Le diagnostic et le traitement des maladies allergiques représentent un problème de santé publique important. En effet, la prévalence de la rhinoconjonctivite et de l’asthme allergique est en augmentation au niveau mondial et on estime actuellement que 25 % de la population américaine souffre d’une allergie respiratoire.1 Ceci implique des répercussions économiques et sociales non négligeables.
Après exposition à un allergène, l’individu atopique va développer des immunoglobulines d’isotype E (IgE) spécifiques pour l’allergène incriminé. Ces anticorps vont se lier au récepteur principal des IgE sur la surface des mastocytes et des basophiles par l’intermédiaire de leur segment Fcε. Lors d’exposition ultérieure, l’allergène va permettre la formation de liens croisés entre les molécules IgE situées à la surface des cellules et ainsi provoquer la dégranulation des mastocytes et la libération de médiateurs proinflammatoires, tels que l’histamine, les prostaglandines et les leucotriènes, responsables des symptômes d’allergie.
L’immunothérapie spécifique (allergy immunotherapy – AIT en anglais), aussi appelée désensibilisation ou vaccination allergénique, est le seul traitement capable de modifier le cours de la maladie avec un bénéfice potentiellement durable sur les symptômes suite à l’arrêt du traitement bien conduit. L’AIT existe sous deux formes principales : par injection sous-cutanée (subcutaneous immunotherapy – SCIT) ou par comprimés/gouttes sublinguaux (sublingual immunotherapy – SLIT).
La SCIT est la forme d’AIT la plus répandue et étudiée. Son efficacité a été démontrée dans le traitement de la rhinite allergique, avec ou sans conjonctivite, dans l’asthme allergique et dans l’allergie aux venins d’hyménoptères. La SCIT requiert des injections sous-cutanées répétées d’allergène, à intervalles réguliers au cabinet d’un médecin, sur une période s’étendant de trois à cinq ans. Elle comporte un risque non négligeable de réactions allergiques systémiques potentiellement sévères.2
Ces dernières années, la mise en place de régulations strictes exigées par les autorités de surveillance médicale a mené à la diminution, voire à une pénurie dans certains cas de la disponibilité des produits de désensibilisation par voie sous-cutanée. Dans ce contexte, en attendant une meilleure maîtrise de la production des extraits allergéniques injectables, des alternatives thérapeutiques, telles que la SLIT, qui ont aussi bénéficié d’études « pivot » bien menées et récentes, ont trouvé leur place sur le marché.
La SLIT représente une méthode alternative d’AIT. Lors de la SLIT, l’allergène est administré sous forme de comprimé orodispersible ou d’extrait liquide placé sous la langue. Elle peut être prise par le patient lui-même à domicile, ne nécessite pas d’injection et comporte un risque beaucoup plus faible d’anaphylaxie sévère.2 En Europe, environ 45 % des AIT sont administrées sous forme sublinguale.3 En Suisse, ce taux est probablement nettement inférieur. Le niveau qualitatif des études de mises sur le marché a récemment bouleversé ce domaine thérapeutique et a permis de montrer de manière claire et contrôlée l’efficacité de la SLIT pour les allergènes principaux dont les graminées, le pollen de bouleau et les acariens. Il n’en reste pas moins que les produits utilisés sont toujours des extraits totaux d’allergènes, et varient donc qualitativement (et quantitativement) d’un producteur à l’autre.
