Observé dans une unité de soins de médecine à l’heure de la visite au lit du malade. Au pied du lit : le Dr Z, le stagiaire médecin, l’infirmière en charge et l’indispensable ordinateur portable donnant accès au dossier informatisé du patient. Dans son lit : le patient. Après les salutations d’usage et le traditionnel : « Comment allez-vous aujourd’hui ?», Dr Z à l’infirmière : « Il a pris du poids ? » L’infirmière « non » et rajoute : « M. X a eu son scanner hier » (le patient tend l’oreille, inquiet). Dr Z : «Ah oui. Laissez-moi vérifier ». Penchés sur l’ordinateur, dos tournés au patient (comme le reste de l’équipe), le Dr Z commente les résultats du scanner, les résultats du jour et le traitement prévu (l’infirmière note sans intervenir ; le patient, n’arrivant pas à entendre ce qui se dit, finit par quitter son lit pour aller se brosser les dents sans que personne ne le remarque !)
La collaboration et la communication interprofessionnelles (CIP) sont aujourd’hui reconnues comme essentielles pour répondre aux demandes de soins de plus en plus complexes des patients et leur offrir des soins de santé efficaces, sûrs et de qualité. La coordination et la continuité des soins, de même que la transmission d’informations entre professionnels impliqués (médecins, soignants, pluriprofessionnels de la santé, assistants sociaux) sont les éléments clefs de cette approche et représentent un véritable enjeu pour nos pratiques professionnelles ambulatoires ou hospitalières, ces dernières faisant plus spécifiquement l’objet de cet éditorial. Définie comme « le lieu de structuration d’une action collective qui réunit des membres d’au moins deux groupes professionnels autour d’un but commun, à travers un processus de communication, de décision, d’intervention et d’apprentissage », la CIP est un processus dynamique et complexe qui résulte « d’une interaction entre les acteurs (dont les patients), entre les acteurs et la structure organisationnelle, et entre ces deux éléments et des structures englobantes ».1
Il ne suffit pas de réunir des professionnels en équipe pour conduire à une pratique collaborative efficace et satisfaisante
Dans nos pratiques hospitalières, force est de reconnaître que, malgré les nombreuses opportunités offertes quotidiennement, il ne suffit pas de réunir des professionnels en équipe pour conduire à une pratique collaborative efficace et satisfaisante. Premièrement et avant tout, l’élaboration d’une pratique collaborative requiert de définir un but non seulement commun mais aussi clairement identifié comme rendant nécessaire la participation des différents acteurs de soins concernés à travers l’apport de leurs compétences respectives de même que, dans certaines situations, celle du patient : la visite au lit du patient « sans patient », au propre comme au figuré, n’est certainement pas le but recherché ! Ensuite, la construction d’une pratique collaborative demande de tenir compte des facteurs pouvant l’influencer, en lien avec notre éducation professionnelle, les interactions au sein des membres de l’équipe et l’organisation du milieu de travail.
L’essentiel de nos pratique et formation professionnelle se fait à l’intérieur de « silos » qui constituent le socle de notre identité professionnelle. Cette identité peut se sentir menacée par une pratique collaborative si les compétences spécifiques liées à chaque profession sont ignorées. En effet, les valeurs, intérêts et agendas différents (voire opposés), de même qu’une asymétrie de pouvoir entre les professionnels impliqués peuvent être sources potentielles de conflit, installer un climat de compétition et nuire aux prises de décision basées sur une collaboration.2 L’expertise de chaque profession doit donc être reconnue et valorisée ; la complémentarité des rôles des autres professionnels et leur interdépendance également. Ceci exige de la compréhension et du respect mutuel, une meilleure connaissance des compétences spécifiques et communes de chaque membre ou groupe professionnel de l’équipe ainsi qu’une clarification des rôles et responsabilités de chacun.1 Or, les perceptions et attentes que médecins et infirmier(ère)s ont de leurs rôles respectifs peuvent diverger.3 Si médecins et infirmier(ère)s partagent la même perception de leur rôle « traditionnel » (en raison de ses connaissances médicales, le médecin pose un diagnostic, prescrit tests et traitements et décide de la prise en charge globale du patient ; l’infirmier(ère) prend en charge les patients selon les prescriptions médicales, répond aux besoins de base du patient et lui offre du soutien), les infirmier(ère)s se voient plus autonomes et attendent des médecins de meilleures explications médicales quant à la prise en charge des patients qu’ils (elles) assument, une plus grande disponibilité et une meilleure écoute et prise en compte de leur opinion.3 Alors que les médecins reconnaissent leur dépendance (« on ne pourrait pas faire sans ») et attendent plus d’implication infirmière dans le processus décisionnel et les objectifs de prise en charge des patients, ils agissent généralement de manière autonome sans donner réellement aux soignants l’opportunité d’être plus actifs dans le processus.4 Notre vignette clinique en est un bon exemple.
Cette vignette souligne aussi le fait que la CIP fait appel à des compétences qui ne sont pas innées et doivent être apprises et pratiquées. Le « apprendre ensemble pour travailler ensemble » est la base de l’éducation interprofessionnelle (EIP). L’EIP s’appuie sur des objectifs d’apprentissage explicites en intégrant des domaines de compétences spécifiques que sont la clarification des rôles et responsabilités, le travail en équipe, la résolution de conflits, le leadership partagé, les soins centrés sur la personne et la communication interprofessionnelle.5 Reconnue aujourd’hui comme une composante essentielle de la formation professionnelle en sciences de la santé, l’EIP se doit d’être intégrée dans les curricula de celle-ci, tant au niveau prégradué que postgradué et continu. Actuellement, de tels programmes sont déjà implantés dans nos facultés, hautes écoles de santé et hôpitaux universitaires vaudois et genevois.
L’organisation « traditionnelle » d’une unité de soins ne favorise pas la CIP
Finalement, le milieu de soins dans lequel les professionnels de santé travaillent devrait être propice au développement d’une pratique collaborative. Or, l’organisation « traditionnelle » d’une unité de soins ne favorise pas la CIP. Les activités spécifiques à chaque profession et tâches multiples à accomplir durant une journée de travail laissent peu de temps en commun pour communiquer et partager les informations essentielles en lien avec la prise en charge globale des patients. Ceci aussi bien pour les soignants que pour les patients. En témoigne l’enquête récente de satisfaction des HUG où un patient sur trois estime n’avoir pas été suffisamment informé de sa prise en charge pendant son séjour.6 Dans ce contexte, revoir radicalement l’organisation du travail des unités de soins est l’ambition du projet institutionnel HUG Plus de temps pour les patients. Inspiré de la méthode de gestion Lean, ce projet a pour objectifs de simplifier les processus cliniques et administratifs, de repenser et mieux distribuer les tâches médico-soignantes et d’éliminer le temps «gaspillé» afin d’optimiser le temps de contact avec le patient (et ses proches) et permettre à ce dernier de mieux comprendre et participer à sa prise en charge.
Avec ces nouvelles formations et ce projet enthousiasmant, nous sommes au cœur des fondamentaux de ce processus dynamique et complexe qu’est la pratique collaborative et espérons, en relevant ce défi, répondre aussi bien aux besoins des professionnels qu’à ceux des patients.