La metformine est le médicament de première ligne pour le traitement du diabète de type 2. Cependant, par un mécanisme d’inhibition de la respiration mitochondriale encore mal connu, la molécule pourrait favoriser le développement d’une acidose lactique, pathologie appelée MALA (metformin-associated lactic acidosis). Décrite depuis de nombreuses années, cette complication est largement débattue dans la littérature car sa formation résulte d’un processus multifactoriel et complexe. Il est essentiel pour les praticiens de connaître la physiopathologie, les facteurs prédisposants et les traitements de la MALA, car cette pathologie est potentiellement mortelle.
La metformine est un traitement antidiabétique efficace et bien toléré mais associé à une complication potentiellement fatale : la MALA (metformin-associated lactic acidosis). Cette complication rare est largement débattue dans la littérature et le débat s’est récemment intensifié en réponse aux dernières recommandations qui préconisent l’utilisation de la metformine aux stades modérés de l’insuffisance rénale chronique. Le but de cet article est de revoir la physiopathologie de la MALA, ses principes thérapeutiques et les facteurs favorisants.
La metformine est le traitement de première ligne chez les patients atteints de diabète de type 2 en raison d’une bonne efficacité, de l’absence d’hypoglycémie, d’un effet neutre sur le poids ainsi que d’une réduction des événements cardiovasculaires, y compris chez les patients avec insuffisance rénale chronique.1 La molécule est utilisée depuis les années 1950 et représente le seul biguanide actuellement disponible sur le marché ; la phenformine et la buformine ayant été retirées en raison de taux élevés d’acidose lactique parfois mortelle.
La metformine est absorbée de manière incomplète au niveau intestinal avec un pic plasmatique de 2,5 heures. Sa distribution se fait selon un modèle bicompartimental : dans le plasma et surtout dans l’espace intracellulaire. Une fois absorbée, la molécule est transportée du plasma vers les hépatocytes par le transporteur OCT1 mais n’est pas métabolisée. La metformine est excrétée dans les urines par sécrétion tubulaire active, où elle est transportée par l’OCT2 dans la membrane basolatérale puis par le transporteur MATE1 à travers la membrane apicale vers les urines. Bien que rarement mesurée, la concentration thérapeutique de metformine est comprise entre 1-3 mg/l et la concentration toxique supposée est supérieure à 5 mg/l, mais peu de données existent sur le sujet.
La metformine exerce une action hypoglycémiante en réduisant l’insulinorésistance, et ceci par le biais de plusieurs mécanismes : elle augmente l’utilisation du glucose et son stockage dans le muscle, réduit la néoglucogenèse hépatique et enfin diminue l’absorption du glucose dans l’intestin. La molécule exerce également un effet sur le métabolisme des lipides en favorisant l’oxydation des acides gras et en réduisant la lipogenèse. Ces actions sont le reflet d’une cascade d’effets cellulaires complexes (non résolus à ce jour), dont la pierre angulaire est l’inhibition partielle du complexe 1 de la chaîne respiratoire mitochondriale. Il en résulte une activation de l’AMP kinase qui est responsable d’une grande partie des effets métaboliques de la metformine (figure 1). Des études récentes montrent que la metformine agit également sur l’AMP kinase directement par un processus lysosomal et qu’il existe des mécanismes d’inhibition de la néoglucogenèse sans passer par l’enzyme.2
On distingue classiquement deux mécanismes responsables d’une hyperlactatémie, selon la classification de Cohen et Woods :3
A noter qu’il est important de faire la différence entre l’hyperlactatémie et l’acidose lactique. L’acidose lactique est définie par un pH < 7,38 en présence de lactates > 4 mmol/l et d’un trou anionique élevé.
La metformine augmente la concentration de lactates via plusieurs mécanismes supposés.4 Premièrement, elle diminue l’absorption intestinale du glucose, qui est transformé en lactates au niveau splanchnique. Deuxièmement, l’inhibition de la respiration mitochondriale oriente le métabolisme du glucose vers la voie non oxydative, qui aboutit à la production de lactate. Troisièmement, la metformine augmente la glycolyse et diminue la néoglucogenèse hépatique (formation de glucose à partir de précurseurs non glucidiques tels le lactate) essentiellement à travers l’activation de l’AMP kinase (figure 1). En résumé, la metformine augmente d’une part la production de lactate (en accélérant la glycolyse et en favorisant la voie de métabolisme anaérobie) et diminue d’autre part son élimination par la néoglucogenèse.
