Un siècle et demi après sa première description, la capsulite rétractile de l’épaule n’a dévoilé qu’une partie de ses secrets. Sa définition reste clinique puisqu’on ne dispose d’aucune méthode d’imagerie suffisamment sensible et spécifique. A côté de la forme idiopathique, la plus fréquente et la mieux caractérisée, il existe une multitude de situations induisant une limitation fonctionnelle de l’articulation gléno-humérale et de son environnement. L’évolution se déroule inexorablement sur un à deux ans et comporte trois phases où dominent successivement la douleur, la rétraction puis la récupération en principe complète. Aucun traitement n’est susceptible de l’écourter. En l’absence de preuve clairement établie, l’approche thérapeutique doit être prudente et conservatrice.
La capsulite rétractile de l’épaule (CRE) est la plus fréquente limitation fonctionnelle de cette articulation rencontrée en pratique clinique. Cette fréquence ne la rend pas moins fascinante : son origine reste la plupart du temps mystérieuse, son évolution étrangement stéréotypée, et le résultat des traitements aléatoire. Si chacun sait reconnaître une épaule gelée, le meilleur clinicien peut être dérouté par une épaule qui se gèle. Les auteurs du présent article, issus de différentes disciplines médicales, se proposent de faire le point sur une entité qui reste un défi scientifique pour qui veut l’aborder sous l’angle EBM (evidence-based medicine).
La définition de la CRE est avant tout clinique : il s’agit d’une limitation tous azimuts des amplitudes actives et passives de l’articulation gléno-humérale. Cette définition n’est opérationnelle qu’à la condition que les radiographies standards aient exclu une atteinte lésionnelle, susceptible d’expliquer ce manque de mobilité (absence d’arthrose et d’arthrite notamment).
En pratique, c’est la douleur qui amène le patient à consulter. Cette douleur touche le moignon deltoïdien et irradie souvent au bras, voire à l’avant-bras jusqu’au poignet. Elle est particulièrement vive la nuit, insomniante et empêche le décubitus ipsi-latéral. Cette phase douloureuse manque rarement ; elle dure de quelques semaines à quelques mois. Durant cette première période, l’épaule reste encore mobile, ce qui égare le médecin vers d’autres diagnostics, le plus souvent un conflit sous-acromial ou une lésion de la coiffe.
Durant la seconde phase, l’articulation se gèle : le diagnostic est alors plus facile. La limitation des rotations se détecte aisément. Pour l’abduction et l’élévation, la précaution indispensable est de fixer l’omoplate de sorte que le mouvement de l’articulation scapulo-thoracique soit neutralisé (figure 1). La phase d’enraidissement prend quelques semaines et, une fois achevée, fait place à une longue période de stabilité où l’épaule est enraidie, comme gelée. C’est alors que la douleur disparaît progressivement. Finalement, au cours de la deuxième année d’évolution, la limitation régresse à son tour jusqu’à la récupération fonctionnelle généralement considérée comme totale par le patient.
La première description de la CRE remonte à 18721 et repose sur une série de dix cas. Dans l’article princeps, Duplay rapporte ses propres observations chez des sujets qu’il examine soit au lit du malade, soit alors qu’ils sont sous chloroforme. Sur la base d’une autopsie, il émet l’hypothèse d’une inflammation initiale de la bourse sous-acromiale, suivie d’un épaississement touchant également la capsule articulaire. Soixante ans plus tard, ces données sont confirmées par Neviaser qui souligne la désorganisation puis la fibrose de la membrane synoviale et de la capsule.2
Actuellement, on pense que l’intervalle des rotateurs (entre le supra-épineux en haut et le sous-scapulaire en avant) et le ligament coraco-huméral constituent les sites privilégiés des modifications anatomopathologiques. Les études microscopiques révèlent une inflammation ou une fibrose, l’évolution clinique suggérant un continuum inflammation-cicatrisation.3 L’analyse immunohistochimique montre une prolifération de tissus nerveux et des marqueurs de développement de tissus nerveux plus abondants dans l’analyse d’épaules avec capsulite,4 en comparaison avec des prélèvements faits sur des épaules avec atteinte de la coiffe des rotateurs.5 Les analyses histochimiques retrouvent des cytokines pro-inflammatoires ou fibrosantes dans la capsule, le liquide synovial et la membrane synoviale.6,7 Des processus enzymatiques complexes, faisant intervenir des métalloprotéases, jouent un rôle dans la désorganisation de la matrice extracellulaire ; des phénomènes de glycation comportant une réticulation irréversible du collagène font perdre leur élasticité aux structures concernées. Ces modifications histochimiques seraient particulièrement marquées chez les diabétiques,8 ce qui expliquerait la fréquence élevée de cette association. Malgré ces connaissances nouvelles, la pathogénie de la capsulite reste pour l’essentiel incomprise.
