Les bronchiectasies ou dilatations des bronches (DDB) sont définies par une dilatation permanente et anormale du calibre des bronches à cause d’une inflammation chronique, secondaire à une clairance mucociliaire défectueuse ou à des infections à répétition ou chroniques.1 La prévalence des DDB ne cesse d’augmenter. En Grande-Bretagne notamment, elle a augmenté de 60 % entre 2004 et 2013.2 Une part de cette augmentation est probablement expliquée par un accès facilité au scanner thoracique.
Cet article, qui ne concerne que les DDB hors mucoviscidose, s’articule en trois parties distinctes : 1) description des critères de jugement validés dans la littérature pour l’évaluation clinique d’un patient avec DDB ; 2) description des scores spécifiques de qualité de vie et 3) description des scores pronostiques.
Les objectifs de prise en charge au long cours des patients souffrant de DDB sont de diminuer les symptômes (toux, dyspnée, expectorations, fatigue), ainsi que le nombre et la sévérité des exacerbations, de préserver la fonction respiratoire et d’améliorer la qualité de vie.3 Les variables ci-dessous permettent de mesurer si ces objectifs sont approchés. Chacune de ces variables apporte une information différente, même si elles sont fortement liées les unes aux autres et judicieusement regroupées dans des scores pronostiques (cf. infra).
Les fonctions pulmonaires (VEMS (volume expiratoire maximal par seconde), CVF (capacité vitale forcée)) sont souvent mesurées dans les essais cliniques, sans être nécessairement un objectif primaire. Hormis deux essais de courte durée, avec des interventions de physiothérapie respiratoire, aucune étude n’a montré une amélioration significative des fonctions pulmonaires. Même quand un bénéfice est trouvé, il reste modeste.3 Plus récemment, un effet protecteur d’un traitement par macrolides oraux sur le déclin des fonctions pulmonaires a été démontré.4,5 Ces dernières restent donc un critère de jugement duquel nous avons du mal à nous séparer, en gardant comme unique ambition leur stabilité.
L’évaluation microbiologique, tant quantitative que qualitative, des expectorations est régulièrement utilisée dans les essais cliniques sur les antibiotiques, les macrolides, la physiothérapie et les corticoïdes inhalés (CSI). Une évaluation qualitative est la plus souvent rapportée (présence ou absence d’un pathogène). Une analyse quantitative des expectorations rapporte une évaluation de la densité bactérienne et semble être une mesure plus appropriée dans les DDB où la colonisation et les coinfections des voies aériennes par des bactéries pathogènes sont la règle. Les essais d’antibiotiques administrés par nébuliseur ont montré une amélioration significative de la bactériologie quantitative, contrairement aux essais évaluant les macrolides, la physiothérapie ou les CSI.3
La modification du volume des expectorations est utilisée de longue date comme critère de jugement de l’efficacité thérapeutique partant du principe qu’elle reflète la modification de l’inflammation et de l’infection chronique. Plusieurs méthodes de quantification ont été utilisées. Les plus étudiées sont le volume expectoré en 24 heures, la moyenne journalière de volume expectoré sur 3 jours, le poids sec des expectorations et le poids humide. Il n’existe pas de données comparatives entre les différentes méthodes de quantification, mais nous savons que la modification de ce volume est fréquemment retrouvée comme critère d’efficacité du traitement, tant pour le clinicien que pour le patient (patient-oriented endpoint).3
La purulence des expectorations est une mesure non invasive, peu onéreuse, fiable et facilement gradée sur une échelle de couleur en mucoïde (clair), mucopurulent (jaune-vert pâle) et purulent (jaune-vert foncé).6 Bien qu’elle soit rarement utilisée dans les essais de traitement antibiotique au long cours, elle est toutefois une variable intéressante pour juger de l’efficacité thérapeutique du traitement.
L’amélioration de la qualité de vie est un objectif majeur dans la prise en charge des patients souffrant de DDB. Deux questionnaires validés pour les bronchiectasies ont principalement été utilisés comme critères de jugement dans les essais cliniques : le St George’s Respiratory Questionnaire (SGRQ) et le Leicester Cough Questionnaire.7,8 D’autres indices d’évaluation de la qualité de vie ont également été utilisés, tels que le « Chronic Respiratory Disease Questionnaire » et le « Quality of Life questionnaire in Bronchiectasis » (QOL-B).9 Récemment, un questionnaire spécifique pour l’évaluation de la qualité de vie dans les bronchiectasies a été publié par Spinou et coll. (cf. infra).
