Les allergies font partie des maladies les plus fréquentes de notre époque. Selon des estimations récentes, jusqu’à 50 % de la population européenne en serait affectée.1 Parmi toutes les allergies dans le monde occidental, la rhinoconjonctivite allergique (RCA) est la plus fréquente. On estime qu’en Suisse, deux millions d’habitants ont présenté une RCA à un moment donné et que 500 000 personnes ont souffert ou souffrent d’un asthme.2 Les principaux allergènes responsables de rhinoconjonctivite allergique dans nos contrées sont les pollens de graminées, d’arbres et d’herbacées, qui occasionnent une rhinoconjonctivite saisonnière. Cependant, l’étalement des périodes de pollinisation liées au changement climatique peuvent amener à des symptômes quasi-constants chez les individus atteints de RCA polysensibilisés, sans impliquer forcément des allergènes perannuels. Par exemple, les récents hivers chauds ont fait apparaître des pollens de noisetier, habituellement attendus en janvier, en novembre déjà, ce qui a causé une certaine confusion chez les allergiques au pollen qui bénéficiaient d’une forme de trêve durant la période froide.
La RCA persistante est habituellement due à des allergènes perannuels dans l’environnement du patient, comme les acariens de la poussière et les phanères d’animaux domestiques. Cet article a pour but de rappeler au praticien les principaux pollens responsables de rhinite saisonnière en Suisse, de démontrer, à l’aide des principes d’allergologie moléculaire, le lien entre l’allergie au pollen et les fréquentes allergies croisées à des aliments, et de proposer un algorithme diagnostique simple.
Environ 20 % de la population suisse souffre d’une allergie aux pollens.2 Les pollens d’arbres, de graminées et d’herbacées (les « mauvaises herbes »), transportés par le vent sur de longues distances, en sont les principaux déclencheurs. Les arbres qui produisent les pollens responsables de la majorité des RCA appartiennent à la famille des Betulaceae qui comprend notamment le bouleau Betulla verrucosa, l’aulne Alnus glutinosa, le noisetier Corylus avellana et le charme Carpinus betulus. Les protéines des pollens de ces arbres partagent une homologie élevée, ce qui peut expliquer qu’une personne est souvent allergique à plusieurs types de pollen d’arbre de la même famille (par exemple, pollen d’aulne, de bouleau et de noisetier). Les pollens de ces arbres sont présents dans l’air de janvier à mai (figure 1). Ces dernières années, à cause du réchauffement climatique, les pollens du noisetier sont apparus déjà en quantité significative durant les beaux jours de novembre à décembre, au point que chez un patient polysensibilisé, une rhinite allergique peut devenir symptomatique pendant plusieurs mois, voire mimer une rhinite perannuelle.
Le frêne de nos régions Fraxinus excelsior appartient à la famille des oliviers (Oleaceae), bien distincte de celle des Betulaceae. Le pollen du frêne est présent dans l’air en même temps que celui du bouleau, mais ne partage que peu de ressemblances en termes de protéines allergéniques. En Suisse méridionale et surtout au Tessin, le châtaigner (Casteanea sativa), arbre de la famille des Fagaceae, est en train de gagner en importance comme source d’allergènes au vu de la grande quantité de pollens produite. De la même famille des Fagaceae, on citera ici aussi le chêne (Querqus robur), dont la floraison se fait entre avril et mai et qui provoque des symptômes périodiquement, entre la floraison du bouleau et celle des graminées, et le hêtre (Fagus sylvatica) avec une floraison entre avril et mai et une pollinisation importante tous les trois à huit ans seulement. Les cyprès (famille des Cupressaceae) sont une cause importante d’allergie respiratoire dans le pourtour méditerranéen, avec néanmoins plusieurs cas de rhinite rapportés au Tessin. D’autres arbres comme le platane (floraison en avril et mai) et le peuplier peuvent également contribuer aux allergies respiratoires chez les personnes sensibilisées.
Les pollens de graminées (famille des Poaceae) sont une première cause de rhinite allergique. Ils sont produits en grande quantité et responsables de symptômes respiratoires pendant les mois de mai à juillet. Les représentants principaux des graminées sont la phléole des prés (Phleum pratense) et le dactyle (Dactylus glomerata). La pollinose de la fin d’été, qui apparaît d’août à septembre, est déclenchée par les pollens d’herbacées, notamment l’armoise (Artemisia vulgaris) et l’ambroisie (Ambrosia artemisifolia), présentes surtout au Tessin et à Genève, moins fréquentes dans le Canton Vaud à cause des mesures d’arrachage efficaces. Nous citerons encore ici aussi la verge d’or ou solidage (Solidago gigantea) qui constitue une communauté d’allergènes avec l’armoise et les autres composées, mais qui pose des problèmes en général mineurs en raison de la pollinisation entomophile (peu de pollens dans l’air), et les chénopodes (famille des Amaranthaceae), une des premières plantes à coloniser les sols fraîchement remués.
