L’accident vasculaire cérébral (AVC) est le plus souvent ischémique (80 %) et habituellement d’origine cardio-embolique, athérosclérotique ou micro-angiopathique dans 55 % des cas. Dans plus d’un tiers des cas, l’origine reste indéterminée et les causes plus rares comprennent les dissections ainsi que les foramens ovales perméables. L’AVC est la cause la plus fréquente de handicap durable chez l’adulte dans les pays industrialisés et la troisième cause de mortalité en Suisse. On compte 16 000 AVC par an en Suisse, ce qui correspond à un AVC toutes les deux heures. 25 % des patients décèdent et 40 % des patients n’auront pas de séquelle apparente. Les accidents ischémiques transitoires (AIT) sont estimés à 5000 par an et constituent une urgence médicale pour la prise en charge des facteurs de risque et la prévention des récidives. Une optimisation de la prise en charge permet de diminuer ces conséquences néfastes de manière significative.
La prise en charge d’un patient présentant un AVC aigu vise à minimiser le volume d’infarcissement cérébral et à maximiser la récupération fonctionnelle. La première étape (figure 1) correspond à la reconnaissance des symptômes par le patient et son entourage, motivant de nombreuses campagnes de sensibilisation. La fondation suisse de cardiologie a soutenu en 2016 et 2017 la diffusion de spots télévisuels, de campagnes sur internet et la tenue de conférences publiques.1 Une enquête téléphonique récente en Suisse a montré que 40 % des personnes interrogées étaient incapables de nommer un symptôme d’AVC et que 35 % ne connaissaient pas le 144. Le travail d’information n’est donc pas terminé. La deuxième étape dépend de la reconnaissance par la centrale d’appels sanitaires urgents des mots-clés évoquant un AVC et conduisant à dépêcher les moyens de secours adéquats. Ces derniers peuvent confirmer la suspicion d’AVC, identifier au plus vite les candidats à un traitement aigu et activer rapidement la filière dédiée. A l’arrivée aux urgences, le parcours du patient doit être balisé, avec une évaluation très rapide par une équipe multidisciplinaire, et une imagerie cérébrale précoce permettant de confirmer l’indication aux traitements aigus. L’efficacité de ces différentes étapes doit constamment être évaluée pour garantir la qualité de prise en charge.
La prise en charge d’un AVC ischémique aigu est basée sur le principe de revascularisation et son efficacité diminue rapidement avec le temps (figure 2). Si la thrombolyse intraveineuse (TIV) a été autorisée en Suisse en 2002 dans les 3 heures suivant le début des symptômes, cette fenêtre est actuellement de 4h30.2 Outre le délai, les critères d’indication de TIV sont basés sur la sévérité de l’atteinte neurologique, évaluée par le score NIHSS (National Institute of Health Stroke Scale). Les contre-indications dépendent des comorbidités et du degré d’autonomie préalable, le patient devant habituellement être indépendant à domicile avec ou sans moyen auxiliaire à la marche (score de Rankin ≤ 3).3,4 Une publication récente nuance ce critère en démontrant un bénéfice chez les patients présentant un degré de dépendance plus important.5
Le traitement endovasculaire (TEV) par technique de stent retriever (déploiement d’un stent au sein du thrombus puis retrait du stent entraînant le thrombus avec lui) est devenu le traitement de choix des AVC avec occlusion d’une artère cérébrale proximale de la circulation carotidienne, la circulation vertébro-basilaire n’ayant pas été aussi bien étudiée. Chez des patients bien sélectionnés, ce traitement est très efficace, bien que son efficacité diminue également avec le temps6 (figure 3). Le TEV doit être effectué dans un centre de référence (stroke center), dans une fenêtre maximale de 7 heures depuis le début des symptômes. Les résultats de l’étude DAWN, récemment présentés, vont permettre, sur la base de critères du CT de perfusion, d’accroître le délai de traitement jusqu’à 24 heures en cas de déficit neurologique significatif, d’occlusion proximale de la circulation carotidienne et de critères radiologiques comprenant le CT de perfusion. Ceci permettra d’offrir le TEV aux patients présentant un AVC découvert au réveil, et à ceux préalablement autonomes (Rankin ≤ 2) admis dans les 24 heures après un AVC dans un centre ayant les compétences médico-techniques adéquates.
