d’une résistance à l’insuline.9
Les effets des diètes cétogènes chez les patients diabétiques de type 2 sont nombreux. Elles montrent une diminution des taux sanguins de glucose, de l’hémoglobine glyquée (HbA1c), de la variabilité glycémique (laquelle est associée à un mauvais pronostic cardiovasculaire), ainsi qu’une amélioration de la sensibilité à l’insuline. Ces effets ont été constatés parfois même sans perte pondérale. Certaines études ont également montré une diminution du nombre de médicaments antidiabétiques oraux et des besoins en insuline. Par ailleurs, chez des patients obèses connus pour un diabète de type 2, une forte corrélation inverse a été décrite entre la cétonémie et la production hépatique de glucose. Cela pourrait suggérer qu’un plus haut taux de cétones serait associé avec un meilleur profil glycémique chez ces patients. Cependant, le problème est que ces multiples effets positifs sur le contrôle glucométabolique semblent à nouveau limités dans le temps et ne perdurent pas après 1-2 ans. Le contenu de la diète cétogène est aussi important, comme en témoigne une étude qui a montré un risque accru de développer un diabète de type 2 avec des protéines et des graisses animales, alors que ce risque était diminué avec des protéines et des graisses d’origine végétale.
L’hypercholestérolémie est un facteur de risque majeur pour le développement de maladies cardiovasculaires. Etant donné que les diètes cétogènes contiennent généralement une grande proportion de graisses, il est nécessaire d’évaluer leur impact sur le profil lipidique. Les différentes études effectuées jusqu’à présent chez l’homme montrent que les diètes cétogènes sont associées à une diminution du cholestérol total, du LDL-cholestérol et des triglycérides, ainsi qu’à une augmentation du HDL-cholestérol. Comme pour les autres FRCV, la composition de la diète joue également un rôle crucial. En effet, les meilleurs résultats sur le profil lipidique ont été obtenus avec des diètes riches en graisses non saturées et pauvres en graisses saturées. Certaines études ont montré une augmentation du LDL-cholestérol avec des diètes composées presque entièrement de graisses saturées.10,11
Les études portant sur l’impact tensionnel des diètes cétogènes sont moins nombreuses. Néanmoins, ces diètes sembleraient associées à une diminution, non significative, de la tension artérielle tant systolique que diastolique. Une diminution du nombre ou de la posologie des médicaments hypotenseurs n’a cependant pas été décrite. Par ailleurs, les effets positifs n’ont pas été objectivés à moyen terme.
Contrairement à ce qui a été décrit chez les rongeurs, les diètes cétogènes semblent moins délétères chez l’humain. Certains effets positifs ont été décrits, mais ne sont pas tous statistiquement significatifs. Les tendances, tant positives que négatives, sont résumées dans la figure 1. Il est important de souligner l’importance de la composition de ces diètes pauvres en glucides. En effet, les différences de résultats entre les études réalisées peuvent en partie être expliquées par leur proportion en lipides et en protéines, ainsi que par le ratio de graisses saturées /non saturées. Devant ces nombreuses possibilités, il peut s’avérer difficile pour le médecin traitant de conseiller son patient quant au « meilleur » régime possible. Si une diète cétogène devait être prescrite, selon la littérature actuelle, il serait préférable de proposer une diète plutôt d’origine végétale, au vu de la diminution de la mortalité associée, qu’elle soit toutes causes confondues ou cardiovasculaire.12 Cependant, la persistance de ces bénéfices est un point crucial et elle semble malheureusement limitée dans le temps. Ce manque d’effet au long cours est possiblement expliqué par une faible adhérence à ce type de diètes à long terme.
Trois méta-analyses13-15 ont été publiées récemment sur ce sujet et leurs conclusions ne sont pas unanimes. Santos et coll.13 ont décrit que les diètes pauvres en glucides induisaient une diminution significative du poids, de l’index de masse corporelle, de la circonférence abdominale, de la tension artérielle systolique et diastolique, des triglycérides, du glucose à jeun et de l’HbA1c, une augmentation du HDL-cholestérol, mais pas de changement significatif du LDL-cholestérol. Les auteurs décrivent également un effet limité dans le temps. Bezerra Bueno et coll.14 ont comparé les effets des diètes pauvres en graisses aux diètes très pauvres en glucides après au minimum 12 mois de suivi. Les diètes cétogènes étaient seulement associées à une amélioration du poids, des triglycérides, du HDL-cholestérol et de la tension artérielle diastolique. Aucune amélioration significative n’a été objectivée pour les autres FRCV. De plus, parmi les rares études ayant prolongé le suivi à 24 mois, seule l’augmentation du HDL-cholestérol est restée significative. La dernière méta-analyse effectuée par Naude et coll.15 a été encore plus pessimiste et n’a conclu qu’à une légère, voire aucune amélioration, des FRCV, après deux ans de suivi. Ces résultats étaient applicables tant aux patients en surpoids qu’obèses, avec ou sans diabète de type 2. Finalement, les auteurs ont également conclu que l’adhérence stricte au régime avait diminué ou échoué au fil du temps dans la plupart des études.
Il est également important de garder à l’esprit que ces diètes cétogènes peuvent avoir des effets secondaires, comme mentionné précédemment dans cet article. Cependant, en cas de poursuite du régime au long cours, d’autres événements indésirables pourraient survenir. Par exemple, chez des enfants suivant des diètes cétogènes comme traitement de l’épilepsie, une augmentation des calculs rénaux, une ostéoporose et une altération de la croissance ont notamment été décrites.
En se basant sur la littérature actuelle, les diètes cétogènes semblent être associées à certaines améliorations des FRCV. Ces effets sont probablement limités dans le temps. De plus, en raison d’une proportion importante en graisses, ces diètes peuvent favoriser le développement de stéatose hépatique, voire d’une résistance à l’insuline. Néanmoins, comme la plupart des patients chez qui ces diètes pourraient être prescrites sont en surpoids ou obèses, même une réduction modérée du poids pourrait être bénéfique sur le plan métabolique. Il est cependant important de maintenir cette perte de poids à long terme, nécessitant un encadrement par des professionnels de la santé, ce qui peut être un facteur limitant. Des études évaluant l’effet à moyen et long terme (≥ 24 mois) sont nécessaires. De plus, il serait important de définir quelle composition en macronutriments est la plus optimale.
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.
▪ Les diètes pauvres en glucides et riches en graisses et protéines sont appelées diètes cétogènes
▪ Leurs compositions peuvent fortement varier, notamment la proportion de lipides et de protéines, mais aussi le ratio graisses saturées /non saturées
▪ Elles pourraient être associées à une amélioration de certains facteurs de risque cardiovasculaire, mais cela reste controversé. Ces effets positifs sont cependant limités dans le temps
▪ Certains effets secondaires existent, comme le risque de développer une stéatose hépatique non alcoolique ou une résistance à l’insuline
▪ Dès lors, ce type de diète ne devrait être prescrit que sous supervision par des professionnels