Apparue sur le marché il y a une dizaine d’années, la cigarette électronique est actuellement largement connue du public, les questions concernant son usage sont donc fréquentes lorsque le tabagisme est abordé en consultation médicale. Signalons d’emblée que nous pensons que le terme « cigarette électronique » devrait être abandonné au profit de « vaporette » ou « vapoteuse », notre premier choix se portant sur vaporette. La persistance de l’usage du terme « cigarette » génère en effet de la confusion, car elle n’a de cigarette que le nom, puisqu’elle ne contient pas de tabac ! D’ailleurs les Anglo-Saxons lui préfèrent maintenant des termes plus spécifiques, tels que ENDS (pour electronic nicotine delivery systems) et parlent même de vaping. Nous utiliserons donc aussi le verbe « vapoter » (à l’instar de l’édition 2015 du Petit Larousse !).
La vaporette est un dispositif muni d’une batterie, conçu pour produire un aérosol en chauffant un liquide composé de propylène-glycol, de glycérol, d’arômes et souvent de nicotine. En constante évolution, on distingue actuellement trois catégories de vaporettes : 1) les modèles de première génération, dont certains sont à usage unique, appelés aussi « cigalikes », de taille et d’aspect proches des cigarettes combustibles dont la batterie est faible et le liquide conditionné dans une cartouche ; ces modèles ne se vendent pratiquement plus ; 2) les modèles de deuxième génération, de plus grande taille, avec une batterie plus puissante et un réservoir pour le liquide et 3) les modèles de troisième génération, avec des batteries encore plus puissantes, où l’utilisateur peut combiner les différents composants.1 Les modèles de 2e et 3e générations permettent d’obtenir un apport en nicotine comparable à celui de la cigarette combustible et certains dispositifs de 3e génération sont aujourd’hui capables d’en reproduire la pharmacocinétique (figure 1).1,2 De récents modèles comportent même des options supplémentaires comme le contrôle automatique de la température. On trouve également des « cigares » et des « pipes » avec ce même système de distribution de nicotine.
Il est actuellement communément admis que l’usage de la vaporette à la place des cigarettes combustibles réduit considérablement l’exposition aux substances nocives de la fumée du tabac.3–5 Cet article vise à guider les professionnels de la santé dans la prise en charge des patients fumeurs en tenant compte de ce nouveau dispositif. Il n’aborde pas le rôle du vapotage chez les non-fumeurs, en particulier son éventuel effet sur l’initiation du tabagisme chez les jeunes.
En Suisse, l’usage de la cigarette électronique a rapidement progressé jusqu’en 2014, puis s’est stabilisé.6 L’enquête du monitorage suisse des addictions montre qu’en 2015, 14 % de la population âgée de 15 ans et plus avaient vapoté au moins une fois.6 Cet usage reste le plus souvent expérimental ou occasionnel puisque seuls 2 % avaient vapoté durant les 30 derniers jours et 0,3 % quotidiennement. Alors que les jeunes sont les plus nombreux à expérimenter le vapotage, l’usage quotidien est le plus répandu dans les catégories d’âge de 25-34 ans (0,4 %) et 55-64 ans (1 %). Le vapotage concerne plus particulièrement les fumeurs quotidiens : 38 % l’ont expérimenté au moins une fois, 7,8 % au cours des 30 derniers jours et 1,2 % quotidiennement. Parmi les ex-fumeurs, 0,3 % rapporte vapoter quotidiennement. L’utilisation de la cigarette électronique par des non-fumeurs est extrêmement faible puisque 4,9 % l’ont expérimentée, 0,4 % l’a utilisée au cours des 30 derniers jours et aucun ne rapporte un usage quotidien.6 La consommation de liquides avec nicotine est plus fréquente parmi les utilisateurs quotidiens que chez les personnes l’utilisant moins d’une fois par semaine. Les fumeurs quotidiens rapportent aussi consommer plus fréquemment des liquides avec nicotine que les non-fumeurs.6 Selon une enquête européenne, 77 % des utilisateurs rapportent utiliser une cigarette électronique avec nicotine.7
Il n’existe actuellement pas de réglementation spécifique concernant la cigarette électronique en Suisse. Le projet de nouvelle loi sur les produits du tabac prévoyant de donner un statut légal aux cigarettes électroniques avec nicotine en les assimilant aux produits du tabac a été rejeté par le parlement en 2016. Ce dispositif est donc actuellement considéré comme un produit de consommation courante, ce qui implique une interdiction de vente des liquides avec nicotine, ceux-ci ne pouvant être commercialisés que sous forme de produits du tabac ou pharmaceutiques. L’importation pour un usage personnel de liquides avec nicotine est cependant autorisée, avec un maximum de 150 ml.