Les « stroke units » (unités cérébrovasculaires) ont démontré depuis 20 ans leur supériorité dans la prise en charge des patients AVC par rapport à des unités de médecine interne ou de neurologie.7 Plus récemment, une étude australienne a confirmé que la probabilité de survie après AVC doublait et que la qualité de vie augmentait nettement en cas d’admission en « stroke unit ».8 Ces bénéfices imputables à la « stroke unit » se rajoutent à l’effet des autres traitements (TIV/TEV/antiplaquettaires) ce qui en fait un traitement de référence dans l’AVC. En « stroke unit », la prise en charge des pathologies neurovasculaires est clairement définie par des protocoles internes, disponibles pour tous. Le personnel soignant bénéficie de formations régulières et spécifiques. Tous les patients admis en « stroke unit » ont des évaluations régulières et standardisées de la déglutition et des déficits neurologiques. Un soin particulier est accordé à la mobilisation des patients qui bénéficient de rééducation précoce comprenant physiothérapie, ergothérapie, logopédie et neuropsychologie. Des neuro-rééducateurs participent aux colloques multidisciplinaires qui orientent la rééducation et abordent des problèmes pratiques comme la conduite d’un véhicule à moteur et la reprise du travail. Des compétences électroencéphalographiques et échographiques axées sur l’examen des vaisseaux précérébraux (neurosonologie) permettent de compléter la prise en charge et les patients ayant souffert d’un AVC sont si possible revus à trois mois pour vérifier qu’ils sont sous prévention secondaire optimale.
Ces compétences restent malheureusement largement sous-utilisées en Suisse et de nombreux patients souffrant d’AVC sont hospitalisés dans des unités non spécialisées. En 2011, l’organe de décision de la médecine hautement spécialisée (instance intercantonale) a déclaré que la prise en charge des patients souffrant d’AVC était de son ressort. Cette décision a conduit à la création de réseaux de « stroke units » et de « stroke centers » accrédités par la Swiss Federation of Clinical Neuro-Societies, dont la distribution géographique est décrite dans la figure 4. La Suisse romande compte deux « stroke centers » (CHUV et HUG) et quatre « stroke units » à Nyon, Sion, Fribourg et Neuchâtel.
Situé à 45 km du CHUV et desservant un bassin de population de près de 80 000 habitants, l’hôpital de Nyon s’est doté d’une « stroke unit » en septembre 2015 afin de prendre en charge au mieux les AVC dans une structure transversale qui suit le patient tout au long de sa trajectoire de prise en charge. Dans le canton de Vaud, la suspicion d’un AVC par la centrale d’appels urgents entraîne une médicalisation de la prise en charge au domicile, afin de confirmer la suspicion, d’évaluer le degré d’autonomie du patient et de poser l’indication éventuelle à une thrombolyse. Pour la région de Nyon, c’est l’équipe du SMUR, composée d’un médecin et d’un infirmier des urgences de l’hôpital, qui est dépêchée, facilitant ainsi le déclenchement de la filière thrombolyse, l’équipe connaissant bien la structure et ses acteurs. Afin de ne pas perdre de temps dans la prise en charge, les ambulanciers peuvent également activer directement la filière, si une médicalisation primaire n’a pas été engagée par la centrale. Là aussi, la connaissance des différents acteurs (une compagnie principale d’ambulances d’urgence dans la région) facilite la formation et la communication. Le déclenchement de la filière induit une conférence téléphonique réunissant l’infirmier trieur des urgences, le technicien de radiologie, le médecin des urgences et le neurologue vasculaire. Dès l’admission du patient, ces différents acteurs, en collaboration avec l’équipe médico-infirmière des urgences, décident sur la base de leur évaluation de la suite de la prise en charge, selon des protocoles connus de tous, notamment pour l’indication à la TIV. Des simulations régulières de situations réelles complexes sont organisées aux urgences pour les équipes préhospitalières et hospitalières, afin d’améliorer les performances collectives.
Pour les patients présentant une occlusion d’une artère cérébrale proximale, accessible au cathétérisme, une filière endovasculaire Nyon-CHUV est rapidement activée, et met en relation téléphonique le neurologue de Nyon avec ses collègues neurologue et radiologue interventionnel au CHUV. En cas de transfert, la cible de délai entre l’arrivée aux urgences de l’hôpital de Nyon et le départ pour le CHUV est de 45 minutes, incluant l’évaluation multidisciplinaire initiale, l’imagerie et le plus souvent l’administration partielle de la thrombolyse intraveineuse, dont l’administration est souvent terminée durant le transfert.
