La cage thoracique et l’air contenu dans le poumon ont été longtemps considérés comme des obstacles à l’exploration pulmonaire par ultrasons. A l’ère des techniques d’imagerie plus évoluées comme la tomodensitométrie et l’imagerie par résonance magnétique, les dernières décennies ont néanmoins été marquées par un engouement croissant pour l’échographie (US) pleuro-pulmonaire.1 Selon les recommandations internationales de bonne pratique, l’US devrait précéder toute procédure pleurale pour limiter le risque de complications et améliorer le rendement diagnostique. Cela paraît indissociable d’une formation ciblée visant à exploiter au mieux cet outil diagnostique.
En incidence longitudinale (cranio-caudale) la paroi normale est représentée par le sommet hyperéchogène des côtes, leur cône d’ombre acoustique et l’espace intercostal. Située à environ 0,5 cm sous le signal des côtes, la ligne horizontale hyperéchogène matérialise l’interface pariéto-pulmonaire ou ligne pleurale qui correspond à la plèvre viscérale (figure 1).
Issus de la réflexion des ultrasons et du changement drastique d’impédance acoustique entre la paroi et le poumon aéré, les artefacts constituent la base de la sémiologie pleuro-pulmonaire. Les fameuses lignes A, artefacts de réverbération de la paroi, sont horizontales et majoritaires dans le poumon normal. Les lignes B sont verticales depuis la ligne pleurale, traversant toute la fenêtre échographique. Nombreuses en cas de pneumopathie sous-jacente, elles peuvent toutefois être visibles aux bases du poumon normal et sont alors isolées.2
Le mouvement des deux feuillets pleuraux lors de la respiration crée le fameux « signe du glissement » en mode brillance (mode B). Il tranche avec l’immobilité des structures pariétales sus-jacentes. En mode temps-mouvement (mode TM), il devient le « signe du bord de mer » (figure 1).
Il faut environ 200 ml de liquide pour qu’un épanchement soit visible à hauteur du sinus costo-diaphragmatique sur la radiographie du thorax en position debout.3 Alors qu’un volume de 10 ml peut être détecté par US avec de bonnes sensibilité et spécificité.4,5 En cas d’épanchement, le signe du glissement pleural est absent. En mode TM, le « signe de la sinusoïde » a une spécificité de 97 % (figure 2).2 Il peut être absent en cas d’épanchement cloisonné.
Concernant l’échogénicité du liquide pleural, le transsudat est généralement anéchogène. L’exsudat est échogène avec ou sans débris flottants, voire avec des septa (empyème, carcinose). L’hémothorax est aussi échogène mais plus homogène.6,7 L’US est plus sensible que le CT-scan pour visualiser des septa et des épaississements pleuraux minimes ou finement nodulaires.8,9 Pour les pleurésies malignes, les critères de malignité décrits au CT-scan sont applicables à l’US (épaississement pleural souvent hypoéchogène focal ou circonférentiel, plus ou moins régulier) avec une VPP de 100 % et une VPN de 73%.10
La sensibilité de la radiographie du thorax pour le pneumothorax varie de 50 à 90 %. Il peut passer inaperçu s’il est partiel ou chez un patient alité dans les conditions des soins intensifs.11,12 L’US a une sensibilité de 98 %, même en cas de pneumothorax minime.