Cependant, chez le diabétique en bonne santé sous traitement de metformine à dose thérapeutique, le fonctionnement de la chaîne respiratoire et de la néoglucogenèse est réduit mais pas complètement inhibé. Par conséquent, la concentration sérique de lactate est habituellement normale (voire discrètement élevée) et légèrement supérieure à celle d’un sujet diabétique naïf à la metformine.5
L’association légendaire entre la metformine etl’acidose lactique (MALA :metformin-associated lactic acidosis) est sujette à débat depuis de nombreuses années. Plusieurs publications suggèrent que l’incidence d’acidose lactique n’augmente pas avec la metformine par rapport à un autre traitement antidiabétique,6 de même que la dernière revue systématique Cochrane qui n’a retrouvé aucun cas d’acidose lactique chez les 55 000 patients traités par ce médicament.7 Pourtant, ces données épidémiologiques contrastent avec les nombreux cas cliniques régulièrement publiés et rapportés aux organismes de pharmacovigilance. Pour aller dans ce sens, une récente série de cas avec 727 patients, retrouve une association claire entre la concentration plasmatique de metformine, l’acidose lactique et la mortalité.8 Par ailleurs, plusieurs publications démontrent qu’une intoxication volontaire de metformine est responsable d’une acidose lactique.9 Dans tous les cas, la MALA constitue une complication rare du traitement de metformine, avec une incidence variable selon les sources, mais probablement inférieure à 10/100 000 personnes-années. C’est précisément la rareté de l’affection qui rend son analyse par des essais cliniques difficile ; les études de cas représentant la seule source de données disponible.
La MALA survient lorsqu’il y a un déséquilibre entre production et élimination de lactate mais ce processus est souvent complexe et multifactoriel et l’imputabilité réelle de la metformine peut être difficile à déterminer (figure 2). Plusieurs facteurs ont été identifiés comme déterminants dans la survenue d’une MALA :
Il y a quelques années, une nomenclature plus précise est apparue en fonction de l’imputabilité présumée de la metformine avec les termes MILA (metformin-induced lactic acidosis) et MULA (metformin-unrelated lactic acidosis).12 En pratique clinique, la MALA reste la plus fréquente car il manque souvent la metforminémie au moment du diagnostic.
En cas de suspicion de MALA, un dosage plasmatique de metformine est recommandé, mais une concentration en dessous du seuil considéré comme toxique (< 5 mg/l) n’exclut pas un effet synergique avec un 2e facteur favorisant l’acidose lactique. Par ailleurs, la concentration intra-érythrocytaire de metformine représente mieux l’accumulation tissulaire, mais elle n’est pas mesurée de routine.
La symptomatologie de la MALA est aspécifique, ce qui peut retarder son diagnostic. Les symptômes commencent classiquement par des troubles digestifs, une respiration de Kussmaul puis des troubles de l’état de conscience. Dans les cas sévères, on retrouve un état de choc vasoplégique avec une défaillance multiviscérale. La gazométrie montre typiquement une acidose lactique sévère avec un trou anionique très élevé. La mortalité de la MALA est faible lorsqu’il n’y a pas de défaillance d’organes mais peut atteindre 25-50 %.8
Le traitement de la MALA comprend l’épuration de la metformine, la correction de l’acidose métabolique et le soutien des organes défaillants, sans oublier le traitement d’une potentielle maladie intercurrente. Un sepsis étant souvent difficile à exclure en présence d’un état de choc avec acidose lactique, une antibiothérapie large spectre est habituellement introduite de manière précoce. L’épuration extrarénale est indiquée si le patient présente un ou plusieurs des critères suivants : lactates > 15-20 mmol/l, pH < 7,0, présence d’une instabilité hémodynamique, insuffisance rénale avec critères de dialyse, insuffisance hépatocellulaire, troubles de l’état de conscience.13 En raison d’un large volume de distribution intracellulaire de la metformine, la dialyse doit être initiée dès que possible et poursuivie de manière prolongée pour éviter l’effet rebond de la metforminémie après relargage cellulaire (figure 3).14 En pratique, il est préférable de commencer par une hémodialyse conventionnelle, qui s’avère plus efficace sur l’élimination de la molécule, puis de poursuivre avec l’hémodiafiltration continue pour une durée minimale de 15 h cumulées.4 Par ailleurs, la correction de l’acidose par adjonction de bicarbonates est débattue en raison des effets néfastes qu’on lui attribue et n’est recommandée qu’en cas d’acidose sévère avec pH < 7,20.