Dans la majorité des cas, la SLIT est bien tolérée sans effet secondaire majeur. Un impact favorable sur les symptômes est déjà objectivable entre quelques semaines et un an après l’initiation du traitement.4 Par ailleurs, un effet bénéfique de la SLIT sur les symptômes d’allergie est rapporté jusqu’à huit ans après l’arrêt du traitement selon une étude prospective avec suivi des patients sur 15 ans.5
Les débuts de l’AIT remontent à 1911 suite à la publication de Leonard Noon dans The Lancet, qui décrit que l’administration répétée par voie sous-cutanée de phléole purifiée à des patients souffrants de rhinite allergique permet de diminuer les symptômes.6 Si la SCIT connaît un développement important déjà vers la fin des années 80, il faudra attendre 1998 pour que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) reconnaisse la SLIT comme une méthode alternative d’immunothérapie,7 puis la première prise de position sur le sujet (position paper) par la World Allergy Organization (WAO) en 2009,8 permettant son approbation dans la majorité des pays d’Europe. Ce n’est qu’en 2014, que la Food and Drug Administration (FDA) autorise son utilisation aux Etats-Unis.9
Même si les mécanismes physiopathologiques de la SLIT ont été moins bien étudiés que ceux de la SCIT, les études suggèrent que les deux formes d’immunothérapie induisent des changements immunologiques similaires.10
Lors de la SLIT, l’allergène est apprêté par les cellules dendritiques de la muqueuse orale puis présenté aux cellules T dans les organes lymphoïdes secondaires (amygdales et les ganglions lymphatiques adjacents).
L’induction de tolérance allergénique implique la présentation de l’allergène aux cellules T régulatrice (Treg), une sous-population de lymphocytes T CD4 qui joue un rôle majeur dans la tolérance antigénique et qui exprime fortement la sous-unité alpha du récepteur à l’IL-2 (CD25) et le facteur de transcription Forkhead box protein 3 (FoxP3). En réponse à l’allergène, les Treg produisent des cytokines anti-inflammatoires, comme l’IL-10 et le TGF-β. Celles-ci vont agir à différents niveaux : 1) diminuer la production d’IgE tout en favorisant la production d’IgG4 spécifiques à l’allergène par les lymphocytes B ; 2) réduire la libération de leucotriène et prostaglandines proinflammatoires par les mastocytes et les éosinophiles ; 3) induire une tolérance au niveau des voies de signalisation des lymphocytes T en inhibant la costimulation par CD28 et 4) faire basculer la réponse lymphocytaire T CD4 helper Th2 vers une réponse Th1.11 La figure 1 illustre le mécanisme d’action de la SLIT et les différentes interactions cellulaires.
De ce point de vue, il est intéressant de constater que, lors d’une SLIT, il existe une augmentation des IgG4 sériques spécifiques à l’allergène ainsi qu’une augmentation transitoire et précoce des IgE spécifiques, puis une atténuation du pic saisonnier des IgE.12 D’autre part, des études in vitro ont démontré un rôle direct des IgG4 dans l’inhibition de la phase précoce de l’allergie. En effet, ceux-ci sont capables de bloquer la libération de médiateurs proinflammatoires sécrétés par les mastocytes et basophiles stimulés.12,13
Les différentes revues et méta-analyses, qui concernent principalement les hypersensibilités aux pollens d’arbres, aux pollens de graminées et aux acariens de la poussière, ont conclu à des effets variables de la SLIT sur les symptômes d’asthme et de rhinoconjonctivite. Si la majorité des études rapportent un effet bénéfique,14,15 une méta-analyse publiée dans le JAMA en 2015 ne retrouve qu’un bénéfice marginal de la SLIT pour le traitement de la rhinoconjonctivite allergique aux pollens de graminées. Dans cette méta-analyse, la SLIT serait responsable d’une diminution de seulement 10 % du score de symptôme, et le traitement pharmacologique associé serait responsable de la grande majorité de l’effet.16
L’apport de la SLIT sur les symptômes d’asthme semble plus convaincant que sur les atteintes de type rhinoconjonctivite allergique, selon plusieurs méta-analyses et revues systématiques récentes. Celles-ci concernent principalement les populations d’âge pédiatrique, chez qui la SLIT s’avère favorable sur une diminution de l’usage des médicaments utilisés pour le traitement de l’asthme.17–19 De ce point de vue, une revue systématique récente a évalué l’efficacité de la SLIT chez les patients souffrant d’asthme allergique aux acariens de la poussière. L’étude a montré que l’ajout de la SLIT chez des patients souffrant d’un asthme insuffisamment contrôlé permet de retarder la première exacerbation asthmatique durant le servage de stéroïdes inhalés.20
La sensibilisation à l’allergène contenu dans la SLIT doit être confirmée par un test cutané positif ou par un test in vitro par dosage d’IgE spécifiques dirigées contre l’allergène. Le tableau 1 résume les indications et contre-indications à la SLIT.
