Mme T, nouvelle patiente de 63 ans, veuve, secrétaire, consulte pour une bronchite. Vous suspectez une BPCO et lorsque vous lui posez la question : « Est-ce que je peux vous demander si vous fumez ? », elle vous répond « Oui… Mais j’ai déjà diminué… Je sais que je devrais arrêter pour mon souffle… mais je suis stressée ces temps par mon travail et par mon déménagement… et depuis le décès de mon mari, cette cigarette, c’est une compagnie… Mais, je pourrais peut-être encore réduire ? Que pensez-vous de la cigarette électronique ? ». L’anamnèse révèle une consommation de 15 cigarettes par jour dont la première est fumée dans les 10 minutes suivant le réveil.
En Suisse, 60 % des fumeurs quotidiens souhaitent arrêter un jour de fumer et leur première motivation est leur santé.1 Rappelons le rôle privilégié du médecin pour encourager et soutenir son patient fumeur dans l’arrêt du tabac. Un bref entretien motivationnel présente déjà une efficacité et un soutien plus intense associé à une aide pharmacologique double, voire triple les taux d’arrêt à un an.2,3
Toutefois, moins d’un tiers des fumeurs sont prêts à s’engager dans les 6 mois et seuls 12 % projettent un arrêt dans le mois à venir.1 Nous sommes donc confrontés à une réalité : près de 90 % des fumeurs ne sont pas prêts pour une aide à la désaccoutumance visant un arrêt à court terme au moment de la consultation. Le médecin assiste donc souvent à l’ambivalence, tout à fait normale, de son patient fumeur, voire à une certaine résistance lors d’empressement à viser l’arrêt. Plus de la moitié des fumeurs désirent toutefois réduire leur consommation de tabac et nous sollicitent même dans ce sens.4
La question d’orienter et de soutenir le fumeur insuffisamment motivé ou même celui visant un arrêt à court ou moyen terme vers une réduction tabagique préalable se pose donc, avec le souci que cette dernière ne soit pas contre-productive en freinant l’arrêt tabagique.
Malheureusement, l’impact d’une réduction de la consommation de cigarettes sur la santé est faible. Une très forte réduction tabagique (> 85 %) réduit le déclin de la fonction respiratoire, mais avec peu d’effets cliniques.5 Le fumeur dépendant tend, en effet, à compenser inconsciemment le manque nicotinique en inhalant plus fortement la fumée des cigarettes restantes. Ainsi, lors d’une baisse de plus de 50 % du nombre de cigarettes quotidiennes, il n’a pas été démontré de réduction de la mortalité cardiovasculaire ou par cancer.6
La démarche de désaccoutumance progressive au tabac est un processus d’apprentissage qui permet de sortir de la notion de « tout ou rien » ou de performance. En accompagnant son patient à son rythme, le médecin lui permet de faire émerger ses motivations mais aussi ses craintes (peur de l’échec, du jugement…). Les fumeurs préférant une réduction tabagique ont souvent peu d’expériences d’arrêt et peuvent présenter plus de traits anxiodépressifs que ceux qui veulent arrêter de fumer (tableau 1).7 Chez Mme T, par exemple, des aspects liés au deuil (de son époux, de son lieu de vie, de sa profession…) pourraient être remobilisés par l’idée de « perdre » en plus la cigarette. La période de réduction permet d’y être attentif, de valoriser les ressources du patient pour l’aider à identifier des stratégies selon les émotions ou situations suscitant l’envie de fumer. Des actes même mineurs (retarder la prise d’une cigarette, ne plus fumer dans sa voiture, laisser son paquet à distance…) changent les liens tissés avec le tabac et favorisent la confiance en soi. Le soutien vise aussi à encourager l’espoir et à rassurer.
