Dans les suivis d’adolescents, le maintien de la confidentialité peut se révéler problématique. Le médecin est tenu de défendre la sphère privée du patient, mais en même temps de veiller à sa protection. Un cas illustre la difficulté à se mouvoir en poursuivant des valeurs en conflit comme celle de la bienfaisance quand elle s’oppose au respect de l’autonomie et du secret.
Xavier, 17 ans, est diabétique. Son médecin me l’a envoyé, inquiété par une mauvaise adhérence thérapeutique, par des épisodes d’hypoglycémie et un manque certain d’assiduité aux consultations. Il s’agit d’un diabétologue engagé, sensible au malaise existentiel de Xavier.
D’ordinaire je reçois les ados avec leurs parents. Mais cette fois j’accepte de le voir seul en suivant le désir du jeune et de son médecin.
Selon ce dernier, le père, alcool dépendant, est problématique ; la mère « un peu folle ». Je n’étais pas sûr d’être disposé à batailler d’emblée avec des parents difficiles. Xavier, au cours de l’entretien, me confie que sa tristesse était si profonde qu’il songeait au suicide. Il révèle encore qu’un grand-père avait abusé de lui, ce que le diabétologue ignorait. Cet événement pouvait être élaboré ultérieurement… s’il voulait bien revenir. L’urgence consistait dans la gravité du risque suicidaire : celui-ci m’engageait à explorer les ressources et à mettre Xavier à l’abri d’un passage à l’acte. Il avait à disposition de l’insuline et il en connaissait parfaitement les effets… Il insiste pour que je ne parle pas avec ses parents, ni avec son médecin, de ses idées noires.
En médecine, la confidentialité doit être rigoureuse sur les informations « sensibles » venant à la connaissance des soignants et garantir une relation de confiance avec le patient. Les dérives sont insidieuses. Le New York Times révèle par exemple que Facebook ouvre une nouvelle frontière de business. En épiant clic, interactions, même le ton de la voix, au travers d’algorithmes, il dessine le profil du risque suicidaire de ses usagers. A leur insu et sous le prétexte fallacieux de favoriser la prévention ; de fait pour le profit s’il vend ces données aux assureurs.1 De quel droit les big data peuvent-ils violer la sphère privée impunément ?
Les médecins la respectent, mais au risque de compromettre leur action. Il importe pourtant, du point de vue de l’éthique, de problématiser la fonction du secret tout comme de ses limites. Si un adolescent de 17 ans profère des menaces suicidaires sérieuses, le médecin peut-il ne pas interroger le sens et l’ambivalence de son désir et, au nom de la confidentialité, ne pas solliciter les parents, même si le jeune lui a demandé de ne rien leur dire ? Des parents problématiques doivent-ils être nécessairement biffés du registre des personnes ressources pour les jeunes ?
Après négociations, et malgré ses réticences, Xavier accepte d’inviter ses parents à la séance suivante. La rencontre est haute en couleurs : le jeune reste plutôt renfrogné dans son coin. Le père commence par l’accabler de reproches, du style « t’es sonné ? Qu’est-ce que cette idée de vouloir mourir, crétin ? ». Une réaction certes rude, qui accentue son désespoir, mais peut-être aussi signe d’un souci pour lui. A la fin de la séance – après un âpre travail – ils en arrivent tout de même à transmettre à leur fils le souhait qu’il se maintienne en vie et qu’il prenne soin de lui-même. C’est la petite bribe d’engagement des proches qui constitue la meilleure prévention du suicide chez les ados.
En convoquant les parents, en encourageant Xavier à leur révéler ses tourments, j’ai voulu activer la solidarité familiale et créer un filet de protection commun incluant les siens. Quelle est en définitive la finalité éthique du secret ? Parfois, il peut être utile de négocier ferme avec les ados, sans engager une épreuve de force, pour leur permettre de partager leur peine et d’envisager ensemble l’horizon du futur.