En raison de l’association étroite entre MALA et accumulation de metformine, sa prévention repose essentiellement sur l’interruption du traitement lors d’une affection susceptible de baisser le débit de filtration glomérulaire : déshydratation, infection, intervention chirurgicale ou injection de produit de contraste iodé. La metformine fait partie de la liste des médicaments à stopper lors de toute maladie aiguë (tableau 1) et l’éducation des patients sur la conduite à tenir est primordiale. Les recommandations sont variables mais plusieurs d’entre elles préconisent une interruption de la metformine pendant 48 h après une intervention chirurgicale ou une injection d’iode. Les traitements qui diminuent la filtration glomérulaire (IEC, diurétiques, AINS) ou l’excrétion rénale de metformine via les transporteurs OCT2/MATE1 (ondansetron, bactrim, antirétroviraux) doivent être introduits avec prudence. Les autres contre-indications sont relatives à une maladie hépatique ou une consommation d’alcool.
L’utilisation de la metformine en présence d’insuffisance rénale chronique est largement débattue car son élimination est exclusivement rénale avec une clairance proportionnelle au débit de filtration glomérulaire. Cependant, pour des atteintes rénales modérées, les études montrent que la concentration plasmatique de metformine reste dans la marge thérapeutique et que le taux circulant de lactate n’augmente pas de manière significative.15 En réponse à ces données, le label suisse et plusieurs organisations internationales ont récemment modifié leurs recommandations et étendu l’emploi de la metformine pour un débit de filtration glomérulaire (DFG) allant jusqu’à 30 ml/min, en association avec une adaptation de la dose (tableau 2).116
La MALA est une pathologie rare mais potentiellement fatale, à laquelle le praticien doit penser lors d’une altération hémodynamique chez un patient sous metformine, particulièrement en présence d’une acidose lactique (figure 4). Le développement de la MALA est souvent complexe et multifactoriel. Il est probablement favorisé par le traitement de metformine qui modifie l’équilibre entre production et élimination de lactate, mais souvent précipité par une pathologie intercurrente, la plus importante étant l’insuffisance rénale aiguë. Le traitement des formes sévères de MALA repose sur une épuration extrarénale prolongée, en plus du traitement des maladies intercurrentes. En cas de persistance d’acidose lactique malgré la dialyse, d’autres étiologies d’acidose lactique doivent être investiguées, notamment l’ischémie mésentérique. Enfin, la prévention de la MALA repose sur le respect des règles de prescription et l’éducation des patients sur la conduite à tenir lors d’une maladie ou une déshydratation.
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.
▪ La metformine présente un excellent profil de sécurité tant qu’on respecte les contre-indications et doit être utilisée en première ligne chez les patients avec facteurs de risque cardiovasculaire
▪ La mala doit être suspectée chez tout patient diabétique en état de choc, particulièrement en présence d’une acidose lactique
▪ Le traitement des formes sévères de mala repose sur le soutien hémodynamique et l’hémodialyse prolongée
▪ Les nouvelles recommandations préconisent l’emploi de la metformine pour l’insuffisance rénale chronique avec un dfg allant jusqu’à 30 ml/min, en association avec une adaptation de la dose
▪ La prévention de la mala repose sur le respect des contre-indications et l’interruption du traitement lors de maladie ou déshydratation aiguë
Metformin is the first line therapy for patients with diabete type 2. However, the molecule is known to be responsible for lactic acidosis through its inhibition of the mitochondrial respiratory chain complex, a pathology called MALA (metformin associated lactic acidosis). This complication has been widely discussed in the literature because its development is usually the result of a multifactorial and complex process. As the mortality of MALA is potentially high, a good knowledge of the physiopathology, existing treatments and predisposing factors is necessary for the primary care physician.