C’est l’une des caractéristiques de l’homéopathie : depuis deux siècles elle déchaîne les passions. La dernière poussée de fièvre est observée depuis quelques jours en France. Plus d’une centaine de médecins d’obédiences diverses viennent de signer, dans Le Figaro, une tribune sans équivoque – un texte d’une particulière virulence dans lequel resurgissent des mots que l’on croyait oubliés – à commencer par celui de « charlatan ». Rappel : celles et ceux « qui recherchent la caution morale du titre de médecin pour faire la promotion de fausses thérapies à l’efficacité illusoire ».1
« Des médecins ont décidé d’alerter sur les promesses fantaisistes et l’efficacité non prouvée des médecines dites alternatives comme l’homéopathie, résume Le Figaro. Ce collectif demande l’exclusion de ces disciplines ésotériques du champ médical. » Mais ce collectif va aussi nettement plus loin, accusant notamment le Conseil national français de l’Ordre des médecins. Il rappelle que l’obligation d’honnêteté est inscrite dans les Codes de déontologie des professions médicales ainsi que dans le Code de la santé publique. Ces textes « interdisent le charlatanisme et la tromperie, imposent de ne prescrire et distribuer que des traitements éprouvés ». Ils proscrivent aussi l’usage de remèdes secrets ou ne mentionnant pas clairement les substances qu’ils contiennent. Faudrait-il rappeler que l’Ordre des médecins est chargé de veiller à ce que ses membres n’utilisent pas leur titre pour promouvoir des pratiques dont la science n’a jamais pu prouver l’utilité ? Qu’il doit veiller à ce que les médecins « ne deviennent pas les représentants de commerce d’industries peu scrupuleuses » ? Et qu’il se doit de « sanctionner ceux ayant perdu de vue l’éthique de leur exercice » ?
« Pourtant en 2018, l’Ordre français des médecins tolère des pratiques en désaccord avec son propre Code de déontologie et les pouvoirs publics organisent, voire participent, au financement de certaines de ces pratiques, écrivent les auteurs de la tribune du Figaro. Face à des pratiques de plus en plus nombreuses et ésotériques, et à la défiance grandissante du public vis-à-vis de la médecine scientifique, nous nous devions de réagir avec force et vigueur. »
De toutes les pratiques qualifiées d’« alternatives» (ou jadis de « parallèles ») basées sur des croyances promettant une guérison miraculeuse et sans risques, c’est l’homéopathie qui est le cœur de cible des signataires. « En septembre 2017, le Conseil scientifique des académies des sciences européennes a publié un rapport confirmant l’absence de preuves de l’efficacité de l’homéopathie, rappellent-ils. Dans la plupart des pays développés, les médecins se voient interdire de prescrire des produits homéopathiques. »
Ils observent aussi que ces pratiques sont, en France, coûteuses pour les finances publiques. « Des formations sont assurées dans des structures recevant de l’argent public. Des consultations sont ouvertes dans des hôpitaux, aux dépens d’autres services, accusent-ils. Certains de ces traitements sont pris en charge par l’assurance maladie, largement déficitaire. Ainsi, les produits homéopathiques peuvent être remboursés à 30 % (et jusqu’à 90 % en Alsace-Moselle) avec un statut dérogatoire les dispensant de prouver leur efficacité. »
Et d’ajouter que tout ce système finance une industrie prospère « dont les représentants n’hésitent pas à insulter gravement ceux qui les critiquent ». «Il y a un Ku Klux Klan contre l’homéopathie», déclarait ainsi publiquement2 le président du leader mondial du secteur, Christian Boiron, en juillet 2015.
Au final, les signataires demandent instamment au Conseil de l’Ordre des médecins et au gouvernement français de ne plus autoriser à faire état de leur titre, les médecins ou professionnels de santé qui continuent à promouvoir l’homéopathie et à « ne plus reconnaître les diplômes d’homéopathie, de mésothérapie ou d’acupuncture comme des diplômes ou qualifications médicales ». Ils exhortent aussi les pouvoirs publics et l’assurance maladie à « ne plus rembourser par les cotisations sociales les soins, médicaments ou traitements issus de disciplines refusant leur évaluation scientifique rigoureuse ».
