Longtemps elle fut classée, par exclusion, dans le cadre indéterminé des hépatites dites « non A, non B ». Puis son importance fut révélée lorsque sa transmissibilité par voie féco-orale fut démontrée au début des années 1980, puis lorsque son pathogène fut cloné et séquencé, en 1990. On sait aujourd’hui que l’hépatite E est la première cause d’hépatite virale aiguë dans le monde – avec plus de 20 millions de cas et 70 000 décès prématurés par an. « Le développement de tests sérologiques a permis d’établir que près du tiers de la population mondiale avait été infecté par le virus de l’hépatite E (VHE) ce qui montre que l’hépatite E n’est pas une maladie émergente mais une maladie de connaissance récente » a souligné Yves Buisson, membre de l’Académie nationale française de médecine (4e division Médecine tropicale – Microbiologie – Vaccins) lors d’une récente séance consacrée à cette pathologie – une séance au cours de laquelle ce spécialiste s’est interrogé sur les raisons pour lesquelles la vaccination contre cette infection n’est toujours pas proposée (du moins en dehors de la Chine).
Le VHE est un virus à ARN ; un seul sérotype mais quatre génotypes. Les VHE de génotypes 1 et 2 sont humains et prédominent dans les pays en développement où ils causent d’importantes « épidémies hydriques ». Les VHE de génotypes 3 et 4 sont zoonotiques et transmis de façon sporadique (dans les pays développés) par des aliments d’origine animale (porcins, cervidés) contaminés. « L’infection par le VHE provoque une hépatite spontanément résolutive en 3 à 6 semaines, mais elle peut évoluer vers une forme fulminante chez les nourrissons, les patients atteints de maladie chronique du foie, et surtout chez les femmes enceintes, rappelle Yves Buisson. Dans les pays développés, le génotype 3 est à l’origine d’hépatites chroniques sur terrain immunodéprimé ainsi que d’atteintes extra-hépatiques. »
Dans les régions endémiques, la prévention des infections par le VHE repose surtout sur des mesures d’hygiène fécale et d’assainissement dont l’application est souvent difficile à mettre en œuvre dans les pays en développement – et tout particulièrement dans les camps de réfugiés. Dans les pays développés, la prévention est limitée par l’importance et la diversité du réservoir animal. Autant d’arguments de nature à justifier la nécessité d’une prophylaxie vaccinale de l’hépatite E.
Autant d’arguments de nature à justifier la nécessité d’une prophylaxie vaccinale de l’hépatite E
L’infection par le VHE protège contre les réinfections – mais cette immunité est incomplète et de faible durée. Après une période d’incubation de 2 à 6 semaines, la réponse immunitaire se manifeste par une brève élévation des anticorps de classe IgM suivie par celle, plus durable, des anticorps de classe IgG. Il est aujourd’hui acquis qu’une immunité protectrice anti-VHE peut être induite par la vaccination en suscitant une réponse anticorps dirigée contre les épitopes de la protéine de capsides communs aux quatre génotypes – et ce à condition d’obtenir des titres plus élevés et plus durables que ceux observés après une infection naturelle. De nombreuses tentatives ont été faites pour obtenir un vaccin capable de conférer ou de renforcer durablement l’immunité contre le VHE, utilisant des protéines recombinantes, dérivées du gène de la capside. La communication d’Yves Buisson devant l’Académie nationale française de médecine a permis de faire un point très documenté sur les deux candidats vaccins qui ont été évalués avec succès dans les essais de phase II / III : le rHEV qui n’a pas eu de développement commercial, et le HEV 239 exprimé dans E. coli, mis sur le marché en Chine en 2012 sous l’appellation Hecolin pour une utilisation chez l’adulte.
