La première impression est souvent la bonne. Selon une étude publiée en 2016 dans la revue scientifique Proceedings of the National Academy of Sciences, des radiologues spécialisés dans l’imagerie du sein perçoivent des anomalies dans une mammographie en moins d’une demi-seconde.1 Comprendre ce qu’ils détectent si rapidement permettra d’affiner les méthodes de dépistage.
Le cancer du sein est la néoplasie la plus fréquente chez les femmes et la mammographie est l’examen de référence pour le dépister. Contrairement aux novices, les radiologues expérimentés détectent une anomalie sur une mammographie en une demi-seconde (figure 1).2 Cependant, ils ne sont pas capables de localiser la lésion en ce laps de temps. Ce coup d’œil mobilise des mécanismes complexes (voir encadré). Les spécialistes évaluent instantanément les informations globales contenues dans l’image puis, dans un deuxième temps, tournent leur attention sur ses spécificités.3 Les novices passent en revue une à une toutes les spécificités de l’image avant de faire leur diagnostic (voir interview).3 Pour comprendre ce coup d’œil, des chercheurs ont analysé les indices perçus par les radiologues expérimentés.1
Dans cette étude, les chercheurs ont vérifié si l’asymétrie de la poitrine, un des signes de tumeur, était l’indice reconnu en une demi-seconde. Ils ont créé des conditions de poitrine asymétrique, en assemblant les mammographies de seins de femmes différentes. Ils les ont présentées aux spécialistes parmi des mammographies de seins d’une même femme. Dans les deux conditions, certaines mammographies présentaient des signes subtils de cancer. Les radiologues ont réussi à dépister les clichés pathologiques de façon similaire dans les deux cas. Leur jugement n’a pas été influencé par l’asymétrie. L’asymétrie des seins n’est donc pas le critère expliquant la rapidité d’analyse des radiologues.
Dans ces expériences, les radiologues confirmés n’ont pourtant pas réussi à localiser précisément l’anomalie.1 Les chercheurs se sont demandés si l’indice visuel était réparti dans la globalité du tissu mammaire. Ils ont présenté aux radiologues deux cents sections de mammographie, chacune correspondant à un huitième de l’image d’origine. Les images provenaient de patientes saines ou atteintes d’un cancer du sein à un stade précoce. Les spécialistes ont réussi à déterminer en une demi-seconde quelles images appartenaient à des patientes atteintes d’un cancer. Les radiologues ont été capables de réaliser leur diagnostic en observant les sections de radiographie de la région lésée du sein, du tissu adjacent à la lésion et même les images provenant de l’autre sein ! Cette étude suggère que le sein opposé à celui lésé présente aussi des signes subtils de cancer. L’indice discriminant n’est donc pas confiné à une lésion du sein mais réparti dans le parenchyme mammaire. Serait-ce un signe avant-coureur du cancer ?
Une étude récente a montré que les femmes rappelées à tort suite à une mammographie suspecte ont un risque important de développer par la suite un cancer du sein.4 L’existence d’une anomalie déjà présente à des stades précancéreux pourrait expliquer le développement ultérieur d’un cancer. La nature exacte du signal perçu en quelques millisecondes reste encore mystérieuse. En Suisse, les examens de dépistage comptent entre 5 à 30 % de faux négatifs.5 Découvrir la nature de ce signal permettrait d’améliorer ces méthodes de dépistage encore imparfaites.
▪ L’observation d’une image peut être décomposée en deux voies : une voie sélective et une non sélective.6 La voie sélective permet de reconnaître des objets individuellement sélectionnés. La voie non sélective donne en quelques secondes une information globale de l’image. Pour catégoriser une image, l’œil extrait inconsciemment des éléments de tailles et de formes différentes, caractéristiques de l’image. Par exemple, le cerveau différencie une photo de ville d’une photo de campagne en un coup d’œil. Les détails n’ont pas le temps d’être identifiés mais la présence d’éléments verticaux gris réfère à la ville, tandis que de grandes étendues vertes et horizontales rappellent la campagne. Le cerveau complète ensuite le reste de l’image grâce aux souvenirs de scènes déjà rencontrées et en capte ainsi le sens.6
Questions au Dr florent bonvin, directeur médical, centre imagerie servette
En moyenne, quel est le temps nécessaire pour lire une mammographie ?
La première lecture d’une mammographie peut être très rapide, de l’ordre du coup d’œil. Puis lors d’une seconde lecture, une série de paramètres est traitée systématiquement, comme la qualité de l’image, l’asymétrie ou encore la structure de la trame fibreuse.
Quelle place laissez-vous à votre intuition lorsque vous analysez une mammographie ?
La part d’intuition dans un raisonnement médical est ce que j’appellerais le sens clinique. Tout médecin le ressent et vit le sens clinique au quotidien. C’est la synthèse de tout ce que l’on a pu apprendre, voir, percevoir ou expérimenter. Cette synthèse inconsciente, provient d’une intégration de multiples entrées, notamment les facteurs de risque de chaque patient. Le sens clinique n’est pas inné, il s’acquiert avec la pratique. Au final, même si on l’utilise inconsciemment dans une première lecture, cette intuition doit toujours être étayée par des éléments cliniques concrets. Ceci est capital, en particulier pour la rédaction de rapports qui seront lus par d’autres confrères.
Quelles sont les différences entre un jeune radiologue et un radiologue expert ?
Essentiellement la rapidité d’expertise. Un jeune radiologue prend plus de temps sur la lecture systématique d’une mammographie. Au début, tout paraît anormal pour un radiologue novice. Il doit apprendre à faire le tri des informations. L’analyse devient peu à peu instinctive, grâce aux nombres de radiographies analysées pendant la formation et les années de pratique. Un radiologue premier lecteur est tenu d’expertiser plus de mille examens mammographiques par an ! Les radiologues expérimentés savent distinguer les anomalies qui ont un impact sur la survie, des lésions bénignes.
Que pensez-vous de la capacité à détecter des femmes portant une tumeur, même dans le sein opposé à la lésion ?
Cela peut se concevoir. Le cancer est une maladie systémique. Il y a un endroit où la tumeur éclot. Toutefois, on peut imaginer que certains signes précurseurs se retrouvent ailleurs dans l’organisme.
Que pensez-vous du système de détection assistée par ordinateur ?
Actuellement le système de détection assistée par ordinateur (CAD : Computer-Aided Detection) n’est pas performant en radiologie. Il existe encore beaucoup trop de paramètres à prendre en compte pour qu’un ordinateur soit capable d’en faire le tri. Le contact humain est un élément essentiel qui contribue à la bonne prise en charge du patient. La perte de ce contact humain fait peur à de nombreux praticiens et patients. Mais l’utilisation de machines plus performantes dans un futur proche est tout à fait envisageable et nécessitera une adaptation des professionnels de santé.