L’arthrose est l’une des principales causes de handicap physique dans le monde et touche environ 30 % de la population globale.1 La douleur est un signe cardinal dans l’arthrose, plus précoce que la rigidité articulaire ou la limitation fonctionnelle. En Europe, jusqu’à 20 % des consultations pour des douleurs chroniques sont liées à l’arthrose. De par son influence négative sur la mobilité physique, elle contribue à la sédentarité et au développement de maladies métaboliques, dont l’impact socioéconomique et psychologique est majeur.2 Avec l’augmentation de la durée de vie et la surcharge pondérale grandissante, le nombre de personnes souffrant de douleurs arthrosiques est en croissance constante.
L’arthrose est une maladie hétérogène avec une pathogenèse complexe, soumise à de multiples influences exogènes et endogènes. De plus, chaque articulation peut montrer des effets spécifiques de ces influences. Alors que les facteurs mécaniques jouent un rôle clé pour les articulations des membres inférieurs, ce sont plutôt des facteurs métaboliques ou génétiques qui prédominent pour les articulations des mains ou des facettes vertébrales.
Dans cet article, nous nous focaliserons sur les connaissances actuelles des douleurs d’arthrose, les facteurs contributifs et des options thérapeutiques, à disposition et à venir.
L’arthrose est une maladie multifactorielle affectant l’ensemble de l’articulation et ses structures adjacentes : les ligaments et cartilage, la membrane synoviale, l’os, ainsi que les muscles et leurs enthèses. Lors du développement de l’arthrose, chacune de ces structures subit des modifications. Des changements dans la biomécanique, comme après un traumatisme, en présence d’un défaut d’alignement (varus/valgus), ou une surcharge articulaire peuvent constituer des facteurs déclencheurs et de maintien de l’arthrose. Pour les articulations des mains, les origines sont plus souvent d’ordre métabolique, comme l’hypercholestérolémie, ou d’ordre génétique.
Un des premiers changements lors du développement de l’arthrose est l’inflammation de la membrane synoviale, observée dans environ 50 % des cas. Outre des causes biomécaniques, une synovite peut être provoquée par des cristaux, du détritus de cartilage endommagé ou par une hypercholestérolémie.3 Via une stimulation des ostéoclastes, la synovite contribue à la destruction du cartilage et au remodelage de l’os sous-chondral, les deux composantes formant une entité d’absorption de choc et de distribution équitable des charges. Lors du développement de l’arthrose, l’os sous-chondral, fortement vascularisé, s’épaissit, perdant ainsi sa capacité nutritive (ostéosclérose), ce qui favorise la calcification du cartilage. La néogenèse de vaisseaux et de terminaisons nerveuses observée joue possiblement un rôle dans la survenue de douleurs (figure 1).
Le cartilage, incriminé comme acteur principal de l’arthrose, est une structure avasculaire et sans innervation. En soi, il est incapable de générer une douleur ou de l’inflammation. Ce n’est que récemment que le rôle des structures adjacentes comme la membrane synoviale, le périoste et l’os sous-chondral, la capsule et l’appareil musculoligamentaire a été reconnu dans la présentation clinique. Toutes ces composantes sont densément innervées par des fibres nociceptives de types Ad et C. Normalement, ces nocicepteurs sont activés seulement lors d’un stimulus, par exemple mécanique puissant, comme lors de mouvements extrêmes. Or, en présence d’inflammation, le seuil d’activation des nocicepteurs est diminué (sensibilisation périphérique), générant une hyperalgésie.
