La Suisse, à l’instar des autres pays européens, connaît un vieillissement démographique en raison d’une faible natalité et d’un allongement de la durée de vie. En un peu plus d’un siècle (1900‑2016), l’espérance de vie à la naissance est passée de 50 ans à plus de 81,5 ans chez les hommes et 85,3 ans chez les femmes. Si la proportion de la population âgée de moins de 14 ans a diminué de moitié depuis 1900 en Suisse, celle des plus de 65 ans a triplé ! L’espérance de vie a 65 ans est encore de 19,4 années pour les hommes et de 22,4 années pour les femmes.1
Le questionnement central est de savoir si ces années gagnées sont des années de vie en bonne santé ou plutôt associées à des degrés de dépendance. Dans ce contexte, les stratégies et les interventions de prévention et de promotion de la santé tout au long de la vie prennent tout leur sens afin de garantir des années de vie supplémentaires en bonne santé. En raison de la grande hétérogénéité de la population gériatrique, les interventions mises en place vont varier selon la catégorie de santé : chez le patient dépendant, la lutte contre les facteurs de fragilité et de déclin fonctionnel sera la cible privilégiée, tandis que pour le sujet âgé robuste, les mesures de prévention primaire gardent tout leur intérêt pour le maintien en bonne santé.
Morley décrit avec humour les moyens les plus favorables pour s’assurer une longue vie : choisir (avant sa naissance !) des parents et des grands-parents ayant vécu très longtemps, une maman qui, durant sa grossesse, ne fume pas, ne boit pas, ne prend pas de médicaments, consomme de l’acide folique et va régulièrement à ses contrôles médicaux de parturiente, et à tout âge, il conseille de pratiquer un peu d’exercice physique et d’attacher sa ceinture de sécurité ! 2
Aux 3e et 4e âges, il est recommandé de continuer à faire de l’exercice (d’équilibre et de résistance), de suivre une diète équilibrée de type méditerranéen (fruits, légumes, huile d’olive) suffisante en calcium et vitamine D, de s’abstenir de fumer, de consommer très modérément de l’alcool, de garder son cerveau actif, de maintenir des interactions sociales, de présenter un statut vaccinal à jour, de bénéficier de tests de dépistage pour l’hypertension, le diabète, les cancers du sein et du côlon avant l’âge de 75 ans, ainsi que d’éviter la poly-pharmacie (tableau 1).2,3
Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), des évidences sérieuses existent pour affirmer que l’individu âgé, physiquement actif présente un taux de mortalité abaissé (toutes causes confondues) par rapport au sédentaire. L’activité physique (AP) englobe les loisirs, les déplacements (marche ou vélo), les tâches ménagères, à raison de périodes d’au moins 10 minutes à une intensité modérée pour atteindre 2 h 30 d’activités par semaine (ou 5 x 30 minutes).4,5 Une AP hebdomadaire qui consomme environ 1000 kcal est associée à une diminution de 30 % de la mortalité globale.6
Lors d’un suivi pendant 14 ans de plus de 661 000 individus (âge moyen 62 ans), Arem a pu définir une courbe de mortalité en fonction de la durée minimale recommandée d’AP (à savoir 150 minutes par semaine, à une intensité de 3 à 6 MET – Metabolic Equivalent of Task). Ainsi, l’AP à dose minimale de 7,5 MET par semaine (multiplication du nombre de MET par le nombre d’heures par semaine) comparée à l’absence d’AP, réduit la mortalité d’au moins 20 % (jusqu’à 39 % pour 3 à 5 x la dose recommandée !).7 Postulant que 150 minutes d’AP par semaine représentait un but bien difficile à atteindre pour nombre de sujets âgés, Hupin, dans une méta-analyse regroupant 122 000 individus (âge moyen 73 ans) suivis pendant dix ans, signale que la plus forte baisse (diminution de 22 %, RR 0,78, IC 95 % : 0,71‑0,87, p < 0,0001) de la mortalité était observée chez le sédentaire qui débutait une AP très légère (inférieure à 150 minutes par semaine).8 Ce postulat a aussi été vérifié dans une étude taïwanaise portant sur plus de 416 000 adultes (12 % du collectif est âgé de plus de 65 ans) où une AP de faible intensité (durée 15 minutes par jour ou 90 minutes par semaine), amenait une diminution de la mortalité globale de 14 %.9 Récemment, une étude finlandaise prospective de cohorte (43 000 sujets, principalement de sexe féminin, âge moyen 53 ans) a démontré qu’il existe un lien clair entre l’AP et le gain d’espérance de vie en bonne santé (c’est-à-dire sans maladie chronique entre l’âge de 50 et 75 ans) ; par ailleurs, il existe une courbe dose-réponse : en comparaison aux inactifs, les individus les plus actifs physiquement vivent 6,3 ans de plus en bonne santé.10
Le risque de survenue de plusieurs maladies (accident vasculaire cérébral, maladie coronarienne, diabète, cancers du côlon et du sein) semble corréler avec le niveau d’AP ; la réduction du risque n’est certes que de quelques pour cent en appliquant la cible recommandée par l’OMS, mais elle s’élève jusqu’à 20 % pour une AP 3 fois plus intense.11
Dans une méta-analyse intégrant 1,44 million de participants (âge moyen 59 ans, follow-up de 11 ans), la diminution du risque de cancer par l’AP (150 minutes par semaine = médiane du collectif) a aussi été décrite : risque abaissé de survenue de 13 cancers sur 26, la diminution étant au moins de 20 % pour 7 types de cancer (œsophage, foie, poumon, rein, estomac, endomètre, leucémie myéloïde).12
