L’allergie fait partie des maladies chroniques les plus fréquentes impactant sévèrement sur la qualité de vie et ayant une charge sociale majeure (coût, absentéisme, baisse de la productivité, etc.). Les symptômes peuvent répondre aux traitements symptomatiques (antihistaminique et corticostéroïdes topiques ou systémiques). Cependant, le seul traitement pouvant réellement modifier le cours de l’allergie reste l’immunothérapie avec comme but final la diminution de la production d’IgE via des mécanismes qui ne sont encore que partiellement compris.
A l’heure du centième anniversaire de l’immunothérapie, de l’apparition dans les années nonante de l’immunothérapie sublinguale, de la période de disette actuelle concernant la disponibilité des extraits allergéniques et de l’ère des traitements biologiques, un point sur l’utilité de la désensibilisation pour les pneumallergènes chez les patients avec un asthme allergique nous semble important. Dans cet article, nous ne reviendrons pas sur l’efficacité de la désensibilisation pour les pneumallergènes chez les patients atteints de rhinite allergique qui est bien connue et reconnue.
L’asthme est un problème de santé publique affectant plus de 300 millions de personnes à travers le monde. Sa pathophysiologie repose sur une inflammation chronique entraînant une limitation du flux d’air et un remodelage des voies aériennes conduisant aux symptômes connus (dyspnée, toux, sibilances et inconfort thoracique).1 De récentes données montrent que sa pathogenèse a un haut degré d’hétérogénéité et plusieurs sous-groupes de patients ont été identifiés alors que les symptômes sont similaires. Il est donc important d’identifier le type d’asthme du patient pour instaurer un traitement adéquat, en gardant à l’esprit qu’un même patient peut avoir plusieurs mécanismes physiopathologiques différents. Le but de cet article est de nous concentrer sur l’asthme allergique aux pneumallergènes, soit l’asthme de type 2 lié à l’inflammation Th2 menant à l’activité éosinophilique et à la production d’IgE spécifiques entraînant la dégranulation mastocytaire. Les cytokines principales liées à l’inflammation Th2 sont l’IL-4, élément-clé dans la maturation du lymphocyte CD4 en Th2 et dans la production d’IgE, l’IL-5 qui régule le développement, l’activation et le recrutement tissulaire des éosinophiles, et enfin l’IL-13 qui stimule la production de mucus et l’hypersensibilité bronchique et joue également un rôle dans la production d’IgE.2 Les médiateurs relâchés par les mastocytes lors de la dégranulation sont l’histamine, la tryptase, les prostaglandines et d’autres cytokines participant à l’état inflammatoire et à la bronchoconstriction (figure 1).
La majorité des patients asthmatiques peuvent être contrôlés par des traitements bêta-agonistes de courte ou longue durée (BALA) ainsi que par des corticoïdes inhalés (CSI), des antileucotriènes, des anticholinergiques, la théophylline ou des anti-IgE (omalizumab). Ces traitements sont à adapter en fonction des symptômes, selon les recommandations GINA3 (tableau 1). Malgré l’avènement des nouveaux traitements biologiques (anti-IL5, anti IL-4/IL13, etc.) dont l’effet immunomodulateur est en cours d’investigation, le seul traitement actuel permettant de modifier le cours de l’asthme en interférant avec le mécanisme de production des IgE spécifiques reste pour l’heure la désensibilisation ou immunothérapie ayant un effet persistant à l’arrêt des traitements. On remarque d’ailleurs pour la première fois en 2017 que les recommandations internationales du traitement de l’asthme proposent de considérer l’introduction de l’immunothérapie sublinguale chez les patients sensibilisés aux acariens mal contrôlés par les CSI avec un VEMS > 70 %.3