En plus de ces traitements interventionnels de la phase aiguë, l’équipe multidisciplinaire de la « stroke unit » permet aux patients de bénéficier de compétences spécifiques de physiothérapie, d’ergothérapie, de logopédie ou de neuropsychologie, les trois dernières n’existant pas avant la création de la « stroke unit ». C’est l’équipe de la « stroke unit » qui coordonne la prise en charge globale des patients durant toute la phase hospitalière, en collaboration avec le service de médecine interne, et organise la réadaptation et le suivi ambulatoire nécessaire, via des collaborations étroites avec les centres de réadaptation de la région et une consultation de policlinique de neurologie.
La « stroke unit » de Nyon offre donc toute la palette de compétences nécessaires à une prise en charge optimale de l’AVC, de la phase aiguë au suivi ambulatoire.
A l’hôpital de Nyon, avant même la mise en place de la filière locale, la valeur prédictive positive de diagnostics confirmés d’AVC parmi les suspicions préhospitalières était élevée (61 %) en comparaison à la valeur moyenne usuelle (52 %).9
De septembre 2015 à juin 2017, la « stroke unit » de Nyon a admis 364 patients dont 207 AVC, 55 AIT et 36 hémorragies cérébrales (figure 5). La filière AVC, mobilisable jour et nuit, 365 jours par an, a été activée pour 187 patients. Dans ce contexte, 65 TIV ont été effectuées (moyenne de 35 par an), avec un délai médian entre l’arrivée aux urgences et le début de l’imagerie (door-to-scan time) de 16 minutes, et de 25 minutes pour l’administration du thrombolytique (door-to-needle time). Au moins 7 patients ont nécessité un transfert en « stroke center » pour bénéficier d’un TEV.
Ces chiffres sont à comparer au nombre de TIV effectuées au CHUV pour des patients de la région de Nyon avant l’ouverture de la « stroke unit ». De 2003 à 2014, 5 patients nyonnais en moyenne par année ont pu bénéficier d’une TIV au CHUV, ceci mettant en évidence une multiplication par 7 depuis l’ouverture de la « stroke unit » à Nyon.
L’AVC est la première cause de handicap significatif dans les pays industrialisés. Partant de l’adage time is brain, il est impératif de reconnaître au plus vite les symptômes compatibles et d’activer une filière dédiée. Les « stroke units » sont des structures importantes dans la prise en charge des patients souffrant d’AVC, permettant une réduction significative de la mortalité et de la morbidité des patients. La « stroke unit » de l’hôpital de zone de Nyon a largement augmenté la disponibilité des traitements de la phase aiguë dans l’AVC, avec une amélioration indéniable de la qualité de prise en charge. C’est une unité transversale, dont le succès dépend de la qualité de coopération avec les équipes de l’hôpital, les intervenants du secours préhospitalier, et les médecins ambulatoires, spécialistes et généralistes. Sur le même modèle, des efforts similaires pourraient permettre de créer des « stroke units » dans d’autres régions de Suisse où elles ne sont pas encore disponibles, la concentration de la prise en charge de l’AVC aigu dans des grandes unités spécialisées suprarégionales étant la solution la plus efficace dans notre pays à forte densité hospitalière.
• Organisation du réseau suisse des centres spécialisés et critères d’accréditations : www.sfcns.ch/index.php/Stroke.html
• Application smartphone permettant de calculer le risque individuel d’AVC à 5 et 10 ans selon les facteurs de risque : www.strokeriskometer.com/
• Programme permettant de vérifier l’âge de son cœur et de fixer des objectifs de modification de style de vie : www.swissheart.ch/fr/prevention/tests/test-cardio-vasculaire.html
• Spot de la fondation suisse de cardiologie : www.swissheart.ch/fr/qui-sommes-nous/campagnes/campagne-sur-lattaque-cerebrale.html
▪ Le médecin de premier recours reste un acteur essentiel dans la reconnaissance des symptômes d’AVC
▪ Il a par ailleurs un rôle primordial dans la prévention primaire, secondaire et tertiaire avec la gestion des facteurs de risque cardiovasculaires et la prévention des récidives