Pas de thérapeutique sans bonne sémantique. Sous l’intitulé « Comment mieux accompagner les patients en fin de vie ? » la Haute Autorité française de Santé (HAS) vient de publier un document important : un « guide de référence sur la sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès ».1 Ce document, destiné aux soignants, permet de clarifier les termes de la loi française en vigueur concernant la fin de vie (dite loi « Claeys-Leonetti). Il décrit précisément les modalités obligatoires et l’organisation nécessaire pour mettre en œuvre cette sédation.
« Pratiques sédatives à visée palliative en fin de vie » ? On désigne ainsi les différents types de sédation destinés à soulager les douleurs du patient parvenu en fin de vie. « C’est la recherche, par des moyens médicamenteux, d’une diminution de la vigilance, pouvant aller jusqu’à la perte de conscience, précise la HAS. Leur but est de diminuer ou de faire disparaître une souffrance vécue comme insupportable par le patient, alors que tous les autres moyens disponibles et adaptés ont été proposés ou mis en œuvre et n’ont pas permis de le soulager. »
Cette sédation peut être mise en œuvre lorsque le patient souffre d’une pathologie en phase avancée ou terminale, dans un contexte d’urgence (hémorragie massive, asphyxie, détresse respiratoire, etc.) ou pour répondre à une souffrance réfractaire (douleur, confusion mentale, dyspnée…). Elle peut être de profondeur proportionnelle à l’intensité des symptômes et réversible ou profonde et continue maintenue jusqu’au décès.
« La sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès (SPCMD) permet quant à elle une altération de la conscience qui sera poursuivie jusqu’au décès, souligne la HAS. Encadrée par la loi, elle peut être mise en œuvre à l’initiative des professionnels ou à la demande d’un patient, au cours de situations précises, dans un établissement hospitalier, au domicile ou en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes. »
Pour en finir avec les accusations récurrentes d’hypocrisie, cette institution explique, simplement, les différences entre cette « sédation profonde » et l’euthanasie. « Six caractéristiques différencient la sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès de l’euthanasie : l’intention, le moyen pour atteindre le résultat, la procédure, le résultat, la temporalité et la législation. »
Six caractéristiques différencient la sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès de l’euthanasie
Intention : d’un côté « soulager une souffrance réfractaire », de l’autre « répondre à la demande de mort du patient ». Moyen : « Altérer la conscience profondément » ; « Provoquer la mort ». Procédure : « Utilisation d’un médicament sédatif avec des doses adaptées pour obtenir une sédation profonde » ; « Utilisation d’un médicament à dose létale ». Résultat : « Sédation profonde poursuivie jusqu’au décès dû à l’évolution naturelle de la maladie » ; « Mort immédiate du patient ». Temporalité : « La mort survient dans un délai qui ne peut pas être prévu » ; « La mort est provoquée rapidement par un produit létal ». Législation : la sédation profonde est, en France, autorisée par la loi quand l’euthanasie est illégale considérée comme un homicide, un empoisonnement, voire un assassinat.
En pratique, le moment venu, l’évaluation de l’état du patient doit être réalisée par l’équipe pluriprofessionnelle qui assure sa prise en charge. Selon son expérience dans ce domaine, le médecin pourra s’appuyer précocement sur une équipe de soins palliatifs (entrevue, entretien par téléphone ou visioconférence). « La demande ayant un caractère dynamique et évolutif, les entretiens seront répétés, mais le délai doit être approprié pour ne pas retarder la mise en œuvre des moyens nécessaires au soulagement du patient, précise la HAS. »
Autant que faire se peut, le patient est informé des possibilités thérapeutiques incluant les autres pratiques sédatives, des termes de la loi et des conséquences de sa demande – le maintien d’une altération de la conscience jusqu’au décès. Les professionnels doivent encourager le dialogue préalable entre le patient et ses proches. Une procédure collégiale est obligatoire avant toute décision de SPCMD : concertation du médecin en charge du patient avec les membres présents de l’équipe de soins et avis motivé d’au moins un médecin extérieur à l’équipe, appelé en qualité de consultant. Au final, toutefois, c’est le médecin en charge du patient qui prend seul la décision de réaliser ou non la sédation. Il en informe tous les participants, le patient ou, si celui-ci est hors d’état d’exprimer sa volonté, sa personne de confiance ou à défaut la famille ou l’un des proches, et il formalise sa décision et ses motivations dans le dossier du patient.
Au chapitre des médicaments de la sédation, la HAS précise que le plus utilisé est le midazolam. Médicament de première intention, il est utilisable par toutes les voies d’administration en privilégiant la voie intraveineuse, quels que soient l’âge et le lieu. Il est administré soit avec une dose de charge réalisée par titration – suivie d’une dose d’entretien, soit avec une dose d’entretien d’emblée à augmenter progressivement. La possibilité d’un réveil, notamment lors des soins ou du nursing, est anticipée par l’injection ponctuelle d’une dose complémentaire d’antalgique et de sédatif.
Selon la HAS, d’autres médicaments peuvent être utilisés mais leurs posologies n’ont pas été établies dans la sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès : les benzodiazépines à demi-vie longue (diazépam, clorazépate dipotassique, clonazépam) ; les neuroleptiques sédatifs (chlorpromazine, lévomépromazine) en complément de la benzodiazépine ; le phénobarbital, administré par une équipe experte dans son maniement, ou encore propofol et oxybate de sodium en s’entourant de la compétence d’un médecin anesthésiste-réanimateur. Les opioïdes seuls ne doivent pas être utilisés pour induire une sédation ; ils seront poursuivis ou renforcés pour contrôler les douleurs et les dyspnées.
Ensuite l’évaluation et la surveillance reposent sur l’évaluation clinique de l’équipe de soins – incluant des échelles pour mesurer la profondeur de la sédation (Richmond ou Rudkin) et le degré de soulagement du patient (Algoplus, ECPA3 notamment, RDOS3) ainsi que la surveillance des effets indésirables. Ces gestes sont réalisés toutes les 15 minutes pendant la première heure puis, au minimum, deux fois par jour à domicile, trois fois par jour en établissement hospitalier. « Parmi les paramètres physiologiques, seuls le rythme respiratoire et le pouls sont surveillés. Les éléments recueillis sont notés dans un cahier de transmission, ajoute le guide de la HAS. Seuls les traitements participant au maintien du confort du patient sont poursuivis. Les traitements antalgiques sont systématiques. L’hydratation et la nutrition artificielles devraient être arrêtées ; un maintien a minima de l’hydratation peut être nécessaire pour répondre à la volonté des proches malgré les explications fournies (source d’inconfort, besoins hydriques réduits, etc.). Les soins de confort sont poursuivis ou instaurés en respectant l’intégrité physique et morale du patient et en lui parlant (soins de bouche, hygiène, etc.). »
Dans tous les cas, le soutien des proches mais aussi des professionnels doit être assuré. Pour les proches : écoute et bienveillance, conseils pour aider le patient, informations régulières sur son état, proposition d’un soutien social, psychologique et/ou spirituel. Pour les professionnels, la souffrance peut être intense. « Elle peut être atténuée, conclut le guide de la HAS. Notamment par la participation de toute l’équipe de soins au processus conduisant à la décision de sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès ; par l’attention portée en équipe à la souffrance d’un de ses membres ; par son repérage qui doit être précoce ; par des réunions de débriefing, des groupes de parole avec l’appui d’un professionnel expérimenté, extérieur à l’équipe, des prises en charge individuelle avec un psychiatre ou un psychologue clinicien. »