La lutte contre le déclin fonctionnel est un objectif primordial dans la prise en charge du gériatre ; or l’activité physique semble pouvoir le prévenir, comme l’illustre l’étude LIFE qui a accompagné 1635 sujets sédentaires vivant à domicile (âge moyen 78,9 ans) durant deux ans et demi. Comparée à la participation à des sessions de conseils de santé, la pratique d’une marche de type promenade (150 minutes par semaine, avec exercices de force, d’équilibre et de souplesse) atténue le déclin fonctionnel de 18 % (HR 0,82, IC 95 % : 0,69‑0,89, p = 0,03), et jusqu’à 28 % chez les sujets les plus fragiles.13 Ce bénéfice indéniable en termes de mobilité ne s’est malheureusement pas révélé statistiquement significatif dans les activités de la vie quotidienne (AVQ) ou dans les activités instrumentales de la vie quotidienne (IAVQ).14
Si grâce à l’AP une amélioration des fonctions cognitives transparaît dans de nombreuses études observationnelles, ce bénéfice n’est malheureusement pas retrouvé dans les résultats d’une revue Cochrane intégrant 12 études randomisées contrôlées : aucun bénéfice obtenu dans le domaine cognitif avec la pratique d’exercices aérobies !15 Cependant, en intervenant sur plusieurs domaines simultanément (entraînement cognitif, exercices aérobies et de renforcement musculaire, séances de diététique) pendant deux ans, de façon individuelle ou en groupe, on obtient 25 % de progrès dans les scores cognitifs de 1260 sujets âgés de 60 à 75 ans.16
L’AP exerce aussi un effet préventif sur la dépression. Une méta-analyse publiée récemment regroupant plus de 260 000 patients (suivi moyen de 7,4 ans) le démontre avec une diminution globale du risque de 17 % ; cette protection est encore supérieure (21 %) dans ce collectif chez les personnes les plus âgées, actives physiquement par rapport à celles qui ont un faible niveau d’AP.17
L’AP joue également un rôle protecteur sur la prévention des chutes du sujet âgé vivant à domicile. En effet, la pratique d’exercices à multiples composants, incluant exercices de force et d’équilibre, ou exercices de type Tai chi, exercés individuellement ou en groupe, réduit le risque d’environ 30 % selon une revue Cochrane incluant 159 études et 79 193 participants.18
Le dépistage des cancers (côlon, sein, prostate, poumon) n’est plus recommandé après l’âge de 75 ans selon les recommandations académiques suisses.19 Depuis 2014, la Société américaine de gériatrie propose de ne pas procéder aux dépistages des cancers colorectaux, du sein et de la prostate, sans tenir compte de l’espérance de vie, des risques associés au dépistage (complications secondaires) et de ses conséquences en termes de surdiagnostic et de traitement.20
Il est d’usage, selon la plupart des guidelines, de se référer à l’espérance de vie à 10 ans comme critère décisionnel pour pratiquer un test de dépistage du cancer. Selon les résultats de l’étude de Royce (27 404 sujets, âgés d’au moins 65 ans), ces recommandations sont encore peu appliquées dans la pratique quotidienne ; en effet, parmi les patients ayant un très haut risque (défini comme supérieur à 75 %) de mourir dans les 9 ans (n = 4223), 38 % d’entre eux ont subi un test de dépistage pour le cancer du sein, 41 % pour le cancer du côlon et 55 % pour le cancer de la prostate.21 Refuser de pratiquer un test de dépistage en s’appuyant sur le pronostic de vie dont l’évaluation reste délicate, est clairement difficile pour le praticien, mais aussi pénible à entendre pour le patient ! 22,23
L’individualisation de la prévention chez le sujet âgé doit à la fois tenir compte de l’espérance de vie individuelle (calculateur de score pronostique : ePrognosis-com par exemple), mais également du temps nécessaire pour pouvoir bénéficier de l’intervention préventive (temps jusqu’au bénéfice) (tableau 2).24
La vaccination constitue un outil de prévention majeur également chez le senior. Rappelons qu’en Suisse la grippe est responsable chaque année d’environ 600 à 700 décès. La vaccination antigrippale préventive doit être proposée annuellement chez tous sujets de 65 ans et plus. Le plan de vaccination 2018 de l’Office fédéral de la santé publique recommande une vaccination complémentaire contre l’herpès zoster (zona) chez toute personne immunocompétente entre 65 et 79 ans, indépendamment du fait que la personne ait contracté la varicelle et/ou le zona par le passé. Un rappel diphtérie-tétanos devrait être préconisé à l’âge de 65 ans, puis tous les 10 ans. Depuis 2014, la vaccination contre le pneumocoque n’est plus recommandée après 65 ans, sauf pour les sujets à risque de maladies invasives (cardiopathie, BPCO, cirrhose, splénectomie, néoplasie, etc.). Des vaccins de rattrapage seront préconisés individuellement en fonction des risques, de l’entourage et des voyages : pertussis si contact avec des nourrissons de moins de 6 mois, poliomyélite si voyage en pays infecté, hépatite B si exposition.25,26
La vitamine D, potentiellement pourvue d’effets préventifs multiples, exerce un effet direct sur l’os, en favorisant l’absorption de calcium et en diminuant sa résorption, et sur le muscle, en améliorant la masse et la fonction musculaire. La carence en vitamine D est un facteur de risque reconnu de chute et de fracture de hanche chez le sujet âgé.
