L’insomnie est une plainte subjective de difficultés d’endormissement, de maintien du sommeil et/ou de réveils précoces. C’est une problématique quotidienne pour qui soigne des personnes âgées. Elle concerne 30 % des personnes de 65 ans et plus et ses conséquences sur la morbi-mortalité et l’altération de la qualité de vie sont significatives.1-3 Si le vieillissement induit intrinsèquement des modifications de l’architecture et de la qualité du sommeil (tableau 1),4 de nombreuses pathologies (et/ou leur traitement) favorisent l’insomnie.1,5
L’insomnie de courte durée (arbitrairement < 3 mois) survient le plus souvent au décours d’un événement de vie marquant (deuil, hospitalisation, entrée en institution, etc.). Dans ses formes chroniques, l’insomnie associée à une pathologie mentale et/ou somatique concerne 83 % des patients âgés. Isolée, l’insomnie se caractérise le plus souvent par un « conditionnement », résultat de stratégies et/ou d’une hygiène du sommeil inadéquates. Avec l’insomnie idiopathique, elle reste un diagnostic d’exclusion.4
Dans tous les cas, les troubles du sommeil nécessitent une prise en charge spécifique des facteurs causaux, une évaluation globale des comorbidités somatiques et neuropsychiatriques4,6 et une révision des médicaments (figure 1).7 L’approche psycho-éducative ciblée sur les mesures d’hygiène du sommeil devrait être proposée en première intention.4 Dans les formes inexpliquées ou en cas de trouble primaire du sommeil (par exemple : syndrome d’apnées/hypopnées obstructives du sommeil, ou syndrome des jambes sans repos), la polysomnographie et/ou l’actigraphie (méthode de surveillance non invasive des cycles de sommeil et d’éveil où l’activité motrice est enregistrée par un actigraphe) sont des examens utiles et objectifs.2 Si le risque évolutif est la chronicisation, l’indication à la prescription d’un hypnotique ne devrait jamais être systématique et toujours pesée avec précaution. La prise chronique de benzodiazépines (BZD), Z-pills, neuroleptiques et/ou antidépresseurs sédatifs constitue un problème majeur de santé publique en raison de leurs effets indésirables, des interactions médicamenteuses et médicament-comorbidité, et de leur impact sur la marche et l’équilibre, la cognition, la continence et la nutrition chez des patients souvent fragiles, multimorbides et polymédiqués.4,8,9
Des alternatives, considérées comme mieux tolérées et plus adaptées aux personnes âgées, sont disponibles. Par une revue systématique de la littérature, nous abordons la question de l’efficacité et de la tolérance de la mélatonine (Circadin), de la valériane (Redormin et autres) et du clométhiazole (Distraneurin) dans le traitement de l’insomnie de la personne âgée (figure 2).
Les BZD et les médicaments apparentés (Z-pills : zolpidem, zopiclone) sont les molécules le plus souvent prescrites. Avec une efficacité à long terme qui n’a jamais été démontrée,10 elles exposent à un risque de tolérance, de dépendance et d’effet rebond à l’arrêt. Si les Z-pills permettent une amélioration de la qualité et de la quantité du sommeil, comme les BZD (surtout de longue durée d’action), ces molécules ont un impact sur la cognition, majorent le risque de chute, de fractures et peuvent favoriser la décompensation de pathologies respiratoires chroniques.4,10,11 Les antidépresseurs avec effet hypnotique sont efficaces chez les patients déprimés et/ou anxieux. Trazodone, miansérine ou mirtazapine seront à préférer aux tricycliques8,12 avec cependant un risque de somnolence diurne et d’orthostatisme.10 Les antihistaminiques sont à proscrire en raison de leurs effets anticholinergiques, du risque de confusion et d’orthostatisme,9 mais aussi d’une efficacité non démontrée dans cette indication.10 Les neuroleptiques ne devraient pas être prescrits dans les insomnies en l’absence de symptômes psychotiques.8,13 Peu de molécules ont été testées chez les sujets déments, seule la trazodone aurait une efficacité.14
La mélatonine, sécrétée par l’épiphyse avec un pic sérique entre 2 et 4 heures du matin,15 régule le rythme veille/sommeil, la température corporelle et le taux de cortisol sérique. Sa synthèse n’est pas affectée par le vieillissement, mais l’amplitude du pic nocturne se réduit après 60 ans.16 Une prise, même supérieure à 6 mois, n’induit ni tolérance, ni dépendance, ni effet rebond à l’arrêt.17 Les propriétés pharmacologiques de la mélatonine sont présentées dans le tableau 2.