On a coutume de distinguer la capsulite idiopathique des formes dites secondaires (figure 2).
La CRE ne récidive pratiquement jamais sur la même articulation. En revanche, si une atteinte bilatérale est possible (10 % des cas), elle est exceptionnellement simultanée ; l’épaule controlatérale est touchée avec un décalage de quelques mois ou au plus quelques années. Les formes les plus torpides et les plus résistantes se rencontrent dans le diabète et dans le domaine oncologique.
Dans sa forme classique, primitive, la CRE touche principalement la femme de 40 à 60 ans et survient dans un ciel bleu. La notion de fragilité psychique est obsolète ; curieusement, on avait évoqué ce facteur dans l’algodystrophie en un temps où l’on assimilait les deux entités. Certaines capsulites comportent une déminéralisation pommelée de la tête humérale, mais il semble s’agir de rares formes de chevauchement, desquelles on peut rapprocher le syndrome épaule-main.
La raideur après chirurgie de l’épaule soulève un problème diagnostique difficile et le cadre étiologique est large comme en témoigne la liste des causes associées (tableau 1). Il n’est pas rare que plusieurs facteurs se cumulent. Une conférence de consensus récente9 la définit comme une perte de la mobilité passive dans un ou plusieurs secteurs de mobilité. Son incidence varie de 5 à 32 % et dépend de la définition appliquée.9-12 Aucune étude prospective ne permet de prédire combien de patients seront raides après chirurgie ni quelle sera la durée de cette raideur. Dans une étude rétrospective sur 201 patients, Manaka a utilisé un score de récupération fonctionnelle de l’épaule :13 31 % des patients atteignaient ce score en moins de 3 mois, 40 % entre 3 et 6 mois et 28 % en plus de 6 mois. L’existence d’une raideur préopératoire est associée à une évolution plus longue avec un risque de 50 % de raideur postopératoire.9 Les autres facteurs associés à la raideur sont nombreux, parfois contradictoires et issus d’études rétrospec-tives. Deux facteurs sont retrouvés dans plusieurs études : le diabète et l’accident au travail.9 Les causes des raideurs post-opératoires sont résumées dans le tableau 1. Une dé-marche clinique rigoureuse soutenue par l’imagerie est indispensable pour établir un diagnostic étiologique. Celle-ci est résumée dans les tableaux 2 et 3.
On admet classiquement que l’imagerie sert non pas à établir le diagnostic de CRE mais à exclure toute atteinte de l’épaule expliquant mieux la limitation. Il n’existe pas d’imagerie suffisamment sensible et spécifique de la capsulite, quelle que soit la technique qu’on utilise. La radiographie standard ne permet pas la plupart du temps d’observer la déminéralisation, diffuse ou mouchetée, si typique de l’algodystrophie, mais permet d’éliminer une arthropathie gléno-humérale, arthrose surtout, ou bien d’apprécier si la tête humérale est ascensionnée en faveur d’une rupture de coiffe associée. Les signes échographiques sont trop inconstants pour être valorisés en pratique courante. La scintigraphie peut montrer une hyperfixation « 3 points » (tête humérale – acromion – coracoïde), mais il s’agit là d’un signe peu spécifique. Lors d’une arthrographie, pratiquée à titre de repérage avant infiltration d’un glucocorticoïde ou couplée à l’IRM, la perte d’élasticité de la capsule donne la sensation d’une résistance : seule une faible quantité de liquide peut être injectée (moins de 8 cc), le relâchement de la pression s’accompagnant généralement d’un reflux.
L’IRM est de loin la méthode la plus performante en cas de doute diagnostique. C’est la seule méthode d’imagerie qui présente une concordance significative entre les anomalies IRM et l’examen clinique.14 L’image peut varier en fonction de la phase de la capsulite : au plus fort de la douleur et de la rétraction, on observe en général des signes inflammatoires dans l’intervalle des rotateurs. L’injection de gadolinium revêt un intérêt particulier : on assiste alors à une prise de contraste capsulo-synoviale intense, parfois associée à une bursite. En réalité, si la tête humérale et toutes les structures l’entourant peuvent être renforcées par le contraste, c’est le rehaussement de l’intervalle de coiffe et du récessus axillaire (figure 3) qui paraît le plus spécifique.15 D’autres signes ont été décrits mais manquent de sensibilité : épaississement de la capsule et du ligament coraco-huméral, oblitération du triangle graisseux sous-coracoïdien. Dans la raideur postopératoire, l’IRM joue un rôle capital pour le diagnostic différentiel.
