Les symptômes médicalement inexpliqués (SMI) représentent une problématique courante tant en médecine de premier recours qu’au cabinet du spécialiste. Dans une revue systématique récente, la prévalence en soins primaires de patients présentant au moins un SMI, oscille entre 40 et 49 % et un diagnostic de trouble somatoforme (durée ≥ 6 mois) peut être retenu chez 25-35 % des patients.1
Les patients qui présentent des SMI sont un groupe très hétérogène. Fréquents utilisateurs des hôpitaux, ils sont souvent perçus ou décrits comme « poly-plaintifs », « exagérateurs », voire encore « simulateurs » ou « manipulateurs ». Leurs plaintes sont essentiellement physiques et, le plus souvent, ils refusent toute prise en charge psychologique. Leur suivi est souvent accompagné d’une souffrance paradoxale autant chez le patient que chez le médecin.
Ces patients sont souvent malmenés par les professionnels de la santé
Les défis et les difficultés auxquels doivent faire face les médecins sont multiples. En premier lieu, il faut rappeler que la prise en charge de ces problématiques cliniques fréquentes n’est quasiment jamais abordée au cours des études médicales. Par ailleurs, la nosographie médicale entérine trop souvent la notion d’une causalité soit physique, soit psychique, maintenant ainsi implicitement une dichotomie corps-esprit. Autrement dit, si des symptômes ne peuvent pas être expliqués médicalement, alors leur origine doit être forcément psychologique. Toutefois, chez les patients initialement diagnostiqués avec des symptômes somatiques fonctionnels, 9 % des diagnostics sont révisés.2
Le médecin qui ne trouve aucune explication somatique s’interroge alors sur l’hypothèse d’une origine « psychogène » des plaintes somatiques, ce qui peut s’accompagner d’un sentiment plus ou moins conscient de rejet ou pour le moins d’un questionnement autour de la légitimité et de la légitimation de la plainte.3 Le malaise, voire le désarroi est régulièrement ressenti par le clinicien et la relation médecin-malade en situation d’incertitude est souvent mal maîtrisée. Il en résulte que ces patients sont souvent malmenés par les professionnels de la santé qui participent involontairement à l’entretien des symptômes, avec des conséquences médico-économiques et psychosociales désastreuses : un patient avec des SMI utilise deux fois plus les services de soins qu’un patient atteint d’une maladie médicalement confirmée.
Lorsqu’un diagnostic défini n’a pas été retenu ou qu’une explication médicale n’a pas pu être trouvée, le patient a du mal à être cru, compris et pris au sérieux. Ces patients veulent que leur(s) médecin(s) reconnaisse(nt) que leurs symptômes sont réels. Lorsqu’une incertitude profonde persiste, la relation thérapeutique devient une bouée de sauvetage pour le patient. Alors que les patients et les médecins partagent une expérience parallèle d’être bloqués, l’alliance thérapeutique pourrait également être une bouée de sauvetage pour le médecin. A l’inverse, lorsque les médecins et les patients sont incapables de développer un cadre commun, il y a le risque d’être engagé dans une sorte d’antagonisme croissant.
La terminologie médicale employée influence également la gestion relationnelle de ces situations cliniques : SMI, troubles fonctionnels, maladies psychosomatiques, troubles de conversion, somatisation, troubles factices ou pathomimies, etc. Les termes les mieux acceptés par les patients sont ceux de troubles somatiques fonctionnels (seuls < 15 % des patients se sentent offensés), largement devant les définitions de SMI et de maladie psychosomatique (> 50 % des patients).4
Le diagnostic de « fonctionnel » est retenu sur la base de l’histoire clinique et des symptômes qui sont souvent polymorphes et dont l’intensité peut être aussi très fluctuante, parfois même d’heure en heure ou de jour en jour. Il faut relever que dans le DSM 5, la dernière version de la classification des troubles mentaux de l’Association américaine de psychiatrie, la catégorie « troubles somatoformes » du DSM IV a disparu, remplacée par la notion de « trouble à symptomatologie somatique ».
La principale différence de cette nouvelle catégorie est que le diagnostic est défini positivement par la présence de symptômes somatiques rattachés ou non à une cause somatique identifiée, alors que dans le trouble somatoforme les plaintes de type physique étaient définies négativement par l’absence d’anomalie organique identifiable de type lésionnel ou objectivable avec des investigations paracliniques. L’existence d’une pathologie médicale concomitante n’exclut pas le diagnostic « trouble à symptomatologie somatique » et la présence de facteurs de stress ou d’anomalies psychologiques n’est plus exigée. Cette redéfinition diagnostique marque le dépassement de l’opposition entre organique et psychologique et le renoncement de la recherche d’une psychogenèse à tout prix.5
Nous ne connaissons pas vraiment la physiopathologie des troubles fonctionnels. Insister qu’il doit y avoir une cause psychologique peut donc irriter les patients et le terme fonctionnel est un terme mieux accepté que « psychogène ». Par ailleurs, la présence de SMI est souvent corrélée à des troubles psychiques (80 % des patients ont des antécédents d’anxiété ou de trouble dépressif), ainsi que des antécédents de traumatisme ou d’abus.6 Dès lors, il est impératif de s’assurer de l’absence d’un trouble psychique dont le traitement adéquat peut favoriser l’évolution favorable des SMI. Cependant, le médecin doit garder à l’esprit que bien souvent, malgré cette forte association avec des facteurs psychologiques, les patients atteints de SMI ne présentent que des symptômes physiques.
Les SMI ne sont pas moins réels ou débilitants que ceux causés par des maladies médicalement expliquées
Avec le temps et l’expérience, la plupart des praticiens apprennent à gérer ces situations cliniques difficiles. Par conséquent, pour améliorer les consultations et la gestion des patients avec SMI, la transmission des connaissances et des compétences des médecins de premier recours expérimentés aux étudiants et aux jeunes docteurs est indispensable, conjointement à un enseignement ad hoc pendant les études médicales. Ce transfert de connaissances devrait se concentrer sur la manière de construire la relation médecin-malade.
Les patients atteints de SMI représentent un défi unique pour les médecins, car ces derniers ne disposent pas d’investigations médicales de confirmation pour expliquer leurs symptômes et la prescription de médicaments n’est pas bénéfique isolément. Bien que les SMI puissent être complexes, déroutants et énigmatiques, ils ne sont pas moins réels ou débilitants que ceux causés par des maladies médicalement expliquées, et ces patients ne méritent pas moins d’attention de notre part. L’évolution des SMI peut être gérée avec plus de succès, si le médecin adopte une approche collaborative et leur évolution favorable ne dépend pas exclusivement de « l’acceptation » de la part du patient de la nature psychologique de ses symptômes.