Elle implique l’administration de l’allergène auquel le patient est allergique. Un des buts est de moduler le système immunitaire en augmentant les cellules T régulatrices spécifiques en question, mais pour lequel le mécanisme sous-jacent n’est pas encore totalement compris. L’allergène utilisé lors de l’immunothérapie peut être un pneumallergène (pollens, acariens, animaux, etc.), du venin d’hyménoptères ou des allergènes alimentaires. Nous traiterons dans cet article uniquement des allergènes, des pollens et acariens, trop peu d’études sont à disposition pour les autres. En pratique clinique, il existe une désensibilisation sous-cutanée (SCIT), vieille de plus de cent ans et une désensibilisation orale (SLIT), sous forme de comprimés ou de gouttes. Les deux méthodes (SCIT et SLIT) s’administrent pour une durée totale de trois ans. Les allergènes délivrés sont naturels (intacts) ou modifiés (modification de la tridimension), utilisant des aldéhydes et appelés allergoids.4 La SCIT s’effectue principalement chez l’allergologue en Suisse et la SLIT, après une première dose sous surveillance médicale, peut être prise à domicile. Les effets secondaires sont principalement des réactions locales au site d’injection ou de prise (prurit buccal), les réactions anaphylactiques sont rares et majoritairement réservées à la SCIT, bien que des cas d’anaphylaxie sévère aient été décrits pour la SLIT.5
Ainsi, en association avec un traitement symptomatique bien conduit et chez les patients asthmatiques contrôlés (VEMS > 70 % de la valeur prédite) avec une hypersensibilité à un pneumallergène, l’allergologue peut évoquer l’introduction d’une désensibilisation orientée. Quels effets en attendre : une diminution des symptômes et des traitements symptomatiques, une diminution des exacerbations ou une persistance de l’effet à l’arrêt de l’immunothérapie ? Voilà les questions auxquelles nous allons essayer de répondre.
De nombreuses études, méta-analyses (y compris des revues Cochrane) et quelques études randomisées contrôlées (RCT) sont à disposition pour évaluer la place de la SCIT dans la prise en charge de l’asthme allergique. Cependant, malgré le fait que la SCIT est sur le marché depuis plus de cent ans et le grand nombre de patients désensibilisés, peu d’études randomisées contrôlées bien conduites sont disponibles à ce jour, rendant difficile et prudente l’analyse des méta-analyses et revues disponibles.
En 2010, une revue Cochrane6 montre un bénéfice significatif (basé sur 35 études RCT) de la SCIT dans le traitement des symptômes de l’asthme allergique chez des patients désensibilisés aux pollens et aux acariens. Ce bénéfice n’est pas retrouvé lors de la désensibilisation à un mélange d’allergènes ou aux animaux. Des revues systématiques de moins grande ampleur7 confirment ces résultats. Une méta-analyse, ciblant spécifiquement les études s’intéressant à la désensibilisation aux acariens, retrouve également une diminution significative de l’Asthma Symptom Score et de l’utilisation des traitements symptomatiques de l’asthme. Cette étude ne retrouve cependant pas de bénéfice significatif de la désensibilisation sur les valeurs des fonctions pulmonaires.8
Ainsi, la SCIT semble limiter chez les patients mono ou oligo-sensibilisés (population principalement étudiée), les symptômes d’asthme ainsi que le recours aux traitements symptomatiques.
La SLIT est une méthode de désensibilisation plus récente, datant principalement des années 1990, pour laquelle un nombre d’études moins important que pour la SCIT ont été publiées.