L’administration de la SLIT en cas d’asthme sévère nécessite une sélection prudente des patients en raison du risque potentiel de bronchospasme et d’hypoxie. Les patients souffrant d’asthme non contrôlé et d’un VEMS < 70 % de la valeur prédite ne sont pas éligibles à ce traitement.20 Les autres contre-indications comprennent l’œsophagite à éosinophiles au vu d’un risque décrit d’aggravation de la maladie,21 un antécédent de réaction systémique ou locale sévère suite à la prise de SLIT et une sensibilisation à un agent inactif contenu dans la SLIT.
Les publications concernant l’administration de la SLIT chez les femmes enceintes proposent de poursuivre une SLIT en cours si celle-ci est bien tolérée. Toutefois, il n’est actuellement pas recommandé d’initier une SLIT chez une femme enceinte.
Le traitement peut être initié de deux manières différentes : soit par une dose d’entretien d’emblée, soit par une ascension des doses sur quelques jours (voire quelques heures). Dans tous les cas, la première dose doit être administrée sous surveillance médicale avec une observation de 30 minutes après prise de l’immunothérapie. Les doses suivantes sont ensuite prises une fois par jour par le patient à domicile. Les comprimés ou gouttes sont déposés sous la langue, où ils restent maintenus au moins une minute ou jusqu’à dissolution complète du comprimé. Le patient ne doit pas boire ni manger pendant les cinq minutes qui suivent.
La SLIT peut être prescrite selon deux schémas : 1) selon un schéma pré-cosaisonnier : la SLIT est débutée 12 à 16 semaines avant la saison de pollinisation de l’allergène concerné et poursuivie jusqu’à la fin de la saison et 2) selon un schéma perannuel. La durée optimale du traitement n’est pas clairement établie, mais la majorité des auteurs préconisent une durée de trois à cinq ans afin de maintenir une tolérance durable et l’absence de récidive des symptômes suite à l’arrêt du traitement.
En Suisse, la SLIT, dans la mesure où elle a fait l’objet d’études contrôlées récentes, est remboursée par l’assurance maladie de base pour la majorité des produits disponibles. Elle peut être prescrite par les médecins généralistes tout comme les spécialistes. Une bonne connaissance de la pratique et des indications de la SLIT est une nécessité absolue. Il est essentiel d’effectuer un bilan allergologique minutieux avant de débuter ce traitement – avec notamment la réalisation de prick-tests cutanés et/ou la recherche d’IgE spécifiques – afin de cibler le ou les allergènes qui seront incorporés dans la SLIT. On ne doit pas s’attendre à des résultats favorables de la désensibilisation, que ce soit avec la SLIT ou la SCIT, si les allergènes concernés ne sont pas identifiés. Le tableau 2 décrit les différentes SLIT disponibles sur le marché en Suisse, leurs indications et leurs prix.
Il est important d’informer le patient que la SLIT doit être interrompue en cas d’inflammation ou de lésion de la cavité orale (mycose buccale, aphtose, lichen plan ou chirurgie dentaire). Aux Etats-Unis, la prescription concomitante d’un auto-injecteur d’adrénaline (Auvi-Q, EpiPen) est recommandée, ce qui n’est pas le cas en Europe.