Dans la phase initiale de l’arthrose, lorsque les plaintes ne surviennent que lors de la mise en charge, la clinique peut être expliquée par le concept de douleur nociceptive, liée à la destruction structurelle et aux processus inflammatoires locaux. Dans les stades avancés par contre, les douleurs sont souvent aussi présentes au repos, même la nuit. Plus de 30 % des patients décrivent aussi des sensations de brûlures, des douleurs référées ou une hyperalgésie à distance, signes souvent associés à des douleurs neuropathiques.4 La perte de proprioception est un autre indice d’une composante d’ordre neuronal. Lors de la progression de la maladie, des modifications de l’innervation sous la forme de perte ou de néogenèse de terminaisons nerveuses, similaires à des névromes, ont été démontrées. Une néovascularisation de la jonction ostéochondrale a aussi été observée. Elle peut être accompagnée par des fibres sympathiques et sensitives et ainsi contribuer à la symptomatologie douloureuse. Une amplification, en périphérie ou au niveau central, de la moelle épinière ou des zones du cortex cérébral (pain matrix) pourrait constituer une autre explication. L’hypothèse de leur contribution est soutenue par des tests sensoriels quantitatifs (QST) et des IRM fonctionnelles. De plus, dans les stades chroniques, une diminution de la matière grise cérébrale au niveau thalamique a été observée. Après le remplacement prothétique de la hanche concernée, ces modifications sont réversibles dans un délai de six à neuf mois, témoignant d’une plasticité du système nerveux des douleurs d’arthrose.5
Cliniquement, l’arthrose montre une expression non linéaire et les douleurs se présentent souvent en poussées. Il est fréquent de ne pas trouver de corrélation directe entre les modifications structurelles radiologiques et l’intensité de la douleur. Aussi, le ressenti de la douleur peut être modulé par de nombreux éléments, psychologiques ou génétiques. Dans l’arthrose du genou, les femmes semblent rapporter des douleurs plus importantes, indépendamment de l’étendue de la destruction articulaire. Une influence des changements hormonaux lors de la ménopause a été reconnue. En plus de la contrainte biomécanique, l’obésité influence le processus arthrosique via la présence d’un état inflammatoire généralisé. Les macrophages, présents en grand nombre dans le tissu adipeux, interfèrent avec la dégradation de cartilage. Ainsi, chez des patients atteints d’arthrose érosive des mains, les douleurs ont été plus marquées en présence d’obésité comparées aux patients de poids normal.6 Pour l’arthrose des genoux, une diminution de douleurs est déjà observée après une réduction de poids de 5 %.7 Le diabète est un autre facteur renforçant les douleurs arthrosiques, notamment pour l’arthrose érosive des mains et la gonarthrose. Après le remplacement prothétique de l’articulation atteinte, les patients diabétiques montrent plus fréquemment des douleurs persistantes.8
Le but d’un traitement standard consiste à diminuer les symptômes et à prolonger l’intervalle jusqu’au remplacement prothétique de l’articulation touchée. Par similarité à l’échelle thérapeutique des douleurs établie par l’OMS, des recommandations d’une thérapie échelonnée ont été établies dans de nombreuses recommandations internationales (figure 2).9,10
Tout traitement d’arthrose est en première instance biomécanique, avec notamment une optimisation du poids et une amélioration des axes biomécaniques. Même si bouger une articulation atteinte d’arthrose est souvent douloureux, l’activité physique a démontré des effets antalgiques significatifs. Des mouvements ciblés et bien dosés entraînent l’expression de puissants anti-inflammatoires endogènes. Ainsi, maintenir une bonne mobilité des articulations et une musculature adéquate constitue l’une des approches thérapeutiques non pharmacologiques principales. Une bonne préparation physique avant le remplacement prothétique diminue aussi l’incidence de douleurs postopératoires persistantes.11
Le traitement initial recommandé pour des douleurs d’arthrose reste à ce jour le paracétamol, même si son efficacité pour cette indication est discutable.12 Les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) sont recommandés en deuxième ligne, par application topique, puis par voie orale. Parmi les plus efficaces, on trouve l’étoricoxib (Arcoxia, 60 mg/jour) et le diclofénac (Voltaren, 150 mg/jour).12 Ces médicaments n’ayant aucun effet sur la pathologie de base, leur utilisation doit se faire uniquement selon les douleurs, une prescription à schéma fixe étant à éviter. Elle peut s’additionner d’injection intra-articulaire de corticostéroïdes, utiles dans les cas d’arthrose modérée à sévère, offrant une diminution des douleurs de quatre à huit semaines. En raison d’effets secondaires au long cours, le traitement de l’arthrose par des opioïdes doit rester une exception.