En cas de pneumothorax, les lignes A sont présentes. La moindre ligne B l’exclut.13 Le « signe du glissement » est absent. En mode TM, le « signe du bord de mer » est remplacé par le « signe du code barre » (figure 3).14,15 En cas de doute entre une volumineuse bulle d’emphysème et un pneumothorax cloisonné à l’imagerie standard, la présence du glissement pleural est en faveur de l’emphysème. Le fameux « point poumon » en mode TM a une spécificité de 100 % pour le pneumothorax partiel (figure 4).16
Il est représenté par plusieurs lignes B ayant l’aspect d’une « queue de comète » correspondant à des septa interlobulaires épaissis par une surcharge hydrique et/ou à un territoire qui n’est pas aéré (figure 5). Plus ou moins diffuses, elles occultent les lignes A et signent le syndrome interstitiel avec une sensibilité et une spécificité d’environ 93 %.17,18 Basé sur une bonne corrélation avec le CT-scan, un espace entre les lignes B de 7 mm au moins correspond aux septa interlobaires épaissis, et un espace de 3 mm à un infiltrat en verre dépoli. En pratique, les applications sont nombreuses. L’une d’elles bien étudiée est la distinction entre l’œdème cardiogénique et l’œdème lésionnel. La répartition relativement homogène des lignes B du premier tranche avec la répartition plus hétérogène du second à laquelle s’ajoutent des consolidations sous-pleurales.19–21
Pour les pneumopathies interstitielles diffuses (PID) subaiguës ou chroniques, une bonne concordance a été observée entre le pattern radiologique au CT-scan haute résolution et la répartition des lignes B à l’US. La localisation sous-pleurale des septa interlobaires épaissis et des infiltrats en verre dépoli rend cette atteinte pulmonaire accessible à l’US. La plupart des études concernent des patients atteints de rhumatismes inflammatoires ou de connectivites et donc susceptibles de développer une PID. Dans des cas de sclérodermie systémique, l’US s’est révélée efficace pour le diagnostic de pneumopathie interstitielle à des stades précoces avec une valeur prédictive négative élevée.22,23 Une bonne concordance CT-scan/US a même été observée au cours du suivi après l’instauration d’un traitement spécifique.24
En cas de pneumonie, la consolidation parenchymateuse doit avoir un contact pleural pour permettre une évaluation par ultrasons standards avec une sensibilité de 91 % et une spécificité de 100 %.25 Parmi les critères diagnostiques, il y a le bronchogramme aérique dynamique induit par le flux centrifuge de l’air dans les bronches. Il est visible en temps réel à l’inspiration. Cependant, certains foyers pneumoniques très denses peuvent ne pas comporter de bronchogramme. Des zones hyperéchogènes peuvent être visibles au sein de la consolidation. Elles correspondent à la différence d’impédance entre les bronches perméables et des territoires non aérés. Enfin, un rehaussement hyperéchogène postérieur irrégulier ou « signe de la scie » peut être visible.26 Grâce à ces critères, l’US permet de distinguer aussi une pneumonie abcédée d’un empyème pleural.
Elle se distingue du foyer pneumonique par une attraction ou une immobilité des structures de voisinage (abolition du glissement pleural, pincement des espaces intercostaux) et par l’absence de bronchogramme aérique. Le pouls pleural, qui correspond à la transmission des mouvements cardiaques à la plèvre, peut être perçu.
Les contours irréguliers d’une lésion suspecte peuvent orienter vers une tumeur pulmonaire primaire. Ceux d’une lésion secondaire sont le plus souvent réguliers.27 Au Duplex (mode B et Doppler), des néo-vaisseaux tortueux aux calibres variés peuvent être visualisés en périphérie de tumeurs malignes.28 Cependant, les adénocarcinomes à croissance lépidique ne présentent pas une telle vascularisation.29 Une infiltration tumorale pariétale avec ou sans lyse costale ou une infiltration ganglionnaire (cervicale, sus-claviculaire, axillaire) peut être décelée par US avec une aussi bonne sensibilité que l’imagerie par résonance magnétique (IRM)30,31 et, selon certaines études l’US est équivalente, voire meilleure que le CT-scan.32
L’élastographie en temps réel (ETR) mesure la compression mécanique des tissus et évalue la déformation induite en utilisant les ultrasons pour juger de la rigidité d’une lésion parenchymateuse et lui attribuer un score.33 Une plus grande rigidité des lésions tumorales malignes a été constatée par rapport aux lésions bénignes avec une sensibilité de 87 % et une spécificité de 97 %. Le diagnostic de lésions tumorales sans contact pleural a été possible par ETR jusqu’à une distance de 2,5 cm de la plèvre avec comme perspective, parvenir à étendre le champ d’application de l’US à des pathologies pulmonaires plus centrales.34
Seule, l’US pulmonaire manque de sensibilité et de spécificité pour le diagnostic d’embolie pulmonaire (EP). En cas de probabilité pré-test élevée chez des patients non transportables, ou en présence d’une contre-indication à l’injection de produit de contraste ou encore chez la femme enceinte, elle peut être combinée à l’US cardiaque et au Doppler veineux des membres inférieurs.35 Une étude concernant plus de 350 patients hospitalisés aux soins intensifs avec une suspicion clinique d’EP (score de Wells > 4, D-dimères positifs) a révélé une sensibilité de 90 % et une spécificité de 86 % pour cette « triple échographie » contre une sensibilité de près de 60 % pour l’US pulmonaire seule.36,37 Une consolidation de forme triangulaire à base pleurale avasculaire au Doppler associée ou non à une lame d’épanchement pleural réactionnel, ou à une atélectasie, oriente le diagnostic mais manque de spécificité.