Rappelons que les risques du tabagisme pour la santé sont dus à l’exposition aux substances présentes dans le tabac et aux produits de sa combustion. Parmi les 7000 substances de la fumée du tabac, plusieurs centaines sont reconnues comme toxiques, dont environ 70 cancérigènes.8 La nicotine est responsable de l’addiction mais ses effets sur les maladies liées au tabagisme sont très limités.9 Sans tabac ni combustion, l’aérosol produit par la vaporette ne contient que de faibles quantités de substances nocives ou potentiellement nocives.3 Vu les nombreux modèles existants, leur constante évolution et les divers modes d’utilisation, il est impossible de se prononcer de manière formelle sur la composition de l’aérosol inhalé. On y a détecté des substances toxiques, notamment des composés organiques volatils, du formaldéhyde, de l’acétaldéhyde, de l’acroléine et des nitrosamines mais à des concentrations cependant nettement inférieures (9 à 450 fois) à celles retrouvées dans la fumée de cigarette.10 Le formaldéhyde et l’acétaldéhyde proviennent de la dégradation du propylène-glycol et du glycérol sous l’effet de la chaleur. Leurs taux peuvent être très variables selon l’utilisation, avec des concentrations très faibles en cas d’usage standard à bas voltage, mais pouvant atteindre des valeurs similaires, voire supérieures, à celles de la fumée de cigarette avec un haut voltage, situation amenant à une surchauffe du liquide généralement désagréable et détectée par le consommateur.11,12 A noter aussi l’influence de l’arôme utilisé, une étude rapportant un niveau de toxicité de l’aérosol plus élevé pour l’arôme fraise que les autres arômes tels que tabac, menthol ou café.13 Peu de données existent sur le vapotage passif, une faible exposition à la nicotine ou à des traces d’autres substances est possible, mais à des quantités très largement inférieures à celles mesurées dans la fumée de cigarette.3,4
Le vapotage est généralement bien toléré. Les études prospectives à court ou moyen terme chez les vapoteurs rapportent quelques effets indésirables, tels qu’une irritation buccale et pharyngée, une toux ou des palpitations mais à une fréquence plus basse que chez les fumeurs de tabac. L’ingestion de liquides de remplissage, accidentelle par des enfants ou intentionnel à but suicidaire par des adultes peut causer une intoxication à la nicotine potentiellement grave, voire mortelle.14 Quelques cas de pneumonies lipidiques dues à l’ajout d’huile par les utilisateurs ou d’accidents suite à une explosion de la batterie ont été rapportés dans la littérature, possiblement en lien avec un mésusage du produit. Hormis ces situations, les effets indésirables sévères liés au vapotage sont rares et les risques pour la santé paraissent donc faibles.14,15 Cependant, on ne peut exclure des effets nocifs à long terme dus à l’usage répété et prolongé par inhalation ainsi qu’à des risques liés à la qualité ou à l’évolution du produit.
