Après de longs errements physiopathologiques, il est désormais bien établi que la bactérie Helicobacter pylori est la cause la plus fréquente d’ulcères peptiques, mais également de gastrites, adénocarcinomes et lymphomes gastriques de type MALT (Mucosa Associated Lymphoid Tissue). « L’efficacité de la trithérapie standard a diminué au cours de la dernière décennie, et différentes nouvelles combinaisons médicamenteuses sont apparues » pouvait-on lire récemment dans ces colonnes.1 Les auteurs citaient alors une étude comparant l’effectivité et la tolérance de ces nouvelles combinaisons au travers d’une revue systématique de littérature, associée à une méta-analyse en réseau qui permet des comparaisons directes et indirectes de l’ensemble des combinaisons. « La trithérapie standard de 7 jours demeure la moins efficace, résumaient-ils. L’efficacité est augmentée avec une durée du traitement de 10 à 14 jours. Le prolongement du traitement entraîne une moins bonne tolérance avec possibilité de douleurs abdominales / épigastriques, altération du goût, céphalées, vomissements, diarrhées. Malgré la qualité moindre et l’hétérogénéité de quelques-unes des études, cette revue de la littérature est importante afin de mieux éradiquer une infection dont plus de 50 % de la population mondiale sont porteurs. »
Ce travail vient d’être prolongé en France, où l’on estime officiellement « entre 15 et 30% » la proportion de la population contaminée par Helicobacter pylori. La Haute autorité française de santé (HAS) et le Conseil national professionnel d’hépato-gastroentérologie viennent ainsi de préciser les indications du diagnostic et les modalités de traitement des personnes adultes infectées.2 Ce travail fait suite à une observation pour le moins embarrassante : « les recommandations sur le diagnostic et la prise en charge des patients infectés sont parfois mal connues ou appliquées ». « De plus, du fait de la progression de l’antibiorésistance, les recommandations de recours aux traitements évoluent régulièrement » ajoutent les auteurs de ce travail.
Helicobacter pylori : découverte en 1875 en Allemagne puis redécouverte un siècle plus tard en Australie, cette bactérie hélicoïdale a la propriété de pouvoir vivre et se développer dans l’environnement particulièrement acide de l’estomac humain. Initialement dénommée Campylobacter pyloridis, puis Campylobacter pylori, elle fut ensuite rangée dans le genre Helicobacter après le séquençage de son ADN ; associée à pylori du latin pylorus (gardien de l’ouverture) qui fait référence à l’ouverture de l’estomac sur le duodénum. Ajoutons qu’Helicobacter pylori reste la seule espèce bactérienne connue, capable de coloniser l’estomac humain.
« Ce bacille colonise exclusivement la muqueuse gastrique, rappelle la HAS. La contamination se fait dans l’enfance, essentiellement dans les cinq premières années de vie. En France, la prévalence est de l’ordre de 15 à 30%. Elle est plus faible chez les moins de 30 ans (moins d’une personne sur cinq), plus répandue après l’âge de 50-60 ans (environ une personne sur deux). Elle est élevée chez les personnes provenant des régions de forte endémie – Maghreb, Afrique, Asie – (80 %). On estime que 6 à 10 % des malades infectés développeront un ulcère et 1 % développera un adénocarcinome gastrique après plusieurs décennies. »
Helicobacter pylori reste la seule espèce bact érienne connue, capable de coloniser léestomac humain
Ainsi donc, en dépit des activités de formation médicale continue, on observe aujourd’hui en France que les pratiques médicales peuvent différer des recommandations. Certaines indications de recherche d’une infection à Helicobacter pylori sont insuffisamment connues (notamment les antécédents familiaux de cancer gastrique), assure la HAS. Il arrive également que les méthodes diagnostiques soient mal utilisées, comme la sérologie utilisée à tort pour contrôler l’efficacité du traitement. De même, au chapitre thérapeutique, la trithérapie est encore parfois prescrite sans évaluation préalable de la sensibilité bactérienne aux antibiotiques – et les mêmes antibiotiques réutilisés après un premier échec du traitement. Enfin, le contrôle de l’efficacité du traitement (test à l’urée marquée) n’est pas systématique.