Un des grands avantages de la SLIT par rapport à la SCIT réside dans la sûreté de ce traitement, qui permet une administration à domicile par le patient lui-même. La fréquence des effets secondaires systémiques est estimée à 0,056 % vs 0,06 à 0,9 % pour la SCIT.4 De rares cas d’allergie sévère (anaphylaxie systémique) ont été rapportés mais restent exceptionnels, avec environ un cas sur un trillion de doses de SLIT,2 sans aucun cas de décès décrit.
Toutefois, la fréquence globale des effets indésirables est significativement plus importante avec la SLIT qu’avec la SCIT, avec des réactions locales touchant jusqu’à 75 %,22 voire 97 %23 des patients selon les études. Ces dernières se traduisent typiquement par un prurit oral, un œdème de la cavité buccale et une irritation de la gorge. Ces réactions surviennent généralement durant la période d’ascension des doses ou durant les premiers jours, voire semaines de traitement et sont généralement transitoires.
Les effets secondaires de la SLIT sont probablement sous-estimés, étant donné que le médicament est pris à domicile par le patient, en l’absence de surveillance médicale. Dès lors, les récits d’effets secondaires dépendent des souvenirs et de l’interprétation du patient. Le taux d’interruption du traitement pour cause d’effets indésirables est estimé à 6 % selon l’étude du JAMA de 2015.16
Comme la SLIT est prise à domicile, l’éducation du patient est primordiale pour que le traitement soit efficace. En effet, les effets secondaires locaux fréquents et parfois intenses, ainsi que la longue durée du traitement sur plusieurs années, sont souvent à l’origine d’une mauvaise adhésion thérapeutique. Une analyse portant sur le renouvellement des ordonnances pour la SLIT montre une diminution des prescriptions à 44, 28 et 13 % à 1, 2 et 3 ans de traitement, respectivement.24 Afin de palier à ce problème, il est essentiel d’organiser un suivi régulier des patients, que nous préconisons d’effectuer au moins tous les trois à six mois.
Les données d’études comparant de manière indirecte l’efficacité de la SCIT par rapport à la SLIT sont controversées, avec deux études en faveur de la SCIT 25,26 et une troisième ne retrouvant pas de différence significative.27 Plus récemment, une méta-analyse portant sur l’efficacité de l’AIT dans l’asthme allergique suggère que la SCIT serait plus efficace que la SLIT.28 Il n’existe à l’heure actuelle que quatre études réalisées en double aveugle, comparant directement l’efficacité des deux techniques. Ces dernières ne retrouvent pas de différence significative en termes d’efficacité sur les symptômes de rhinite ni sur l’usage de la médication antiallergique.29 Toutefois, ces études présentent de nombreuses limitations, en particulier un nombre limité de patients et la réalisation d’une large étude randomisée reste indispensable.
Le choix de la technique d’administration de l’immunothérapie doit se faire sur la base de la disponibilité des produits, des risques attendus et des préférences du patient. L’immunothérapie par SLIT est une option thérapeutique adéquate chez les patients qui présentent une allergie confirmée par Prick tests cutanés ou IgE spécifiques, qui ne présentent pas de contre-indication et qui sont prêts à se soumettre à une désensibilisation s’étendant sur plusieurs années.
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.
▪ L’immunothérapie spécifique est le seul traitement capable de modifier le cours de la maladie avec un effet potentiellement durable à son arrêt
▪ Elle existe sous forme d’administration sous-cutanée (SCIT – subcutaneous immunotherapy) ou sublinguale (SLIT – sublingual immunotherapy)
▪ Face à un manque de disponibilité de la SCIT sur le marché actuel, la SLIT représente une alternative thérapeutique
▪ La plupart des études retrouvent un effet bénéfique de la SLIT pour le traitement de la rhinoconjonctivite et l’asthme allergique
▪ Les grands avantages de la SLIT comprennent l’aspect pratique (prise à domicile autogérée par le patient) et le profil de sécurité (rares cas de réactions systémiques sévères)
▪ L’adhérence thérapeutique est toutefois un obstacle non négligeable qui n’est que peu rencontré dans la SCIT