Sur la base de la composition de l’aérosol produit par la vaporette, il est actuellement admis que les risques liés à son usage sont nettement inférieurs à ceux du tabagisme. Une récente étude a analysé l’évolution de marqueurs biologiques urinaires chez des fumeurs ayant remplacé la cigarette combustible par la cigarette électronique. Alors que les métabolites de la nicotine sont restés inchangés, divers marqueurs de l’exposition à la fumée du tabac reconnus comme toxiques ou carcinogènes ont considérablement diminué déjà une semaine après le changement.16 Une étude rétrospective rapporte que des patients souffrant de BPCO utilisant la vaporette pour remplacer complètement ou partiellement leur consommation de tabac ont présenté moins d’épisodes d’exacerbation de leur maladie et des symptômes moins marqués que ceux ayant continué de fumer.17 Selon une autre étude, des patients hypertendus ayant réduit leur consommation de cigarettes en vapotant avaient un meilleur contrôle de leur tension artérielle.18
La méta-analyse de la revue du groupe Cochrane, publiée en 2016, se basant sur 2 essais cliniques avec des modèles de 1re génération fournissant une faible dose de nicotine, montre une augmentation du taux d’arrêt du tabac à 6 mois ou plus, par rapport à la cigarette électronique sans nicotine avec respectivement des taux d’abstinence de 9 % vs 4 % (RR : 2,29 ; IC 95 % : 1,05-4,96).5 Bien qu’ils soient significatifs, ces résultats sont considérés comme de faible qualité car les 2 études19,20 avaient une puissance insuffisante pour montrer un effet significatif. Dans cette même revue, la seule étude retenue comparant la vaporette à un substitut nicotinique ne rapporte pas de différence significative. Une revue récente suggère aussi une supériorité du vapotage avec nicotine par rapport à celui sans nicotine mais les résultats sont non significatifs.21 L’analyse des études de cohortes comparant les vapoteurs avec nicotine et les non-consommateurs ne rapporte pas de supériorité de l’usage de la vaporette, voire même une tendance à des taux d’abstinence plus faibles dans ce groupe. L’interprétation de ces résultats comporte cependant d’importantes limites méthodologiques.21 Deux de ces études rapportent des taux d’arrêt supérieurs chez les vapoteurs quotidiens, mais il n’est pas sûr que ces résultats soient liés à l’usage de la cigarette électronique, la motivation à l’arrêt dans ce groupe ayant pu jouer un rôle déterminant.22,23 A noter que dans une grande étude de cohorte chez des fumeurs tentant d’arrêter de fumer sans aide professionnelle, le taux d’abstinence du tabac était significativement supérieur chez les vapoteurs avec nicotine en comparaison des sujets utilisant des patchs de nicotine ou aucune aide pharmacologique.24 Des études sont en cours sur des modèles plus récents qui pourraient se révéler plus efficaces, en raison de leur pharmacocinétique avec un apport plus important et plus rapide en nicotine.25
La majorité des vapoteurs continuent à fumer des cigarettes combustibles. En Suisse, les fumeurs quotidiens sont les plus gros utilisateurs de cigarettes électroniques avec 1,2 % d’entre eux rapportant vapoter tous les jours.6 Il n’est pas clair si la consommation duale apporte des bénéfices en termes d’exposition aux substances toxiques de la fumée du tabac. Une étude rapporte qu’un usage dual avec une diminution d’au moins 50 % de la consommation de cigarettes combustibles en réduit l’exposition par rapport à la poursuite de la consommation habituelle de tabac.26 Une étude transversale ne trouve aucune différence significative en termes d’exposition à des substances présentes dans la fumée du tabac entre les consommateurs avec un usage dual à long terme et ceux fumant uniquement la cigarette.27 Un essai clinique sur 300 sujets non motivés à arrêter de fumer rapporte que 9 à 12 % des participants ont diminué leur consommation de tabac de plus de 50 % en vapotant.19 Malgré ces incertitudes, il est possible que le vapotage aide à réduire la consommation de tabac et renforce ainsi la confiance en soi pour un arrêt dans un deuxième temps, avec un effet similaire à celui des substituts nicotiniques.23
Selon une récente enquête, on estime que plus de six millions de fumeurs de l’Union européenne ont arrêté de fumer et plus de 9 millions réduit leur consommation de tabac grâce à la cigarette électronique.7 Certains pays ont constaté que l’augmentation du vapotage s’accompagnait d’une chute des ventes de cigarettes.28,29 Ceci ne permet pas d’affirmer un lien de causalité, mais il est plausible que le vapotage puisse participer au déclin de la consommation des cigarettes combustibles.1