A noter toutefois que la lecture/interprétation au microscope des capteurs de pollens installés aux quatre coins de la Suisse est rétrospective, car faite sur la récolte de pollens des jours précédents. Ainsi, les données du bulletin météo (www.meteosuisse.ch; www.pollenundallergie.ch) indiquent les taux de pollens de la semaine précédente et sont peu précises pour prédire l’exposition aux pollens à un jour donné (par exemple, en prévision d’une activité à l’extérieur). La figure 2 montre la concentration des principaux pollens listés plus haut en fonction du mois de l’année pour la ville de Lausanne.
La rhinite allergique est une inflammation de la muqueuse nasale médiée par les IgE. Le contact avec les allergènes au niveau des muqueuses induit une réaction inflammatoire intense, principalement sur dégranulation des mastocytes activés par l’intermédiaire d’anticorps IgE à leur surface, reconnaissant de manière spécifique l’allergène en question. Un contact répété avec des allergènes occasionne une réaction inflammatoire plus chronique, impliquant des éléments cellulaires comme les polynucléaires éosinophiles et pouvant amener à un remaniement irréversible des tissus affectés, surtout au niveau pulmonaire. La majorité des individus atteints de RCA se sensibilise durant l’enfance et l’adolescence aux allergènes de l’environnement. Le mécanisme qui mène à cette sensibilisation implique une prédisposition génétique (le « terrain atopique »), des facteurs épigénétiques et environnementaux (pollution, agents infectieux et autres.). Une personne sensibilisée à un allergène ne va pas forcément réagir lors de l’exposition à l’allergène en question, mais est à risque de le faire un jour.
Les symptômes classiques de RCA sont une rougeur et un larmoiement des yeux, un écoulement et une obstruction du nez, des éternuements en série, une fatigue, des maux de gorge, des troubles du sommeil. La maladie peut avoir des répercussions sur les activités de la vie quotidienne (école, travail, sport) jusqu’à avoir un impact sur la mortalité pour différentes raisons (augmentation du risque cardiovasculaire, des accidents de voiture, etc.).3,4 Elle représente en outre un facteur de risque (8 x) pour le développement d’un asthme.5
En raison d’une homologie entre les protéines des pollens d’arbres (typiquement ceux du bouleau) et celles de certains aliments végétaux, environs 50 % des patients atteints de RCA développent un syndrome oral croisé avec des fruits ou des légumes, surtout sous forme crue. Le syndrome oral croisé lié à l’allergène majeur du pollen de bouleau (Bet v 1 – membre de la famille des protéines PR-10) et ses homologues parmi les fruits et les légumes crus s’atténue, voire disparaît à la cuisson des aliments, car les protéines en question sont dénaturées par la chaleur et ne sont ainsi plus reconnues par les IgE. Certains allergiques aux pollens d’armoise développent une allergie croisée avec le céleri et d’autres plantes aromatiques, dénommée syndrome céleri-épices. D’autres sensibilisés à la protéine LTP du pollen d’armoise (rArt v3) présentent une allergie croisée souvent sévère à d’autres protéines LTP largement représentées dans le domaine végétal et qui ont la caractéristique d’être thermostables.6