Il faut aussi désormais impérativement tenir compte du contexte général : le traitement d’éradication de la bactérie, fondé sur l’antibiothérapie, a évolué ces dernières années du fait de la progression de l’antibiorésistance (résistance à la clarithromycine en particulier). En pratique, la recherche d’une infection à Helicobacter pylori est préconisée face à un ulcère gastrique ou duodénal (ulcère actif ou antécédent d’ulcère) mais aussi en cas de dyspepsie chronique (sans lésion visible à la gastroscopie). Elle l’est aussi s’il y a une anémie par carence en fer ou une carence en vitamine B12 sans cause retrouvée, de même que face à un purpura thrombopénique immunologique ou à un lymphome gastrique de type MALT. D’autre part, en cas de prise d’aspirine ou d’AINS chez un patient ayant un antécédent d’ulcère, la recherche et le traitement de l’infection permettent de prévenir les récidives. La recherche d’une infection est également indiquée en présence de facteurs de risque de cancer de l’estomac (notamment chez les apparentés au premier degré à un patient ayant eu un cancer de l’estomac). Enfin, elle est recommandée avant une chirurgie de l’obésité de type bypass.
La recherche d’une infection à H. pylori repose sur deux piliers diagnostiques : une sérologie chez les patients ne présentant pas de symptôme digestif, suivie d’une gastroscopie avec biopsies si la sérologie s’avère positive ; ou une gastroscopie avec biopsies en première intention chez les patients avec des symptômes orientant vers une pathologie digestive haute, les patients avec des facteurs de risque de cancer gastrique, en cas de lymphome gastrique du MALT – ou avant une chirurgie bariatrique. La gastroscopie avec biopsies permet en effet non seulement de rechercher une infection à Helicobacter pylori mais aussi de détecter des lésions précancéreuses lors de l’examen anatomopathologique. Elle permet également de réaliser un examen bactériologique évaluant la sensibilité des bactéries aux différents antibiotiques.
Il s’agit, ensuite, de mettre en place un traitement « guidé ». « Le traitement n’est pas urgent ; il doit être différé chez la femme enceinte ou allaitante, précisent les auteurs des recommandations. Il doit être si possible guidé en fonction de la sensibilité de la bactérie aux antibiotiques, notamment à la clarithromycine. Dans ce cas, il est possible de traiter le patient efficacement par « trithérapie guidée » pendant 10 jours. L’efficacité du traitement doit être systématiquement contrôlée par un test à l’urée marquée car aucun antibiotique n’est efficace à 100%. »
Si l’évaluation de la sensibilité de la bactérie aux antibiotiques n’a pas pu être réalisée, le traitement devient alors de type « probabiliste ». Pour la HAS, il est aujourd’hui nécessaire de recourir à des quadrithérapies associant un inhibiteur de la pompe à protons (IPP) et trois antibiotiques pendant 10 à 14 jours. Deux types de quadrithérapie existent, l’une dite « concomitante » sur 14 jours (IPP, amoxicilline, clarithromycine, métronidazole) et l’autre « avec bismuth » sur 10 jours (IPP, sel de bismuth, tétracycline, métronidazole). La quadrithérapie « avec bismuth » est à privilégier en cas de prise antérieure de macrolides ou d’allergie à l’amoxicilline. Là encore, un test de contrôle à l’urée marquée est recommandé. Quant aux anciennes modalités de traitement « probabiliste » (trithérapie de 7 jours associant un IPP et deux antibiotiques) il faut tirer un trait sur elles : elles ne sont plus efficaces face à l’augmentation des antibiorésistances.
Enfin, la HAS souligne, point essentiel, que le succès du traitement repose sur l’information du patient, son adhésion au traitement et la prise de celui-ci jusqu’à son terme. Des recommandations qui, on le sait, dépassent de loin les seules pathologies induites par Helicobacter pylori.