Sur la base des connaissances actuelles et de directives internationales, nous proposons des recommandations concernant le vapotage pour des situations fréquentes en consultation médicale avec les fumeurs (tableau 1) et quelques réponses à des questions pratiques (tableau 2).13,4,30-32 L’intérêt pour ce nouveau produit dénote souvent d’une volonté de réduire les risques pour la santé liés au tabagisme ou d’un souhait d’arrêt de la consommation de tabac. Il s’agit donc d’une opportunité pour aborder le tabagisme, donner des informations sur le vapotage et proposer une démarche de soutien visant un arrêt du tabac, quelle que soit la méthode choisie par le patient. Le vapotage ne devrait donc pas être découragé, même si les traitements médicamenteux d’aide à l’arrêt du tabac reconnus efficaces, tels que les substituts nicotiniques, la varénicline et le bupropion sont à recommander en priorité. La cigarette électronique ne peut pas être prescrite comme un médicament, mais son utilisation peut être soutenue, particulièrement chez des patients n’ayant pas réussi à arrêter de fumer avec les traitements pharmacologiques reconnus pour l’arrêt du tabac ou refusant de les utiliser, tout en informant qu’il existe des incertitudes quant à ses effets secondaires à long terme et que son efficacité pour l’arrêt du tabac n’a pas été clairement démontrée. A noter que certains modèles récents permettent de reproduire une pharmacocinétique proche de celle de la cigarette avec pour conséquence un plus haut niveau de satisfaction mais aussi un risque plus élevé d’addiction à ce produit. En cas d’usage dual de la cigarette électronique et de cigarettes combustibles, il convient d’encourager le fumeur à atteindre un arrêt complet du tabac, avec les traitements d’aide à l’arrêt du tabac habituels ou la poursuite du vapotage en augmentant son usage ou la concentration de nicotine.
Il est actuellement admis que les risques liés au vapotage sont très largement inférieurs à ceux liés au tabagisme. Les études suggèrent que la cigarette électronique avec nicotine favorise l’arrêt du tabac. Le médecin ne devrait donc pas décourager les fumeurs ayant choisi son usage pour cesser, voire réduire leur tabagisme. Les différents traitements pharmacologiques reconnus efficaces pour l’arrêt du tabac sont à recommander en priorité. N’oublions toutefois pas que leur taux de réussite (pourcentage d’arrêt 6 à 12 mois après le début de l’intervention) est faible : 15 %, parfois 20 à 25 % en cas de bithérapie et de conseils personnalisés, rarement 30 % dans des populations très sélectionnées. Il est donc important de rester ouvert à cette approche moins conventionnelle. Quel médecin n’a par ailleurs pas entendu un de ses patients lui déclarer : « les patchs, les gommes, le bupropion, je n’en veux pas ! ». Et ceci souvent pour de multiples raisons : le refus de principe d’utiliser un médicament (vous savez, docteur, je n’aime pas les médicaments), une précédente utilisation qui s’est soldée par une rechute, etc. Si le vapotage est attractif pour certains de nos patients, ne fermons donc pas la porte, comme le recommandent d’ailleurs les autorités médicales britanniques et l’avait suggéré une étude suisse de consensus.33
La poursuite de la recherche sur le vapotage reste cependant une priorité afin de mieux définir ses effets sur la santé, son efficacité pour l’arrêt du tabac et son rôle dans la prévention du tabagisme. En attendant ces données, n’hésitez pas à dire à vos patients fumeurs que le vapotage est nettement moins dangereux que l’usage du tabac !
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.
▪ Il est actuellement communément admis que l’usage de la vaporette à la place des cigarettes combustibles réduit considérablement l’exposition aux substances nocives de la fumée du tabac
▪ Les différents traitements pharmacologiques reconnus efficaces pour l’arrêt du tabac, tels que les substituts nicotiniques, la varénicline et le bupropion sont à recommander en priorité
▪ Le vapotage pourrait aider à arrêter de fumer, le médecin ne devrait donc pas décourager les fumeurs ayant choisi cet usage pour cesser, voire réduire leur tabagisme
▪ L’usage dual est fréquent, il convient d’encourager ces fumeurs vapoteurs à atteindre un arrêt complet du tabac, avec les traitements d’aide à l’arrêt du tabac habituels ou la poursuite du vapotage en augmentant son usage ou la concentration de nicotine