« La maltraitance des enfants, enjeu de santé publique majeur, reste un phénomène méconnu des professionnels de santé, vient de rappeler, en France, la Haute Autorité de Santé (HAS).1 Or, par leurs contacts réguliers avec les enfants et les familles, ces professionnels occupent un rôle clé pour repérer les situations de maltraitance et déclencher des actions de protection et de soins à l’égard des victimes. » Après avoir déjà publié plusieurs travaux pour aider les professionnels dans leur mission, cette même HAS vient d’actualiser ses recommandations concernant le diagnostic du « syndrome du bébé secoué » (SBS) – une actualisation réalisée en lien avec la Société française de médecine physique et de réadaptation. Ces recommandations précisent notamment la démarche diagnostique (repérage, conduites à tenir, lésions observées, bilans clinique et paraclinique, diagnostics différentiels, critères diagnostiques), le mécanisme causal et la datation des lésions – ainsi que les aspects juridiques, lorsque le diagnostic est évoqué (ou posé).
« SBS » ? Responsable de lésions cérébrales graves, parfois fatales, ce syndrome survient lorsqu’un adulte « secoue un bébé par exaspération ou épuisement face à des pleurs qu’il ne supporte plus ». « En raison de son démarrage précoce et de son caractère répétitif, le SBS constitue une des maltraitances infantiles les plus graves, souligne la HAS. Chaque année, plusieurs centaines d’enfants en sont victimes en France. Il touche en majorité des nourrissons âgés de moins d’un an et le plus souvent (deux fois sur trois) de moins de six mois. Ne pas diagnostiquer cette maltraitance expose à un risque majeur de récidives et à des séquelles sévères à vie ou au décès. »
On peut le dire autrement : le SBS est un sous-ensemble des traumatismes crâniens infligés ou « traumatismes crâniens non accidentels » (TCNA) – une entité pathologique dans laquelle c’est bien le secouement (seul ou associé à un impact) qui provoque le traumatisme cranio-cérébral. « Les secousses en cause sont toujours violentes, produites le plus souvent par une saisie manuelle du thorax du bébé sous les aisselles, précise la HAS. Les décélérations brutales antéropostérieures de la tête sont responsables d’un ballottement du cerveau dans la boîte crânienne et de l’arrachement des veines ponts situées à la convexité. Une notion récente est la répétition des épisodes de secouement dans la majorité des cas. La méconnaissance du diagnostic est fréquente. Le coût humain et financier de ce syndrome est considérable. »
En cas de suspicion de SBS, l’enfant doit être considéré comme un « traumatisé crânien grave »
Pourquoi actualiser en 2017 un travail réalisé en 2014 et consacré « aux enfants maltraités et ceux qui risquent de l’être » ? Pour la HAS, la difficulté et la complexité des situations, ainsi que le fort sentiment d’isolement du professionnel de santé expliquent la nécessité de mettre au mieux à la disposition des professionnels des informations actualisées, claires et précises pour les aider dans le repérage des violences chez l’enfant et pour les accompagner dans la conduite à tenir pour protéger l’enfant. « Le phénomène transcendant toutes les catégories sociales, la possibilité d’une maltraitance doit donc toujours être présente à l’esprit du médecin qui doit y penser à chaque consultation, souligne cette institution. Au-delà de brûlures, de fractures ou d’ecchymoses caractéristiques, le professionnel doit aussi s’interroger face à des signes non spécifiques : modification du comportement habituel de l’enfant, attitudes des parents qui parlent à la place de l’enfant ou au contraire l’ignorent. »
De nouvelles connaissances sur le SBS ont d’autre part été apportées. Elles portent notamment sur une meilleure description des lésions cérébrales justifiant l’actualisation des recommandations. Les critères diagnostiques ont ainsi été affinés. D’autres mécanismes récemment invoqués ont été éliminés – à commencer par certains vaccins. Le bilan à effectuer en cas de suspicion de SBS a été précisé, en particulier la liste exhaustive des éléments nécessaires et suffisants du bilan d’hémostase. De même les radiographies de squelette à réaliser ont été listées tout comme les modalités de l’IRM.
En pratique, le diagnostic de secouement est aujourd’hui davantage documenté devant des symptômes neurologiques tels que certains types précis d’hématomes sous-duraux et d’hémorragies rétiniennes : une imagerie cérébrale (« scanner en urgence » puis IRM) et un examen du fond d’œil permettent de poser un diagnostic sans ambiguïté. Et en toute hypothèse, une certitude : en cas de suspicion de SBS, l’enfant doit être considéré comme un « traumatisé crânien grave ». A ce titre, il doit impérativement bénéficier d’une hospitalisation en soins intensifs pédiatriques, avec avis neurochirurgical.
C’est dire l’importance, pour les professionnels de santé, de savoir quand il faut évoquer un « traumatisme crânien non accidentel » ; on notera notamment l’importance de l’attitude de l’adulte minimisant les symptômes de l’enfant ; des pleurs incessants difficiles à calmer ; une errance médicale. Sans oublier la nécessité d’hospitalisation systématique des deux enfants en cas de fratrie de jumeaux. La HAS souligne encore que les fractures peuvent être cliniquement latentes, ces cas de traumatismes infligés pouvant « modifier l’expression clinique de la douleur ». Des photographies des lésions à l’aide d’un appareil portable sont préconisées qui permettent la télémédecine, l’appréciation de l’évolution et l’archivage.
On gardera en mémoire l’extrême violence du geste du secouement ; le fait que les gestes du quotidien ainsi que les mouvements spontanés de la tête de l’enfant sont insuffisants à provoquer un saignement sous-dural ou rétinien. Autant d’éléments qui permettent de réfuter les circonstances qui pourraient être invoquées par l’entourage pour justifier la survenue d’un hématome sous-dural ou d’une hémorragie rétinienne (chute de faible hauteur, vaccination, déshydratation, convulsions, malaise, toux, etc.).
Point essentiel : le médecin n’a pas à être certain de la maltraitance, ni à en apporter la preuve, pour alerter l’autorité compétente. Pour finir cette institution rappelle la liste des éléments à renseigner dans le cadre du signalement ; et elle prodigue d’utiles conseils : ne pas nommément mettre en cause ou viser une personne comme auteur des faits, bien séparer les faits constatés des propos rapportés, toujours préciser l’origine des informations (propos des parents, du travailleur social, etc.), utiliser le conditionnel, le style indirect ou mettre les propos rapportés entre guillemets, etc.
Plus généralement, concernant les suites à apporter à une détection de SBS, la HAS rappelle qu’il s’agit bien, en France, d’une infraction pénale, le signalement ayant pour objet principal de protéger l’enfant. Comme tout citoyen, le professionnel de santé a l’obligation de porter assistance à une personne en danger. Cet impératif de protection est rendu possible par la levée du secret médical qui le met à l’abri de toute poursuite pénale pour violation de celui-ci. « Le signalement n’est pas un acte de délation, c’est un acte de protection de l’enfant, insiste la HAS. Lorsqu’un SBS est suspecté, une première réunion d’au moins deux médecins doit avoir lieu sans délai. Un premier signalement sera adressé qui pourra ensuite être complété par une évaluation psychosociale. Car comme face à toute suspicion de maltraitance, le professionnel ne doit pas rester seul face au doute et savoir se faire aider. »