Depuis 2011, la campagne « Choosing Wisely » initiée aux Etats-Unis a donné un élan international au combat contre le surdiagnostic et le surtraitement en médecine. L’Académie suisse des sciences médicales (ASSM) a invité les sociétés médicales suisses à établir des propositions allant dans le même sens. La Société de médecine interne ambulatoire fut pionnière en proposant cinq mesures en 2014, suivie des internistes hospitaliers en 2016 puis de multiples sociétés de spécialistes suisses ont pris le pas.
L’association « Smarter Medicine » vise à promouvoir plus activement et largement des efforts de lutte contre le surdiagnostic et le surtraitement en valorisant l’interprofessionnalité et en incluant des associations de patients, l’ASSM et la SSMIG. Nous soutenons sans réserve cette initiative qui vise à améliorer la qualité des soins et finalement une médecine efficiente : réduire la « surmédicalisation » permet d’être moins délétère pour le patient et d’utiliser plus adéquatement les ressources à disposition. Mais reconnaissons que les mesures sont parfois difficiles à appliquer. Elles requièrent des changements d’habitudes solidement ancrées dans notre activité médicale. Prenons comme exemple la déprescription médicamenteuse chez la personne âgée qui peine à être considérée de manière systématique.
Le manque d’indicateurs spécifiques de suivi et de succès de ces recommandations peut aussi contribuer à cet état de fait. A cela s’ajoute que la prévalence de la « surmédicalisation » varie également beaucoup d’un pays à l’autre.1 Ainsi, l’impact de l’implémentation de ces recommandations sera difficilement mesurable. A titre d’exemple, nous ne disposons pas (ou de trop peu) de données objectives sur certaines activités médicales courantes, telles que l’exécution systématique (et inutile) d’ECG de dépistage, de bilans biologiques préopératoires lors d’opérations de cataracte, de dépistage de maladies coronariennes asymptomatiques, d’exécution de radiographies de la colonne lombaire lors de dorsalgies simples ou de la prescription d’antibiotiques pour tout épisode d’infection respiratoire haute. Les objectifs d’amélioration sont faciles à définir par des recommandations écrites, mais tellement plus difficiles à réaliser en pratique. La collecte et la mise à disposition pour comparaison d’indicateurs de la qualité de notre activité ambulatoire et hospitalière sont une étape importante dans ce processus. Ceci devrait nous aider à fixer des objectifs raisonnables de succès.
On évoque moins la sousmédicalisation
Dans cet élan louable de réduire la surmédicalisation, on évoque moins la sous-médicalisation.2 Cette lacune est regrettable et de multiples exemples peuvent être rappelés : non-utilisation de procédures de dépistage validées, traitement et cibles thérapeutiques non optimaux dans la gestion de l’hypertension artérielle en Suisse, la sous-prescription de l’anticoagulation lors de fibrillation auriculaire avec un score CHADS-VASc élevé, ou de bêtabloquants après un infarctus du myocarde constituent autant d’omissions qui ont un impact sur le devenir de nos patients.
Nous devons fournir autant d’efforts dans la promotion de la réduction de la surmédicalisation que dans la lutte contre la sous-médicalisation. En outre, nous ne devons jamais oublier de « dé-médicaliser » les messages de prévention et valoriser les comportements qui visent à améliorer l’hygiène de vie plutôt que de stigmatiser des maladies, telles que l’alcoolisme ou l’obésité. L’application de ces mesures ne pourra qu’être le résultat d’un effort conjoint incluant la société (patient), les partenaires des soins et évidemment les médecins.
Nous souhaitons remercier vivement les auteurs des différents articles de ce numéro de la Revue Médicale Suisse qui couvrent certains aspects de la surmédicalisation (la thromboprophylaxie en médecine interne par exemple) ou à l’inverse de la sous-médicalisation illustrée par le sous-diagnostic de la dénutrition dans les hôpitaux suisses et par une prise en charge sujette à amélioration.
L’essentiel est dans une approche mesurée, sans excès ou sans limitation et nous espérons que la lecture de ces articles suscitera votre réflexion sur ce theme.