L’anamnèse joue un rôle principal dans le diagnostic, et il est possible de s’y limiter si le calendrier des symptômes est suffisamment précis pour définir la période des pollens responsables et qu’il n’y a pas d’intention de désensibilisation. A ce stade, il n’y a pas d’intérêt particulier à définir le profil des sensibilisations de manière exacte. Un écoulement et une obstruction du nez, des éternuements en série, un prurit local qui persiste plus de deux heures par jour pendant au moins deux semaines sont évocateurs d’une rhinite allergique. Les recommandations ARIA (Allergic Rhinitis and its impact on Asthma) font une distinction entre des formes intermittentes (durée des symptômes < 4 jours par semaines ou < 4 semaines) et persistantes (symptômes > 4 jours par semaine et > 4 semaines) selon la durée des symptômes et séparent les formes légères des modérées à sévères selon l’impact sur la qualité de vie.7 Une classification plus pragmatique basée sur la période de l’année (symptômes intermittents – saisonniers vs persistants) et les situations dans lesquelles les symptômes apparaissent ou s’accentuent (lieu de travail vs maison) peuvent aider à identifier les allergènes responsables (tableau 1). Le médecin de famille, devant une suspicion de rhinite allergique, peut utiliser un test de dépistage comme le Phadiatop (détection d’IgE spécifiques dirigés contre un mélange des principaux aéroallergènes) pour renforcer son degré de suspicion. Il pourra ainsi décider en cas de besoin (par exemple, inefficacité du traitement proposé ou indication à une désensibilisation) d’envoyer le patient chez un allergologue pour des tests plus spécifiques. Par contre, devant une rhinite perannuelle avec test de dépistage allergique négatif, le diagnostic différentiel est large et comprend en premier lieu des causes médicamenteuses/toxiques (notamment l’utilisation prolongée de vasoconstricteurs ou l’abus de cocaïne), anatomiques (par exemple, déviation de la cloison nasale), hormonales (grossesse, dysthyroïdie), infectieuses, inflammatoires (par exemple, syndrome de Widal avec la triade de polypose nasale, asthme et intolérance aux AINS) ou plus rarement autoimmunes (granulomatose avec polyangéite, sarcoïdose, polychondrite atrophiante).8 La figure 3 contient un arbre décisionnel pour le diagnostic de la rhinite allergique qui résume les étapes proposées.
Après l’anamnèse et éventuellement les tests de dépistages dans les mains du praticien généraliste, l’étape suivante consiste à identifier de manière précise les allergènes impliqués, un rôle dévolu en principe au spécialiste en allergologie. Dans un premier temps, on favorise avant tout les tests in vitro et en prick basés sur l’utilisation de solutions commerciales avec des extraits totaux de pollens. Les tests cutanés en prick étant particulièrement sensibles et spécifiques, normalement, ce premier bilan est suffisant pour poser le diagnostic d’allergie qui nécessite la concordance de symptômes compatibles et la mise en évidence d’une sensibilisation aux pollens impliqués. En cas de doute diagnostique (prick-tests non conclusifs), on peut recourir à des examens in vitro pour la confirmation de la sensibilisation : le but de ces examens est de mettre en évidence des IgE spécifiques contre un extrait « global » de pollen. Si le doute diagnostique persiste (forte suspicion à l’anamnèse, mais avec des tests cutanés et in vitro négatifs), le bilan peut être complété par des tests de provocation conjonctivaux ou nasaux.9 Chez un individu testé, la mise en évidence d’IgE spécifiques contre un allergène sans symptôme occasionné au contact avec ce dernier parle en faveur d’une sensibilisation et non d’une allergie.
Si la période des symptômes de rhinoconjonctivite intermittente est corrélée avec la présence d’allergènes respiratoires détectés par prick-tests et/ou IgE spécifiques sériques (par exemple : rhinoconjonctivite en mai et juin avec un prick-test positif aux pollens de graminées), le diagnostic de RCA saisonnière est posé. Il est important d’établir un profil de sensibilisation suffisamment détaillé aux pollens, en particulier lorsqu’on projette de débuter une désensibilisation. Cette dernière est hautement spécifique des allergènes et un mauvais diagnostic allergologique ne peut conduire qu’à un échec. Il en est de même pour la mise en place de mesures d’éviction.