Une revue systématique est publiée dans le JAMA en 20139 et retrouve un bénéfice de la SLIT sur le traitement des symptômes de l’asthme, avec un degré d’évidence élevé ainsi qu’une diminution de l’Asthma Symptom Score, avec un degré d’évidence modérée. De plus, une comparaison à long terme du budésonide inhalé et de la SLIT montre une efficacité similaire sur les symptômes de l’asthme.10 Une grande étude européenne randomisée contrôlée utilisant une SLIT (Grazax, pollens de graminées)11 chez plus de 800 enfants atteints d’une rhinite et d’un asthme allergiques montre une diminution significative de l’utilisation des traitements de l’asthme et des symptômes respiratoires chez les patients désensibilisés. Plus récemment, l’étude analysant pour la première fois une SLIT aux acariens permet la modification des guidelines internationales de prise en charge de l’asthme (GINA)3 en mettant en évidence une majoration du temps avant la première exacerbation asthmatique modérée à sévère chez les patients traités durant les six mois du sevrage de corticostéroïdes inhalés, atteignant ainsi leurs objectifs primaires.12
Ainsi, la SLIT pour les pollens et les acariens diminue l’utilisation des traitements de l’asthme, des symptômes et permet un délai plus long avant la première exacerbation durant le sevrage des corticostéroïdes.12
Dans le cadre des maladies allergiques, le challenge de l’allergologue, outre le traitement de la rhinite allergique, est de pouvoir prévenir l’apparition de l’asthme. Il est effectivement bien décrit qu’un enfant atteint d’une rhinite allergique présente trois fois plus de risques que la population générale de développer un asthme.4
L’European Academy of Allergy and Clinical Immunology (EAACI) a édité en 2016 des guidelines13 de pratique clinique, basés sur l’évidence, dans le but d’évaluer l’utilisation de l’immunothérapie pour les pneumallergènes pour la prévention, entre autres, de l’asthme allergique chez les adultes atteints de rhinite allergique sensibilisés aux pollens ou aux acariens. Cependant, à l’heure actuelle, les guidelines ne permettent pas de recommander ou non la désensibilisation pour la prévention de l’asthme allergique à court (< 2 ans après la fin de la désensibilisation) ou à long terme (> 2 ans après la fin de la désensibilisation). Effectivement, plusieurs études à disposition retrouvent des résultats contradictoires4,11,14,15 et les guidelines de l’EAACI invitent à la prudence lors de l’interprétation des méta-analyses dans lesquelles l’hétérogénéité des études rend les conclusions difficiles.13
Le mécanisme même de la désensibilisation laisse espérer que la « reprogrammation » du système immunitaire puisse aider à prévenir l’apparition de nouvelles sensibilisations chez un individu désensibilisé. Une récente méta-analyse15 intégrant 23 études (douze d’entre elles étudiant l’effet à court terme de la désensibilisation, 11 autres l’effet à long terme) montre une réduction globale du risque de nouvelles sensibilisations. Cependant, après exclusion des études à haut risque de biais, les résultats ne sont pas concluants et ne retrouvent plus la réduction du risque de nouvelles sensibilisations chez les patients désensibilisés, aussi bien à long qu’à court termes.15 Mais, les évidences actuelles viennent principalement d’études non randomisées et rétrospectives avec peu de patients et rendent compliquées l’interprétation des résultats. Ainsi, les guidelines de prévention de l’EAACI de 2016 ne recommandent pas pour l’heure la désensibilisation dans le but de prévenir de nouvelles sensibilisations.
L’immunothérapie pour les pneumallergènes a d’ores et déjà prouvé son efficacité dans le traitement de la rhino-conjonctivite allergique. L’apport de la désensibilisation (SCIT et SLIT) dans le traitement de l’asthme allergique, en particulier l’amélioration des symptômes de l’asthme et la diminution de l’utilisation des traitements symptomatiques, semble également bien établie et a trouvé sa place en 2017 dans les recommandations internationales de la prise en charge de l’asthme (GINA),3 en particulier la désensibilisation sublinguale aux acariens12 chez les patients mal contrôlés par les corticostéroïdes inhalés. Cependant, en particulier pour la désensibilisation sublinguale, plus récente, davantage d’études randomisées contrôlées sont nécessaires pour asseoir sa place dans la prévention de l’asthme allergique chez les patients atteints de rhinite allergique ainsi que dans la prévention de nouvelles sensibilisations. Pour terminer, face au petit nombre d’études comparant SCIT et SLIT, peu d’évidences permettent de donner l’avantage à la désensibilisation sous-cutanée par rapport à la désensibilisation sublinguale dans le traitement de l’asthme allergique. Pour cette raison, le choix entre ces deux types de désensibilisation doit être discuté entre le médecin et le patient.
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.
▪ Tout patient avec un asthme doit avoir un bilan allergologique. En fonction de celui-ci, le patient devrait être adressé pour discuter l’indication à une désensibilisation orientée
▪ La durée de la désensibilisation est de trois ans, quelle que soit la voie choisie (sublinguale ou sous cutanée)
▪ Les bénéfices attendus sont une diminution des symptômes et de l’utilisation des traitements de l’asthme ainsi qu’un délai augmenté avant la première exacerbation modérée à sévère durant le sevrage des corticostéroïdes inhalés (SLIT)
▪ La prévention de nouvelles sensibilisations et de l’apparition de l’asthme sont encore sujettes à débats et nécessitent davantage d’études pour confirmer le bénéfice de l’immunothérapie