L’importance de la dépendance physique, souvent sous-estimée, (tableau 2) peut toutefois vite décourager le processus de réduction tabagique. Or, il a été démontré, chez des fumeurs non motivés à arrêter de fumer, qu’une réduction tabagique non seulement ne décourageait pas l’arrêt, voire même le favorisait si elle était soutenue par une substitution nicotinique.8 L’option d’une réduction tabagique avec un soutien personnalisé et l’aide de substituts nicotiniques mérite donc d’être discutée avec nos patients peu ou non motivés à l’arrêt du tabac (figure 1).9,10
L’arrêt du tabac « d’un coup » a longtemps été privilégié. Or, certains fumeurs préfèrent réduire avant d’arrêter de fumer. Cette méthode comparée à un arrêt « brusque » a montré la même efficacité dans les taux d’arrêts soutenus par une substitution nicotinique, une aide comportementale ou du matériel informatif.11 Les fumeurs peuvent ainsi tester des stratégies et se préparer psychologiquement (tableau 3). La prise, quelques semaines avant la date d’arrêt, d’une aide pharmacologique peut renforcer le déconditionnement progressif, la diminution de la satisfaction à fumer et l’augmentation de la confiance en soi. Ainsi, des substituts nicotiniques pris 2 à 5 semaines avant l’arrêt pourraient favoriser l’arrêt tabagique.12 Pour des fumeurs qui n’auraient pas pu ou voulu arrêter dans les 1 à 2 semaines après l’introduction de la varénicline, il est tout à fait possible d’effectuer une phase de réduction de la consommation de 1 à 3 mois et de prolonger ce traitement jusqu’à 24 semaines.13
Les fumeurs doivent donc se sentir libres de choisir leur méthode ainsi que, dans la mesure du possible, leur aide pharmacologique, comme cela figure dans l’algorithme (figure 1).
A l’expression « cigarette électronique », préférons le terme de « vaporette » qui permet de mieux la distinguer de la cigarette de tabac. Il est actuellement communément admis que l’usage de la vaporette à la place des cigarettes réduit considérablement l’exposition aux substances nocives de la fumée du tabac.14,15
En Suisse en 2016, 1,4 % des fumeurs quotidiens rapportaient vapoter tous les jours, et 5,4 % l’avoir fait au cours des 30 derniers jours, avec l’objectif pour deux tiers d’entre eux d’arrêter de fumer. 10 % des ex-fumeurs avaient fait usage de la vaporette et 0,4 % l’utilisait quotidiennement.16
Chez des fumeurs non motivés à arrêter de fumer, la vaporette peut soutenir une réduction de la consommation de tabac susceptible de renforcer la motivation pour arrêter dans un deuxième temps.17 Malgré des données controversées, une méta-analyse suggère que la vaporette avec nicotine favorise l’arrêt du tabac.18 Selon une enquête populationnelle, le vapotage aurait permis à 9 millions de fumeurs européens de réduire leur consommation et à 6 millions d’arrêter de fumer.19 En attendant les résultats d’études randomisées contrôlées étudiant des modèles de vaporettes plus récents, nous ne devrions pas décourager les patients qui ne veulent pas ou n’ont pas réussi à arrêter de fumer avec les aides reconnues à recourir à la vaporette. Des fumeurs apprécient l’inhalateur de nicotine, discret et sans nécessité de recharge électrique, d’autres privilégient la vaporette en raison du passage de la vapeur dans la gorge (hit), du plaisir gustatif, de l’objet parfois investi affectivement. Pour ces derniers, nous pouvons encourager l’achat d’un dispositif récent et, l’utilisation d’un liquide avec nicotine, dont le dosage sera adapté au degré de dépendance, à la tolérance de la vapeur et au type d’atomiseur.
La réduction de la consommation de tabac :
▪ n’apporte en soi que peu de bénéfices pour la santé
▪ donne l’opportunité de mettre en place des stratégies comportementales et psychologiques
▪ est plus efficace sous substitution nicotinique
▪ peut constituer une étape judicieuse favorisant l’arrêt du tabac chez des fumeurs peu motivés
▪ peut être soutenue chez des fumeurs motivés préférant réduire sur quelques semaines avant d’arrêter de fumer