La mélatonine est référencée sous forme de comprimé (cp) retard (2 mg) et elle est indiquée, en monothérapie, pour le traitement à court terme de l’insomnie primaire après 54 ans (www.swissmedicinfo.ch/). Administrée, 1 à 2 heures avant le coucher, 1 cp mime le rythme circadien et augmente la concentration sérique maximale.18 Le rameltéon, agoniste des récepteurs à la mélatonine, n’est pas disponible en Suisse.4 Il serait associé à un rapport bénéfice/risque défavorable en raison de ses effets sur la prolactine.
Plusieurs études, revues systématiques et méta-analyses se sont penchées sur la question de l’efficacité de la mélatonine dans les troubles du sommeil en population générale et chez le sujet âgé avec des résultats hétérogènes.19-22 Récemment, une méta-analyse de 19 études (n = 1683) vs placebo a conclu que les bénéfices de la mélatonine étaient faibles mais significatifs sur la latence d’endormissement, la durée totale et la qualité globale du sommeil.23 Les données de polysomnographie et/ou d’actigraphie étaient systématiquement moins probantes que celles des autoquestionnaires. Wade et coll.24 ont montré dans un essai contrôlé (930 personnes âgées de 18 à 80 ans), que les bénéfices à court et long termes de la mélatonine étaient supérieurs chez les personnes de 55 ans et plus. Ce résultat a été confirmé par une méta-analyse de six essais randomisés (n = 95 ; 69-79 ans) conduits en communauté,25-29 chez des résidents d’EMS sans trouble cognitif,30 des parkinsoniens sans démence,31-33 des hypertendus traités,34 et des patients BPCO,35 mais pas chez des sujets avec une maladie d’Alzheimer.14,36,37 Ces bénéfices sont cependant modestes, de l’ordre de 10 minutes, par exemple, pour la réduction de la latence d’endormissement. Ils sont inférieurs à ceux mesurés avec les BZD.20 La mélatonine a également été testée dans le sevrage des BZD avec des résultats discordants,38-40 et systématiquement négatifs chez les sujets âgés.39
La mélatonine est bien tolérée, avec une efficacité faible à modeste (inférieure aux BZD) dans le traitement à court terme de l’insomnie. Elle n’entraîne pas de dépendance, de tolérance, de sevrage et d’insomnie rebond à l’arrêt. Il n’y a pas d’impact sur la cognition.27
Extraite du rhizome et de la racine des Valeria officinalis (et V. edulis, V. wallichii), la valériane se présente sous forme de teinture, d’extrait normalisé, de racine séchée à infuser, ou de comprimés. Le principe actif (acide valérénique) aux propriétés apaisantes, calmantes et sédatives41 agit principalement sur la recapture de l’acide gamma-aminobutyrique (GABA).42 Il serait aussi un agoniste partiel des récepteurs sérotoninergiques (5HT-5A) et un antagoniste glutamatergique.43,44 Une action sur les récepteurs de la mélatonine est aussi démontrée.44 Les effets indésirables de la valériane sont rares et disparaissent à l’arrêt du médicament. Les plus fréquents sont des troubles digestifs (diarrhées, épigastralgies, nausées et pyrosis) ou une somnolence, des maux de tête et, paradoxalement, une nervosité. Les propriétés pharmacologiques de la valériane sont présentées dans le tableau 2.
La valériane est référencée sous forme de comprimés (500 mg) et indiquée pour les difficultés d’endormissement, les troubles du sommeil et le sommeil agité, à la dose de 500 à 750 mg 1 heure avant le coucher (www.swissmedicinfo.ch/).
L’efficacité de la valériane a été évaluée dans deux méta-analyses regroupant respectivement 16 (n = 1093)45 et 17 études (n = 1284) ;46 rares étaient celles ciblant les sujets âgés. Ces méta-analyses sont concordantes sur le fait que la valériane améliore le sommeil selon des mesures subjectives, sans que cela ne soit confirmé objectivement. L’innocuité, mais aussi l’absence d’effet clinique, ont été également rapportées par plusieurs revues systématiques.44,47,48
L’importante hétérogénéité des études en termes de types et de formulation des valérianes testées (extrait aqueux, alcoolique ou de racine ; V. officinalis, edulis, ou wallichii), de doses (40 à 600 mg) testées,49 et de durées de traitement (1 à 30 jours), fait relativiser l’impact. De plus, les effectifs considérés étaient souvent petits. Par ailleurs, les études positives étaient systématiquement les plus anciennes. Elles étaient réalisées avec un placebo sans l’arôme caractéristique de la valériane. Depuis la correction de ce biais, toutes les études sont négatives.45,46,47,50 Un essai contrôlé basé sur une évaluation polysomnographique du sommeil a évalué l’effet de 300 mg de concentré de valériane administré 30 minutes avant le coucher vs placebo sur une durée de 15 jours chez 16 femmes âgées (69,4 ± 8,1 ans) avec insomnie.51 Aucune différence sur la qualité du sommeil entre les deux groupes après une dose unique et après 15 jours n’était mesurée.