En raison du manque de preuves d’efficacité, le sulfate de chondroïtine ou les glucosamines ne peuvent pas être recommandés systématiquement. Les injections d’acide hyaluronique peuvent avoir des effets bénéfiques sur les douleurs et la mobilité articulaire, mais en raison de son effet inconstant, ce traitement n’obtient pas de recommandation universelle.
Les antidépresseurs tricycliques et les gabapentinoïdes ont montré une efficacité seulement pour les douleurs neuropathiques. Même si dans l’arthrose cette composante reste débattue, les patients décrivant des symptômes neuropathiques montraient un bénéfice de l’association d’AINS avec la prégabaline. La duloxétine, un inhibiteur de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline, a montré une bonne efficacité pour les douleurs chroniques et peut constituer une alternative aux opioïdes.10,13
Les bisphosphonates diminuent la résorption osseuse via l’inhibition des ostéoclastes et, dans certaines études, ont démontré un bon effet antalgique. Par contre, une méta-analyse récente n’a pas pu confirmer cet effet bénéfique, ni en termes de diminution de douleurs, ni pour la progression de la maladie.14
La quête des disease-modifying drugs, des médicaments qui permettent de ralentir la progression de la maladie, constitue aujourd’hui un grand enjeu. Les cibles sont notamment la diminution de la dégradation de cartilage ainsi que sa régénération.
Parmi les médiateurs responsables des douleurs, le nerve growth factor (NGF), une composante importante des fibres C, est particulièrement intéressant. Chez les rats, son blocage via des anticorps anti-NGF a réduit les douleurs et diminué le nombre d’ostéoclastes dans les zones sous-chondrales. Les premiers résultats chez les humains ont montré un excellent effet antalgique, mais la survenue d’une arthrose destructrice rapidement progressive a mis un terme transitoire à ce traitement. D’autres approches comme la neutralisation de médiateurs inflammatoires sont en cours d’investigation. Même si les premiers résultats pour l’arthrose érosive des mains ont été négatifs, un effet bénéfique pourrait être attendu, notamment pour la gonarthrose. Le blocage des récepteurs TRKA ou TRPV1, tous deux impliqués dans la transmission du signal douloureux, est une autre cible de la recherche actuelle. Dans les études précliniques, ils ont démontré de puissants effets analgésiques.15
Afin d’améliorer les perspectives des patients atteints d’arthrose et de leur permettre de retrouver une vie avec moins de douleur, une meilleure compréhension de la maladie et de sa présentation clinique est nécessaire. La recherche récente a identifié des éléments en faveur d’un concept de douleur mixte, inflammatoire et neuropathique, notamment dans les stades avancés. L’approche thérapeutique se doit d’être multimodale et ciblée sur les facteurs propres à chaque patient. Le traitement idéal doit tenir compte des processus locaux, des altérations du système nociceptif, de l’inclusion d’une potentielle composante neuropathique ainsi que de l’optimalisation des comorbidités.
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.
▪ La prise en charge optimale de la douleur arthrosique nécessite une compréhension des processus pathologiques et la reconnaissance d’une potentielle composante neuropathique
▪ Une optimalisation des facteurs favorisants, autant biomécaniques que métaboliques, constitue le premier pas dans l’approche thérapeutique
▪ Le traitement antalgique médicamenteux se veut échelonné. malgré un bénéfice souvent insuffisant, le traitement initial reste basé sur le paracétamol et les AINS
▪ L’adjonction de substances de types antidépresseurs ou gabapentinoïdes peut, en diminuant la composante neuropathique des douleurs, aider à éviter un traitement avec des opioïdes