La procédure médicale la plus connue, qui est aussi la plus classique, peut-être la plus recommandée depuis la nuit des temps, est bel et bien d’enrayer au moins les principaux symptômes que l’on peut recueillir au chevet d’un malade, en essayant de les faire tenir ensemble par un diagnostic. Ce diagnostic peut bien sûr être provisoire, donc modifiable tout au long d’une observation clinique, d’un suivi avec un patient donné.
Cependant, il est indiscutable que le recours à une étiquette susceptible de laisser entrevoir une cohérence thérapeutique appropriée représente à la fois une bouée de sauvetage pour le médecin et une tentative préalable de pouvoir coordonner des signes cliniques qui, pris séparément, peuvent engendrer un certain désarroi, ou au moins une perplexité. D’autant plus que tout diagnostic, voire une ébauche de diagnostic, implique d’emblée une perspective de pronostic.
Tout diagnostic implique d’emblée une perspective de pronostic
Ce qui est en jeu, notamment, c’est d’entrevoir aussi une structure clinique qui s’assure un degré donné d’objectivité, en échappant peut-être par là à une interférence possible d’éléments suspects, en tout état de cause à une subjectivité sous-jacente impactée à son tour par des réactions émotionnelles du moment, voire de l’entourage.
Ici, on peut faire allusion, pourquoi pas, à des notions spécifiques d’une prise de position davantage psychanalytique, qui est certes inhabituelle en médecine générale, comme d’autre part dans le domaine de la psychiatrie elle-même : les notions respectives de transfert et de contre-transfert. Dans un contexte proprement psychanalytique, la notion de transfert recouvre l’idée que le patient en question essaie d’investir son thérapeute d’émotions semblables à celles qu’autrefois il a éprouvées à l’égard de son propre père, de ses parents en général. Nous devrions ainsi postuler que tout patient pourrait effectivement se laisser prendre par des élans émotionnels pour son soignant aptes à affecter le rapport thérapeutique. Alors que la notion de contre-transfert concerne le thérapeute lui-même qui, pour une raison ou une autre, finirait par exemple par éprouver à l’égard de son patient une sympathie frôlant l’angoisse, la peur de ne pas le soigner comme il faut. Ou au contraire, éprouver, souvent sans très bien comprendre pourquoi, de l’antipathie, voire de l’agacement à l’encontre du malade, ou d’un patient donné. Si jamais le thérapeute pouvait ou voulait prendre en compte ce genre de réaction émotionnelle, de part et d’autre cela pourrait éventuellement aider la suite de la cure, tout en devant reconnaître que, plus que de se limiter à un tableau clinique le plus objectif possible, on laissera interférer ici des facteurs de marque nettement subjective et émotionnelle.
Toujours est-il qu’un besoin, pour ne pas dire une impulsion ou une tendance, si justifiable et compréhensible soit-elle, d’avoir recours le plus rapidement possible à un encadrement diagnostique des différents symptômes pourrait non seulement cacher des surprises, mais aussi faire dévier les perspectives thérapeutiques dans une fausse direction. Etant donné également qu’à côté des symptômes parfaitement évidents, on pourrait invoquer l’existence, encore plus que douteuse, d’autres symptômes présumés virtuels qui, de quelque façon, contribueraient à compléter convenablement ledit diagnostic.
Pour nous répéter quelque peu : si donc la tendance, de la part du médecin, est de vouloir s’abriter derrière un diagnostic apte à expliquer le déclenchement de l’affection en cause autant que sa possible évolution, on devrait surseoir autant que faire se peut à cette hâte d’encadrer à tout prix dans un diagnostic au fond rassurant l’observation clinique telle quelle. Le fait de pouvoir éventuellement laisser la porte ouverte à plusieurs hypothèses, même parfois contradictoires, non seulement pourrait permettre de mieux comprendre l’ensemble du tableau clinique, mais aussi fournirait des prérogatives, des nuances d’une maladie donnée davantage liées à la personnalité du patient autant qu’à la réalité de sa propre histoire de vie. N’étant donc pas exclu que toute une série d’événements à travers lesquels un patient est vraiment passé puissent expliquer, ne serait-ce qu’en partie, le déclenchement de sa maladie.