Pratique et permettant une évaluation rapide en temps réel, l’US a aussi l’avantage de pouvoir être couplée à une procédure diagnostique.38 Elle est recommandée avant toutes les procédures pleurales pour limiter les complications et améliorer le rendement diagnostique.39–41 Par rapport aux biopsies guidées par CT-scan, la survenue de complications hémorragiques est comparable sous US. Il y a moins de pneumothorax et le temps d’intervention est plus court sous US.42,43 Elle s’avère au moins aussi efficace que le CT-scan pour le diagnostic par biopsie de lésions pulmonaires périphériques ou pariétales, ceci à moindre coût et sans exposition aux radiations.44,45
Les caractéristiques de la paroi peuvent limiter l’exploration (obésité, pansement, drain thoracique, emphysème souscutané, matériel d’ostéosynthèse, calcification pleurale étendue). Sans contact pleural, les pathologies plus centrales échappent à l’US transthoracique. Concernant l’évaluation échographique du diaphragme elle est moins bonne que la fluoroscopie en particulier pour l’analyse de la cinétique (interposition des intestins, bulle d’air gastrique, vue partielle de la coupole). L’analyse morphologique (régularité, continuité, épaisseur) du diaphragme par US est facilitée en présence de liquide pleural.
L’image transmise par US ne correspond pas à la représentation anatomique à laquelle nous ont habitués la radiographie standard et le scanner. Afin de se familiariser avec cette technique, de nombreux cours destinés à l’US pleuro-pulmonaire et spécifiquement dédiés aux pneumologues ont vu le jour ces dernières années. En général, l’objectif est d’acquérir les connaissances de base des propriétés des ultrasons pour comprendre la construction des images chez le sujet sain et parvenir à identifier les principaux syndromes pleuro-pulmonaires (tableau 1).46,47
Les recommandations britanniques relatives à la formation à l’US des spécialistes non radiologues émanant du Royal College of Radiology définissent des niveaux de compétence pour chaque spécialité.48 Pour la pneumologie, l’acquisition du niveau 1 de compétence (niveau de base) permet de réaliser les examens de routine avec repérage des pleurésies, guidage des abords pleuraux et celle du niveau 2 les procédures interventionnelles plus invasives. Le G-ECHO, groupe de travail de la Société de pneumologie en langue française sur l’échographie thoracique du pneumologue, a mis en place une formation théorique et pratique de base bien encadrée destinée aux pneumologues en formation. D’une durée de quelques mois, elle s’achève par une évaluation dont le succès aboutit à la reconnaissance du niveau 1 de compétence en échographie thoracique.49
Les possibilités qu’offre l’US en termes d’aide au diagnostic peuvent enrichir notre pratique clinique. A l’instar d’autres pays en Europe, une formation dédiée et encadrée avec plusieurs niveaux de compétence pourrait être proposée aux médecins pneumologues en formation pour faire de l’échographie pleuro-pulmonaire un moyen d’exploration de base en pneumologie au même titre que les épreuves fonctionnelles respiratoires.
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.