Après quelques atermoiements éthiques et d’inévitables pesanteurs administratives, tout est aujourd’hui en place : dans quelques semaines la France aura mis en place à l’échelon national le « dépistage prénatal non invasif » (DPNI) de la trisomie 21. Un décret vient d’être publié qui introduit le DPNI dans la liste des examens de diagnostic prénatal.1 C’était là un préalable indispensable à la prise en charge de cet examen par la collectivité via l’assurance maladie. Ces nouvelles dispositions viennent compléter un ensemble progressivement mis en place et qui assure un dépistage généralisé de cette malformation chromosomique chez les femmes enceintes.
En France, chaque femme enceinte est (ou doit être) informée (quel que soit son âge) de la possibilité de recourir au dépistage de la trisomie 21 fœtale. Cette aneuploïdie autosomique (définie par la présence, en partie ou en totalité, d’un 3e exemplaire du chromosome 21) est observée en moyenne lors de 27 grossesses sur 10 000 et sa fréquence augmente avec l’âge maternel. L’objectif officiel de ce dépistage « est de donner aux femmes enceintes ou aux couples le souhaitant une information sur le niveau de risque de T21 du fœtus afin de leur permettre de décider librement, après une information objective et éclairée, de la poursuite ou non de leur grossesse ».
Depuis 2009, ce dépistage est effectué selon trois procédures : le dépistage combiné du 1er trimestre, qui se fonde sur la mesure échographique de la clarté nucale et le dosage des marqueurs sériques ; le dépistage par les marqueurs sériques seuls au 2e trimestre de grossesse ; le dépistage séquentiel intégré, qui repose sur la mesure de la clarté nucale au 1er trimestre de grossesse et le dosage des marqueurs sériques du 2e trimestre.
Ce n’est que lorsque le niveau de risque estimé est supérieur ou égal à 1 / 250 qu’une confirmation diagnostique par caryotype fœtal est proposée. Elle nécessite alors un examen invasif (amniocentèse ou choriocentèse) que l’on sait être associé à un risque de perte fœtale.
Les tests ADN libre circulant de la T21 (ADNlcT21 ou DPNI) sont quant à eux fondés sur la recherche d’une surreprésentation éventuelle du nombre de copies du chromosome 21 dans l’ADN libre circulant dans le sang maternel (sans différenciation des fractions fœtales et maternelles). Contrairement à ce que laissent entendre certaines allégations publicitaires, ces nouveaux tests ne peuvent toutefois pas se substituer à l’ensemble des tests déjà mis en œuvre. En cas de résultat positif, le diagnostic doit en toute hypothèse être confirmé par l’établissement d’un caryotype fœtal.
Ces tests pourraient contribuer à améliorer les performances du dépistage de la T21 fœtale
Pour les autorités sanitaires françaises, ces tests représentent « une innovation technologique indéniable ». Ils pourraient notamment contribuer à améliorer les performances du dépistage de la T21 fœtale ; à diminuer le nombre de faux positifs, donc le nombre d’indications pour examen invasif à visée diagnostique et, par conséquent, le nombre de pertes fœtales associées à ces derniers ; à poser un diagnostic plus précocement et limiter les éventuelles interruptions médicales de grossesses tardives.
Les pouvoirs publics français étaient directement confrontés à une difficulté de taille : un nombre croissant de femmes enceintes pouvaient d’ores et déjà avoir accès à des tests ADNlcT21 – alors même que l’évaluation officielle de leur place dans le dépistage n’était pas terminée, que ces tests n’étaient pas inscrits dans la nomenclature des actes de biologie médicale et que tous les dispositifs ne disposaient pas du marquage CE. Les responsables sanitaires étaient parfaitement informés et l’Agence française de biomédecine étrangement assez peu réactive. « En France, des femmes bénéficieraient de ces tests alors que leur validation dans la stratégie de dépistage est en cours d’évaluation, que ces tests ne sont pas inscrits dans la nomenclature des actes de biologie médicale » pouvaiton déjà lire en 2015, dans un document officiel de la Haute Autorité de Santé.
« Le coût du test génétique DPNI est de 390 euros, faisaient valoir dernièrement certains laboratoires privés de biologie. Il n’est pas aujourd’hui remboursé par l’assurance maladie mais plusieurs mutuelles le prennent en charge totalement ou en partie. Nous vous invitons à contacter votre mutuelle pour plus de précision. » Une promotion directe était également faite par l’hôpital américain de Paris qui propose trois types de DPNI dont le « MaterniT21Plus » (800 euros). « Le test MaterniT21Plus permet de dépister les trois principales trisomies (21, 13 et 18) et les anomalies des chromosomes sexuels, explique cet établissement sur son site.2 Il s’est graduellement enrichi de la recherche des trisomies 16 et 22 ainsi que des principales microdélétions dépistables de manière non invasive avant la naissance. La plupart sont rares, certaines plus fréquentes, tel le syndrome de Di George (environ 1 / 2000). Sont actuellement disponibles les recherches de délétion 22q11 (syndrome de Di George), 5p (syndrome du cri du Chat), délétion 1p36, délétion 15q (syndromes d’Angelman et Prader-Willi), 11q (syndrome de Jacobsen), 8q (syndrome de Langer Giedon), 4p (syndrome de Wolf-Hirschorn). »
Il y a quelques jours l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) annonçait publiquement une « généralisation » du DPNI dans ses établissements.3 Et ce avant même que ces tests ne soient pris en charge par la Sécurité sociale. « L’AP-HP a souhaité proposer dans un premier temps aux patientes prises en charge dans l’ensemble de ses maternités (potentiellement 7000 patientes concernées) cette nouvelle approche de dépistage non invasif qui repose sur une analyse de l’ADN circulant dans le sang de la mère et qui permet de dépister, en plus de la trisomie 21, les trisomies 13 et 18, expliquait alors la direction générale du plus grand établissement hospitalier d’Europe. Ce test de dépistage non invasif est aujourd’hui prescrit en seconde intention et n’est pas remboursé par la Caisse nationale d’assurance maladie. L’AP-HP le propose toutefois gratuitement à ses patientes, grâce aux financements reçus dans le cadre de son inscription au référentiel des actes innovants hors nomenclature. »
A l’évidence, un dépistage à plusieurs vitesses se mettait progressivement en place en France. Comment justifier que des femmes enceintes s’adressant aux établissements hospitaliers autres que ceux de l’AP-HP (ou que l’hôpital américain de Paris) ne bénéficient pas des mêmes propositions ? In extremis, la situation va se régulariser. On attend encore les enseignements de l’avis et des recommandations que va formuler, sur ce sujet, la Haute Autorité française de Santé. A la demande du gouvernement, cette dernière a notamment travaillé sur les aspects médico-économiques liés à l’introduction d’un test ADNlcT21 dans la procédure de dépistage. Il s’agissait de prévoir « les impacts en termes de conséquences et de coût pour la collectivité », de se pencher sur les aspects « éthiques », les aspects « sociaux » et ce « afin de faire un état des lieux des préférences concernant l’introduction de ce test ».
C’est là un travail d’importance, au croisement du politique, de l’éthique et de l’économique. Il a été mené grâce à la participation de groupes d’experts multidisciplinaires : un groupe de travail composé de vingt-cinq membres et un groupe de lecture incluant soixante-seize membres.
(A suivre)