De nombreux facteurs influencent la capacité d’effort : les fonctions pulmonaires, les sécrétions bronchiques, l’état nutritionnel, la force des muscles respiratoires et les comorbidités. La littérature disponible concerne exclusivement des essais de physiothérapie et de réhabilitation pulmonaire.3 Deux critères de jugement ont été utilisés : le test de marche de 6 minutes (6MWT) et le « Incremental Shuttle Walk Test » (ISWT).10 En raison de la nature intégrative et systémique de la capacité d’effort, une amélioration ou dégradation de cette dernière ne s’accompagne pas forcément de modifications parallèles des autres variables physiologiques comme les fonctions pulmonaires.
Vu son impact sur la qualité de vie et son effet destructeur sur les voies respiratoires, le nombre d’exacerbations est l’un des objectifs les plus étudiés comme critère de jugement de l’efficacité du traitement des DDB.3 Même si plusieurs définitions de l’exacerbation ont été utilisées, elles ont toutes en commun une modification d’un ou de plusieurs des symptômes rencontrés dans les bronchiectasies (augmentation de la toux, du volume des expectorations, de la purulence, de la dyspnée et des sibilances) ou la survenue de nouveaux symptômes (fièvre, pleurésie, hémoptysie).11 Différentes mesures ont été utilisées, telles que le nombre d’exacerbations, les admissions à l’hôpital, les jours d’hospitalisation, le nombre de consultations aux urgences et le besoin d’une antibiothérapie orale ou intraveineuse.3 L’impact thérapeutique positif sur la fréquence des exacerbations semble être attendu surtout pour les antibiothérapies orales ou inhalées.3 L’effet anti-inflammatoire des corticoïdes inhalés ne semble pas affecter la fréquence des exacerbations.3
En conclusion, les DDB ont une morbidité considérable, aboutissent à une importante utilisation de ressources de santé et ont un impact significatif sur la qualité de vie. Pour pouvoir évaluer efficacement des stratégies de prise en charge, des critères de jugement précis et fiables sont nécessaires. Les variables mesurables présentées ci-dessus sont accessibles, non invasives, peu coûteuses et reproductibles. L’évidence suggère que la stabilité des fonctions pulmonaires, le volume, la purulence et l’examen microbiologique des expectorations, la capacité d’effort, les scores de qualité de vie, et le nombre d’exacerbations sont autant de paramètres utiles dans l’évaluation initiale et le suivi des patients atteints de DDB.
Aucune variable physiologique présentée jusqu’ici ne permet à elle seule de mesurer l’impact des DDB sur la qualité de vie. Quelle est l’expérience individuelle physique, mais également psychique et sociale d’un patient souffrant de DDB ? Quels sont les facteurs qui modulent cette expérience ? Comment varie-t‑elle dans le temps ? Aujourd’hui, à l’aube de la médecine personnalisée, seuls les questionnaires de qualité de vie permettent d’évaluer l’impact global d’une pathologie sur un individu.12
Plusieurs outils d’évaluation spécifiques et non spécifiques aux DDB ont été utilisés à cet effet. Les plus couramment utilisés étant le St George’s Respiratory Questionnaire (SGRQ), initialement développé pour évaluer la qualité de vie chez des patients BPCO et asthmatiques, puis validé pour les DDB.8 Le Leicester Cough Questionnaire (LCQ), un questionnaire évaluant la répercussion sur la qualité de vie de la toux7 et le Quality of Life-Bronchiectasis (QOL-B), seul questionnaire spécifique aux DDB. Ce dernier est cependant long et difficile pour une utilisation courante en pratique clinique.13
Récemment, Spinou et coll. ont validé un nouveau score d’évaluation de la qualité de vie intitulé « Bronchectiasis Health Questionnaire » (BHQ) dont il existe une traduction française.14 Par opposition aux scores génériques, ce score spécifique aux DDB se compose uniquement de 10 items rendant simple son utilisation en pratique clinique (tableau 1). Toutes les précautions méthodologiques nécessaires ont été prises pour maintenir une fiabilité et une précision suffisantes des mesures malgré le très faible nombre d’items. L’outil final est une échelle unidimensionnelle, composée de 10 items avec une bonne consistance interne ( Cronbach’s 0,85). Le BHQ est significativement associé aux exacerbations (r = – 0,5) et hospitalisations (r = – 0,33) des 12 mois précédents et montre également une forte corrélation avec une échelle visuelle analogue évaluant la dyspnée (r = – 0,7) et le SGRQ (r = – 0,82). Une corrélation modérée est démontrée avec la toux et les expectorations (r = – 061, respectivement r = – 0,48) et une corrélation faible avec le VEMS (r = – 0,27). Cette mauvaise corrélation ne doit pas faire craindre une absence de validité du questionnaire mais au contraire suggère que l’impact d’une maladie sur un patient ne peut se mesurer correctement par des variables physiologiques comme le VEMS.