Le traitement de la capsulite suscite une abondante littérature.16-22 L’évolution capricieuse de la CRE, sa durée très va-riable, ne permettent pas de recruter des populations homogènes, ce qui limite la portée des résultats. Les bénéfices des différents traitements ne sont généralement que transitoires et peu significatifs. Cela permet d’opter souvent pour une stratégie thérapeutique minimaliste, la « négligence surveillée ». Cette approche consiste à donner au patient des informations visant à le rassurer sur la durée de la CRE toujours limitée dans le temps et sur la restitution fonctionnelle dans l’écrasante majorité des cas. On lui proposera simplement d’adapter ses activités et de pratiquer des exercices à domicile (pendulaires et auto-mobilisation) en respectant le seuil douloureux (figure 4). A notre connaissance, une seule étude23 a montré la supériorité de cette attitude sur un programme de physiothérapie (à 2 ans 89 % des patients dans le groupe « négligence » avec bon résultat contre 63 % dans le groupe physiothérapie). Cette étude n’était pas randomisée (comparaison dans le temps) et le groupe intervention avait reçu la consigne de forcer au-delà du seuil douloureux. Elle entérine toutefois l’inefficacité d’une rééducation agressive, en particulier dans les phases précoces et douloureuses !
Pour les traitements conservateurs durant la phase précoce, incluant les injections sans distension, les meilleurs niveaux de preuve sont obtenus par les corticoïdes oraux17 et les injections de glucocorticoïdes.16 Peu importe la précision du site d’injection : il s’agit surtout d’apporter le médicament dans l’environnement des structures touchées par l’inflammation.24 Il semble donc peu utile de réaliser les infiltrations sous guidage échographique (gléno-humérale ou de la bourse sous-acromiale16,19,22). Au-delà de trois injections, le bénéfice semble s’estomper. Pour ce qui est de la mobilité, les injections de glucocorticoïdes sont plus efficaces à court terme lorsqu’elles sont couplées à une thérapie manuelle respectant l’irritabilité des tissus25 (tableau 4). La thérapie manuelle seule ne semble en revanche pas utile.19
Dans les situations résistant aux options ci-dessus, peu douloureuses, une thérapie manuelle de haute intensité peut être proposée pendant trois mois19 si elle est tolérée, pour autant que les gains soient conservés d’une séance à l’autre et que la douleur ne soit pas réactivée. En revanche, la mobilisation sous anesthésie n’apporte pas de bénéfice.19 La capsulodistension (injection de xylocaïne, corticoïde et 20-40 ml d’une solution saline) ne semble intéressante qu’à court terme et ne serait pas supérieure à l’infiltration de corticoïdes.18 L’arthrolyse par arthroscopie donne des résultats décevants et ne devrait, selon nous, être appliquée que dans des cas exceptionnels.26 Le tableau 5 résume les possibilités thérapeutiques.
Ainsi, même si l’intérêt des médecins pour la CRE n’a jamais tari, l’affection garde ses mystères. En 2016, il reste impossible de prédire qui, dans la population générale, en sera un jour atteint, quel en est le traitement, qui répondra au traitement et en combien de temps. L’expérience accumulée prouve toutefois que la capsulite guérit (presque) toujours. On peut donc rassurer nos patients, viser l’antalgie en admettant que les traitements invasifs n’ont pas suffisamment fait la preuve de leur efficacité.
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.
▪ Le diagnostic de la capsulite rétractile est clinique avec une limitation des amplitudes actives et passives tous azimuts
▪ La radiologie standard est utile au diagnostic différentiel pour éliminer une arthrose gléno-humérale
▪ L’IRM est surtout utile dans les raideurs postopératoires et en cas de doute diagnostique, mais n’est pas indispensable
▪ Le traitement repose sur une bonne information du patient, une rééducation non agressive respectant le seuil douloureux surtout lors de la première phase
▪ Les infiltrations de corticoïdes intra-articulaires peuvent être utiles à la phase précoce surtout lorsque les douleurs sont importantes et permanentes
▪ Le pronostic de la capsulite idiopathique est presque toujours bon, celui des raideurs postopératoires est plus réservé
A century and a half after its first description, adhesive capsulitis (frozen shoulder) has revealed only part of its secrets. Its definition remains clinical since the imaging technology we have at our dis-posal is insufficiently sensitive and specific. Next to its idiopathic form, the most frequent and the most characteristic, there are numerous situations inducing a functional limitation of the glenohumeral joint and of its environment. The clinical course inexorably takes place in one to two years, and develops in 3 phases where successively pain, retraction, and then recovery, as a rule complete recovery, dominate. No treatment is likely to shorten it. In the absence of clearly established proof, our therapeutic approach must be prudent and conservative.