Le vaccin rHEV a été développé aux Etats-Unis par le Walter Reed Army Institute of Research, puis par GlaxoSmithKline sous licence Genelabs. Il est constitué d’une protéine tronquée de 56 kDa provenant d’une souche pakistanaise de VHE génotype 1, exprimée en cellules d’insectes par un baculovirus recombinant. Son efficacité ayant été prouvée chez le singe cynomolgus, un essai de phase II randomisé, en double aveugle, contrôlé par placebo, a été réalisé au Népal chez de jeunes militaires en bonne santé, anti-VHE négatifs, âgés de 25 ans en moyenne. Au total, 1794 sujets ont reçu trois doses de 20 µg de vaccin ou de placebo à 0, 1 et 6 mois, et ont été suivis pendant une durée moyenne de 804 jours. La tolérance a été satisfaisante. Soixante-neuf cas d’hépatite E ont été observés, dont 66 dans le groupe placebo, soit un taux d’efficacité clinique de 95,5 %. Pour autant, ce vaccin n’a pas (encore) fait l’objet d’un développement commercial.
Le vaccin recombinant HEV 239, développé en Chine par Xiamen Innovax Biotech, est quant à lui constitué d’une protéine tronquée de 26 kDa provenant d’une souche chinoise de VHE génotype 1. Cette protéine est exprimée dans Escherichia coli, sous la forme d’homodimères aboutissant à des pseudo-particules virales de 23 nm de diamètre. Un essai de phase III à grande échelle, randomisé, en double aveugle, contrôlé par placebo, a été réalisé dans l’est de la Chine chez des adultes en bonne santé des deux sexes, âgés de 16 à 65 ans. Au total, 112 604 sujets ont reçu trois injections intramusculaires de 30 µg d’antigène VHE purifié ou de vaccin contre l’hépatite B en guise de placebo à 0, 1 et 6 mois, et ont été suivis pendant 19 mois. La tolérance a été satisfaisante. Après 12 mois, 15 cas d’hépatite E ont été observés dans le groupe placebo et aucun dans le groupe vacciné, portant le taux d’efficacité clinique à 100 %. Ce vaccin a ensuite été homologué par l’admnistration chinoise en décembre 2011. Depuis 2012, il est commercialisé en Chine où son utilisation est recommandée chez les personnes à risque de plus de 16 ans – en incluant les éleveurs, les manipulateurs de denrées alimentaires, les étudiants, les militaires, les femmes en âge de procréer et les voyageurs se rendant en zones d’endémie.
Ce vaccin n’est actuellement pas homologué hors de Chine. « Un grand nombre de questions restant sans réponse, concernant son immunogénicité, son efficacité, la durée de protection qu’il confère et son innocuité, souligne Yves Buisson. L’immunogénicité a été démontrée uniquement chez des adultes en bonne santé après 2 ou 3 doses de vaccin, mais n’a pas été évaluée chez les enfants, les personnes âgées ou exposées à un risque accru de forme grave, notamment en cas d’immunodépression ou d’hépatopathie chronique sous-jacente. La durée de protection post-vaccinale n’a pas encore été déterminée. » Selon lui, l’innocuité apparaît satisfaisante chez les adultes en bonne santé mais on manque toujours de données sur la sécurité du vaccin chez les femmes enceintes, les enfants, les personnes âgées, les immunodéprimés, les patients ayant reçu une greffe d’organe ou porteurs d’une affection chronique du foie.
« Qu’attendons-nous pour vacciner contre l’hépatite E ? » demande Yves Buisson. Selon lui, les principaux obstacles à la mise à disposition d’un vaccin efficace n’ont pas concerné le développement préclinique du vaccin, les progrès du génie génétique et de la biotechnologie permettant de mettre au point des vaccins recombinants très immunogènes et l’existence d’un seul sérotype de VHE autorisant la conception d’un vaccin pangénotypique. « C’est un enjeu de rentabilité qui s’est imposé au devenir des deux seuls candidats vaccins ayant atteint le stade des essais cliniques, précise-t-il. Le vaccin américain rHEV, malgré les résultats prometteurs de l’essai de phase II réalisé au Népal, n’a pas bénéficié d’un développement commercial en raison de sa probable incapacité à générer des revenus suffisants. A contrario, le vaccin chinois, ayant fait preuve de performances au moins équivalentes lors du vaste essai de phase III conduit en Chine, a été rapidement homologué dans ce pays où l’hépatite E est endémo-épidémique. »
L’identification récente des risques autochtones liés au VHE de génotype 3 dans les pays industrialisés suscitera-t-elle assez d’intérêt pour débloquer la situation et permettre l’organisation d’une prévention vaccinale au Nord comme au Sud ?