Une pierre, une quelconque pierre, en principe en vaut une autre. Un atome aussi, en principe, en vaut un autre. Il s’agit d’entités multiples qui sont à la base de la matière, donc de la vie en général. Des entités réelles, précisons-le, et certes pas de pures entités virtuelles.
Qu’on veuille se référer aux atomes conçus déjà par des philosophes pré-socratiques tels Leucippe, ou à des atomes vus par nous aujourd’hui, on parle évidemment de briques de l’Univers sans lesquelles on perdrait le contact avec le sol sur lequel nous posons nos pieds de vivants. La force intrinsèque des atomes et des subatomes se relie inévitablement au fait qu’ils sont nombreux et semblables, presque identiques entre eux.
Une pierre d’angle ne peut être qu’un événement considéré comme positif, bienveillant, prometteur
En ce qui concerne les simples pierres, ces pierres de partout et ces pierres de toujours, certaines se mettent en évidence, qu’on le veuille ou non : les pierres dites d’angle. Une pierre d’angle est destinée d’avance à jouer un rôle dans toute construction. « Pierre d’angle » inclut pour ainsi dire une « responsabilité » apte à assurer l’ensemble des pierres accumulées, à assurer la solidité d’un bâtiment. On peut aussi facilement extrapoler le concept en se disant qu’une idée donnée, une façon donnée de voir les choses pourrait bel et bien ressembler à une pierre d’angle apte à maintenir debout tout un système de pensée.
Mais allons encore plus loin. Faisons fi de notre imagination, de nos possibles angoisses. Car une pierre d’angle, dans un sens analogique, donc, ne peut être qu’un événement considéré comme positif, bienveillant, prometteur. Alors que si l’on ose proposer comme pierre d’angle une entité de type négatif ou en soi quelque peu menaçante, on risque d’être d’emblée « à côté de la plaque ». Il est pourtant assez clair que bien des événements que nous pourrions nous-même provoquer ou contribuer à faire éclater, estimés comme négatifs, pourraient finalement se révéler plus qu’utiles. En d’autres termes, des événements même catastrophiques, comme des conflits armés, le déclenchement de haine, de revanche, d’envie d’être violent, et ainsi de suite, pourraient être justifiés, ou à la rigueur exaltés comme nécessaires ou inévitables.
La pierre d’angle symbolique d’un système à juger rentable ou sûrement valable ne peut se concevoir qu’en tant que facteur positif. Un facteur déjà bien mis à l’épreuve, reconnu d’avance comme dépourvu d’égratignures. En cela comparable, si l’on préfère, à un instrument de musique bien entretenu. Au point de vue social, voire politique, tout en sachant que des opinions différentes garantissent une stimulation indispensable à une dialectique autant organisatrice qu’économique, à un point de vue plus restreint, limité par exemple à l’éducation des enfants, la participation active à des besoins collectifs, à la confrontation entre des prises de position parfois même contradictoires, cela peut aboutir, on le sait bien, à des résultats pratiques plus qu’intéressants. Tout en sachant aussi que même à ces niveaux-là, un acharnement à n’envisager que la perfection pourrait finir par jouer un rôle pas aussi valable qu’on aurait pu le supposer. Bref, pour chacun de nous, des moments difficiles peuvent au contraire receler des messages qu’il faut apprendre peut-être à savoir lire et interpréter. Des messages de nouvelles opportunités, de nouvelles manières possibles de s’y prendre dans la gestion même de sa propre individualité. Ces pierres d’angle, si symboliques et analogiques qu’elles puissent être, sont d’ailleurs susceptibles d’être tantôt déplacées, tantôt remplacées.
Venons-en à la possible irruption dans notre vie de tous les jours d’une maladie proprement dite ou d’un état dépressif. Ou encore d’angoisses ou de soucis à l’allure assez pénible. Dans ce cas, rien qui semble apte à être exploité positivement. Rien de mieux que d’enchaîner des regrets de n’avoir pas adopté de nouveau des préventions suffisantes ou des mesures d’évitement plus efficaces. Nous nous sentons pressé d’annuler à la racine ces malaises survenus par surprise ou à la suite de changements d’habitudes, ou pour avoir trop baissé la cote d’alerte. Une maladie donnée, par exemple, n’est cependant pas que le produit de symptômes et de souffrances. Elle recèle éventuellement dans son origine première, dans la cause principale de son éclatement, beaucoup d’enseignements concernant une meilleure connaissance de nous-même, pour une découverte plus évoluée de ce que nous serions en train de devenir.
Dans ce cas, dans la pierre d’angle analogique, toujours elle, ou ce que nous pourrions qualifier de structure portante incontournable de n’importe quel processus vital, serait à l’affût un quiproquo d’envergure. En d’autres termes, tout cela pourrait nous faire croire à une sorte de chute ou à un achoppement de notre part. A un abaissement soudain de la qualité de notre propre existence. Pire encore : au lieu de parler d’une chute, nous pourrions nous dire qu’il s’agirait d’une rechute, du retour d’une tendance à considérer définitivement comme négative de notre part. Le retour par exemple d’une dépendance à une substance donnée, d’une habitude que nous pensions désormais reléguée dans le passé lointain, devenue ainsi inexistante. Ou alors un changement de notre poids, un changement dans notre appétit, dans nos désirs, une façon différente de l’habituelle de réagir ou de prendre contact avec les gens. La survenue d’un soi-disant manque d’assurance, de promptitude. La survenue d’une autre manière de prendre ou non quelque chose au sérieux. Ou même une soudaine incapacité à rire, ou au moins à sourire. La survenue de nouvelles peurs ou le retour d’une angoisse se reliant à des peurs d’antan, mais ayant simplement changé de visage. Ou la peur de la mort, par exemple, qui, au lieu d’être une entité incluse fatalement dans toute existence, serait commutée en un besoin de défier cette mort plutôt que de la craindre.