Plus généralement, ils estiment qu’il faut désormais, en France, « exiger de l’ensemble des soignants qu’ils respectent la déontologie de leur profession, en refusant de donner des traitements inutiles ou inefficaces, en proposant des soins en accord avec les recommandations des sociétés savantes et les données les plus récentes de la science ». Le tout « en faisant preuve de pédagogie et d’honnêteté envers leurs patients et en proposant une écoute bienveillante ».
L’homéopathie ne saurait en aucun cas remplacer la médecine
Tout ceci ne pouvait rester sans réponse. Jointe par Le Quotidien du Médecin, l’institution ordinale a rappelé qu’elle reconnaît officiellement quatre médecines « alternatives et complémentaires » : l’homéopathie, l’acupuncture, la mésothérapie et la médecine manuelle ostéopathie. « Si, pour exercer les trois dernières, un médecin doit suivre un diplôme interuniversitaire qui peut donner droit au titre (et donc à l’apposition de la spécialité sur la plaque du médecin), l’homéopathie est considérée comme une simple orientation d’activité – tout médecin peut donc l’exercer », explique l’Ordre.
Il ajoute que cet exercice doit se « faire avec discernement ». « L’homéopathie ne saurait en aucun cas remplacer la médecine », insiste l’institution ordinale. Selon elle, plusieurs médecins ayant fait usage de l’homéopathie en lieu et place de traitements conventionnels ont été « sévèrement sanctionnés » par les chambres disciplinaires, au titre de l’obligation pour un médecin d’assurer « au patient des soins consciencieux, dévoués et fondés sur les données acquises de la science » (article 32 du code de déontologie) et de celle d’apporter « une information loyale, claire et appropriée sur son état, les investigations et les soins qu’il lui propose » (article 35).
Autre voix au chapitre : le Syndicat national des médecins homéopathes de France. Il assure dans un communiqué3 que les homéopathes sont « tout aussi compétents en matière de diagnostic et de prescription médicale, aussi bienveillants envers leurs patients et aussi conscients des limites de leur exercice » que leurs confrères signataires de la tribune du Figaro. « Pourquoi notre pratique dérange-t-elle aussi fortement ceux qui veulent lui dénier toute valeur, voire dénoncer sa « dangerosité », jusqu’à exiger que les médecins et professionnels de santé qui l’utilisent ne puissent plus faire état de leur titre professionnel » demandent-ils.
Ces homéopathes sont soutenus par le syndicat français des médecins libéraux, particulièrement représenté chez les médecins à expertise particulière (MEP). « L’homéopathie est faite par des médecins, capables de poser des diagnostics. Ils n’embarquent par leurs patients sur des pistes de traitement qui ne sont pas pertinentes, fait ainsi valoir le Dr Philippe Vermesch, stomatologue et président de ce syndicat. L’homéopathie rend service, beaucoup de patients se sentent soulagés. La question est celle du bien-être. Le but de la médecine est-il de prescrire des traitements prouvés scientifiquement ou de soulager les patients ? »
Pour l’heure, pesant la dimension politique de l’affaire, le gouvernement français se garde bien d’entrer dans la polémique. Seule voix sur les tréteaux médiatiques : celle de Roselyne Bachelot, pharmacienne de formation, ancienne ministre de la Santé (mai 2007-novembre 2010) devenue animatrice de radio et de plateaux télévisés. Interrogée sur le sujet, Mme Bachelot jugea nécessaire de préciser quelle était son expérience. « J’ai soigné mon chien à l’homéopathie, a-t-elle déclaré sur la chaîne LCI. Ici l’effet placebo est assez limité. Peut-être qu’avec mes granules il se disait cette femme-là me veut du bien… Parce que ça marchait très, très bien ! ». Rires en cascade sur le plateau.