La réponse du BHQ à l’initiation du traitement ou suite à une exacerbation n’a pas encore été étudiée, de même que la différence minimale cliniquement importante, deux éléments essentiels d’un score pour qu’il puisse être utilisé en pratique clinique.
Il est aussi important d’évaluer la sévérité et le pronostic des DDB. En raison du caractère complexe de cette pathologie, sévérité et pronostic ne peuvent être mesurés par une variable unique, telle que le VEMS ou l’étendue des DDB au scanner thoracique. Deux outils de prédiction pour mieux caractériser la sévérité et le pronostic des DDB ont été développés, le Bronchiectasis Severity Index (BSI) et le score FACED.15,16
Le BSI (tableau 2) a été dérivé à partir d’une cohorte prospective de 608 patients souffrant de DDB suivis pendant 4 ans, puis validé prospectivement dans 4 cohortes indépendantes. Les patients sont répartis en tertiles de risque en fonction du score final en bas (0‑4 points), intermédiaire (5‑8 points) et élevé ( 9 points). Les prédicteurs de mortalité sont : un âge plus élevé, un VEMS bas, un IMC bas, des hospitalisations antérieures, et plus de deux exacerbations sur l’année précédente. Les prédicteurs d’hospitalisation sont : la présence d’hospitalisations antérieures, un stade de dyspnée MRC (Medical Research Council) 4, un VEMS < 30 % du prédit et une colonisation par Pseudomonas aeruginosa. L’application du score est disponible sur le site d’EMBARC (European Multicentre Bronchiectasis Audit and Research Collaboration) : www.bronchiectasis.eu/severity-assessment.
Le score FACED est dérivé d’une cohorte multicentrique de 819 patients avec DDB, dont 397 sélectionnés pour la dérivation du score et 422 pour sa validation. Le critère de jugement mesuré étant le décès de toute cause après 5 ans de suivi. Une régression logistique a déterminé 5 variables dichotomiques significativement associées à la mortalité à 5 ans et compose un score de 7 points (tableau 3). Une analyse de survie représentée par une courbe de Kaplan-Meier permet de classifier les patients en trois groupes de mortalité : faible 4,3 % (score 0‑2 points), modérée 24,7 % (score 3‑4 points) et élevée 55,9 % (score 5‑7 points). Un calculateur du score FACED est également disponible sur le site http ://bronchiectasis.com.au/assessment/medical/faced-score.
Les bronchiectasies non associées à la mucoviscidose associent une infection et une inflammation chronique des voies aériennes, une déformation architecturale des bronches aboutissant à une insuffisance respiratoire chronique. La vie quotidienne d’un patient souffrant de bronchiectasies, caractérisées par une toux et des expectorations chroniques, est également grevée d’exacerbations régulières avec un impact significatif sur la qualité de vie et le pronostic vital. Il apparaît donc nécessaire de savoir quantifier l’impact des DDB sur la qualité de vie et identifier les patients les plus à risque d’évolution défavorable. Dans cette démarche, des scores développés spécifiquement peuvent aider le travail du clinicien.
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.
▪ Les fonctions pulmonaires, l’évaluation des expectorations, le nombre d’exacerbations, la capacité d’effort et la mesure de la qualité de vie sont autant de variables essentielles pour l’évaluation initiale et le suivi des patients souffrant de dilatations des bronches (DDB)
▪ L’impact de la maladie sur la qualité de vie peut être mesuré à l’aide de questionnaires spécifiques (QOL-B, BHQ) ou génériques (SGRQ, LCQ)
▪ Les scores BSI (Bronchiectasis Severity Index) et FACED permettent de stratifier les patients en catégories de risque pour prédire le risque d’hospitalisation et de mortalité