Si la valériane est bien tolérée, elle ne démontre pas d’efficacité clinique.
Le clométhiazole est une molécule synthétique aux propriétés sédatives, hypnotiques et anticonvulsivantes.52 A faible concentration, le clométhiazole potentialise déjà l’effet inhibiteur du GABA.52 Contrairement aux BZD, cette molécule a une activité résiduelle plus faible avec moins d’impact négatif sur la cognition.53-55 Par contre, le clométhiazole étant apparenté aux BZD et aux barbituriques, une dépendance peut être observée en cas d’utilisation prolongée, ainsi qu’un orthostatisme. Les propriétés pharmacologiques du clométhiazole sont présentées dans le tableau 2.
Le clométhiazole est référencé sous forme de capsule (192 mg) et de mixture (157,5 mg/5 ml). Il est indiqué sur une courte durée dans les dyssomnies séniles à raison de 2 capsules ou 10 ml au coucher (http://swissmedicinfo.ch). Il agit comme sédatif, hypnotique, relaxant musculaire et anticonvulsivant, avec un mécanisme d’action similaire aux barbituriques par son action sur les récepteurs GABA. Dans la littérature, cette molécule a surtout été étudiée dans le sevrage alcoolique56 et comme neuroprotecteur après un AVC, des traumatismes crâniens et en chirurgie cardiaque.52 Aucune étude ciblant le sommeil n’a été publiée après 1987.53-55,57,58 Chez des sujets âgés sans insomnie, le clométhiazole améliorait la latence d’endormissement et la qualité du sommeil en comparaison du placebo sans altérer la structure du sommeil.54
Comparativement aux BZD (lormétazépam : demi-vie 14 heures, triazolam : demi-vie 1-4 heures), respectivement durant une57 et neuf semaines53 chez des sujets âgés avec insomnie, le clométhiazole n’a pas démontré sa supériorité sur des mesures objectives de latence d’endormissement, de durée de sommeil et de qualité du réveil. Prescrit durant 3 mois chez 20 patients âgés,58 aucune diminution de l’effet de la molécule (tolérance), et d’impact sur le comportement diurne n’a été mesurée.
Le peu de littérature disponible semble montrer un intérêt pour le clométhiazole. Elle doit cependant être interprétée avec beaucoup de prudence compte tenu notamment d’un profil pharmacologique qui n’est pas plus favorable que celui des BZD.
La mélatonine, la valériane et le clométhiazole n’ont pas démontré de bénéfices/risques supérieurs aux BZD. Si la mélatonine peut être une alternative, ses bénéfices réduits limitent sa prescription à l’insomnie primaire et en monothérapie. La valériane n’a pas démontré son efficacité. Si le clométhiazole a une efficacité similaire aux BZD, son profil pharmacologique incite à beaucoup de prudence chez les sujets âgés.
Les auteurs n’ont pas de conflit d’intérêts à déclarer pour cet article.
▪ Mélatonine, valériane et clométhiazole n’ont pas démontré de bénéfices/risques supérieurs aux benzodiazépines, qui restent la référence en termes d’efficacité (pas de tolérance résultant EN UN ÉPUISEMENT PROGRESSIF DE L’EFFET !)
▪ Aucune de ces molécules n’a démontré d’efficacité dans le contexte de la maladie d’alzheimer et des pathologies apparentées
▪ La valériane n’a pas démontré d’efficacité chez la personne âgée
▪ La mélatonine est une alternative possible aux bzd, mais ses bénéfices sont réduits. sa prescription doit se limiter à l’insomnie primaire en monothérapie
▪ Le clométhiazole a une efficacité proche de celle des benzodiazépines, mais son profil pharmacologique (interaction notamment) et le peu de recul dans cette indication doivent inciter à la prudence
▪ La prise en charge des insomnies en gériatrie doit donc autant que possible être centrée sur le contrôle des facteurs causaux et l’hygiène du sommeil (figure 1)