La supplémentation en vitamine D pour prévenir la chute et les fractures n’est plus recommandée chez le sujet âgé vivant à domicile ne souffrant ni d’ostéoporose ou de carence en vitamine D, selon les nouvelles recommandations préventives américaines. Un apport de 800‑1000 UI/j est cependant toujours proposé chez le sujet âgé institutionnalisé, ou carencé en vitamine D, ou à haut risque d’ostéoporose et de fracture (antécédents de fracture, âge de plus de 75 ans, problèmes de mobilité, de marche ou d’équilibre).27–29
Andréas Stuck et son équipe ont analysé les effets à long terme (8 ans) des recommandations de prévention de santé dans un collectif de seniors. Dans une étude randomisée contrôlée, plus de 2000 personnes, âgées d’au moins 65 ans et vivant à domicile dans la région soleuroise, ont été incluses (patientèle de 19 cabinets de médecins de famille) et répertoriées en deux groupes selon un profil de santé analysé informatiquement sur la base de réponses à des questionnaires. Le groupe intervention a reçu pendant deux ans des conseils, soit sous forme écrite, soit individualisés par une infirmière, incluant le renforcement de l’AP, l’alimentation, la médication, les vaccins, le dépistage du cancer ou le traitement de l’hypertension. Le groupe témoin a bénéficié d’un accompagnement médical habituel.
Après deux ans de suivi, les sujets du groupe intervention sont physiquement plus actifs (OR 1,43, IC 95 % : 1,16‑1,77, p = 0,001) et ont bénéficié du vaccin contre la grippe (OR 1,35, IC 95 % : 1,09‑1,66, p = 0,005). Après 8 ans, le groupe intervention présente une diminution de la mortalité de 21 % (HR 0,79, IC 95 % : 0,66‑0,94, p = 0,009).30
La prévention est utile à tout âge et s’appuie le plus souvent sur des interventions somme toute assez simples ! La pratique d’une activité physique sous la forme d’une marche régulière en est l’illustration la plus convaincante ; elle doit être encouragée et faire partie intégrante du plan de traitement de tout senior, à chaque consultation médicale !
Si le contrôle des facteurs de risque cardiovasculaire (sédentarité, obésité, hypertension, diabète, tabagisme, hyperlipidémie) est essentiel entre 45 et 65 ans pour bénéficier d’un meilleur état de santé vers la fin de sa vie, le maintien d’un style de vie sain (AP, alimentation équilibrée, absence de tabac et consommation modérée d’alcool) au grand âge permettra de savourer plus d’années de vieillesse en santé.
Rappelons toutefois qu’il faut confronter l’espérance de vie du patient et le temps nécessaire jusqu’au bénéfice de l’intervention, avant de décider de la mise en place de chaque intervention préventive chez le sujet âgé !
L’auteur n’a déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.
▪ Les avantages de l’activité physique pour le senior se manifestent par une diminution de la mortalité, une augmentation du nombre d’années en bonne santé, un gain dans la mobilité fonctionnelle et la prévention des chutes, ainsi qu’un effet préventif sur la dépression
▪ La pratique d’une activité physique (type marche) de façon régulière amène des bénéfices déjà à partir d’une durée de 10 à 15 minutes par jour
▪ Le dépistage des cancers du côlon, du sein, de la prostate et des poumons n’est plus recommandé dès l’âge de 75 ans en Suisse
▪ La vaccination annuelle contre la grippe est recommandée chez tout senior ; un rappel diphtérie-tétanos est proposé à l’âge de 65 ans, ainsi qu’une vaccination complémentaire contre l’herpès zoster