Le profil des allergènes respiratoires permet également d’expliquer dans une certaine mesure des allergies croisées à des aliments. C’est dans ce domaine des allergies croisées que l’apport de l’allergologie moléculaire prend toute son utilité. Cette technique permet d’identifier exactement la protéine contre laquelle l’IgE spécifique d’un patient est dirigée, et donc à laquelle le patient est allergique. Tous les pollens, à la base d’un mélange d’allergènes, peuvent être décomposés en une série d’allergènes spécifiques. C’est grâce au génie génétique que ces allergènes individuels ont pu être clonés et identifiés, d’où leur qualificatif de « recombinant ». Certains isolés restent néanmoins simplement purifiés et non pas recombinants. On peut distinguer, au sein d’une même source de protéines allergéniques, des allergènes majeurs = fréquents (> 50 % des cas de sensibilisation) et des allergènes mineurs = peu fréquent (< 50 % des cas de sensibilisation). Parmi les allergènes mineurs, on compte la famille des profilines ou des polcalcines reconnues par environ 20 % des allergiques. Parmi ceux majeurs, on compte par exemple, Bet v 1, l’allergène principal du pollen de bouleau ou Phl p 1, l’allergène principal du pollen des graminées. Ces divers allergènes ont pu d’autre part être classifiés en diverses familles d’allergènes qui, au-delà d’un aspect botanique de classification, apparaissent avoir une certaine valeur prédictive du degré de sévérité de la réaction allergique. La famille des protéines PR-10 (pathogenesis related-10) sont des protéines homologues de Bet v 1, thermolabiles, souvent associées à des symptômes locaux tels que le syndrome oral croisé, ainsi que souvent à des réactions allergiques à des fruits et légumes dans le nord de l’Europe (picotement au niveau de la langue et du palais avec parfois un œdème localisé). La famille des LTP (non-specific Lipid Transfer Protein, nsLTP) est composée de protéines stables à la chaleur et à la digestion, provoquant des réactions aux aliments cuits également. Elles sont fréquemment associées à des réactions systémiques et plus sévères telles qu’urticaire, angiœdème, voire asthme et choc anaphylactique.10 La sensibilisation contre cette famille de protéines est assez typique du sud de l’Europe (Espagne), mais depuis quelques années un nombre croissant de cas sont rapportés en Suisse. Quant à la famille des profilines, elles sont rarement associées à des symptômes cliniques mais, chez une minorité de patients, peuvent provoquer des réactions même sévères. Par exemple, le fait qu’un patient soit sensible à la protéine Bet v 1 et qu’il ait développé dans ce contexte une réaction orale à l’ingestion de cacahouètes est de bien meilleur pronostic que s’il s’était montré sensible à une protéine propre de la cacahouète telle que Ara h 1, une protéine de stockage.
Ainsi le diagnostic allergologique moléculaire permet de distinguer entre une sensibilisation à un allergène majeur ou mineur, d’expliquer la nature et l’importance d’éventuelles réactions allergiques croisées, de proposer un schéma d’éviction et éventuellement de prédire la réponse à un traitement de désensibilisation.11 En comparaison, les tests diagnostiques basés sur des extraits totaux, par exemple, « pollen de bouleau », sont souvent plus sensibles et permettent d’établir un premier profil à moindre coût. Le diagnostic moléculaire ne devrait de ce fait pas être utilisé comme test de dépistage, mais uniquement pour des questions précises. Notamment, avant de prescrire une immunothérapie spécifique aux pollens, il est recommandé de s’assurer que la personne destinée à être soumise à ce traitement soit bien sensibilisée à des allergènes majeurs, car ce sont ces derniers qui sont contenus en plus grande quantité dans l’extrait de désensibilisation. Ainsi, une immunothérapie spécifique ne devrait être proposée que si le patient est sensibilisé au moins à un allergène majeur (pour le bouleau par exemple, Bet v 1).
La rhinite allergique saisonnière est une pathologie qui affecte près d’un quart de la population. La démarche diagnostique se base sur différentes étapes, dont les principales restent l’anamnèse et la mise en évidence d’une sensibilisation contre le pollen soupçonné. La plupart du temps, la période symptomatique permet de déduire à quels pollens la personne affectée est sensible. D’autres éléments comme la présence d’un syndrome oral croisé peuvent orienter le diagnostic sur le type de pollens impliqué dans la sensibilisation primaire. Cependant, la polysensibilisation à des allergènes saisonniers et l’élargissement des périodes de pollinisation liée au réchauffement climatique peuvent occasionner des symptômes quasi-persistants, qui peuvent évoquer une rhinite allergique peranuelle. Il y a alors intérêt de pratiquer un bilan plus approfondi, également indiqué en cas de mauvaise réponse aux traitements symptomatiques. Le dosage d’IgE spécifiques contre des allergènes moléculaires peut apporter des informations précieuses notamment en cas d’allergies croisées sévères ou en prévision d’une désensibilisation, mais est peu utile dans le bilan initial d’une rhinoconjonctivite allergique.
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.
▪ L’anamnèse joue un rôle fondamental dans la démarche diagnostique de l’allergie
▪ La confirmation d’une allergie nécessite la corrélation entre symptômes et exposition à l’allergène et la démonstration d’une sensibilisation
▪ L’allergologie moléculaire affine le diagnostic lorsqu’il s’agit d’instaurer des mesures d’éviction alimentaire ou de prescrire une immunothérapie spécifique
▪ Avec le réchauffement climatique, l’exposition à un pollen donné, notamment aux pollens précoces, peut durer considérablement plus longtemps