Le changement climatique est l’un des facteurs à l’origine de la multiplication des épidémies ainsi que de leur expansion géographique, et de l’aggravation de leur impact. Cela s’explique par un environnement rendu plus propice pour les pathogènes et leur prolifération ainsi que pour les vecteurs de maladies infectieuses (tels les moustiques). A ce contexte, s’ajoutent la globalisation et l’intensification des voyages qui rendent nécessaire la coopération internationale pour la lutte contre les épidémies ainsi que la formation des personnels de santé aux nouveaux risques infectieux.
Malgré les progrès phénoménaux de la médecine au cours des dernières décennies et les espoirs suscités par le développement de vaccins, d’antibiotiques et des nouvelles technologies, les maladies infectieuses n’ont pas disparu. Depuis 1970, plus de 1500 nouveaux pathogènes ont été découverts. Parmi ceux-ci, certains sont devenus funestement célèbres. C’est le cas du virus de l’immunodéficience humaine (VIH), identifié en 1983 et qui a infecté 70 millions de personnes en 35 ans, en tuant environ 35 millions.1
Plus récemment, depuis l’entrée dans le nouveau millénaire, nous avons été frappés par de nombreuses épidémies ou pandémies : le Syndrome Respiratoire Aigu Sévère (SRAS) en 2003, la pandémie grippale H1N1 en 2009, la maladie à virus Zika, des épidémies de choléra, de fièvre jaune ou encore de maladie à virus Ebola, pour n’en citer que quelques-unes (figure 1).
Il est incontestable que, de nos jours, les épidémies émergent plus fréquemment, se répandent plus rapidement et plus loin qu’auparavant, même si leur mortalité est moins importante que dans les siècles précédents. Les facteurs explicatifs sont nombreux et divers : l’intensification de la mobilité humaine et mercantile, la multiplication des conflits, les changements dans les pratiques agricoles ou de production alimentaire, l’urbanisation, la démographie ou encore les conditions de vie jouent un rôle dans l’amplification de la transmission.2
Le changement climatique est également l’un des facteurs contribuant à des modifications dans l’émergence des maladies infectieuses et leur distribution géographique. En effet, le changement climatique, parce qu’il implique dans certaines situations un climat plus chaud, plus humide (ou plus sec), des précipitations plus ou moins importantes, rend l’environnement plus propice à l’émergence de certaines maladies, en particulier les maladies transmises par les vecteurs. De plus, les catastrophes naturelles, telles que les inondations ou sécheresses, tendent également à se multiplier sous l’effet du changement climatique.
Le changement climatique joue ici le rôle d’élément aggravant d’autres facteurs déjà à l’origine de l’amplification des maladies, tels que la faiblesse des systèmes de santé.3,4 En effet, les catastrophes naturelles entraînent des destructions massives des infrastructures, nécessaires pour le transport et les soins des patients, ou tout du moins, sont à l’origine de déstabilisations dans l’organisation de la société. Ces déstabilisations affectent au premier plan le système de santé qui est sous pression lors d’une épidémie ou d’une pandémie. En effet, l’afflux soudain d’un grand nombre de personnes malades dans les structures de santé monopolise une grande partie des ressources du système. Le personnel de santé se mobilise pour répondre à l’épidémie, les médicaments et les technologies sont utilisés, et de larges ressources financières sont nécessaires pour la riposte. La réponse à l’urgence peut conduire à la négligence des services de santé essentiels et de routine. Les personnes ayant des problèmes de santé sans lien avec l’épidémie peuvent ainsi avoir des difficultés d’accès aux services de soins de santé. Les taux de mortalité des autres maladies pour lesquelles les malades peinent à accéder à des soins peuvent ainsi augmenter. Ainsi, l’impact sur la société n’est pas cantonné à la seule mortalité ou morbidité de l’épidémie, mais s’entend de manière plus large, englobant celles des autres maladies ainsi que les conséquences des perturbations engendrées sur la société et sur le système de santé en général.
Une des conséquences probablement les plus visibles du réchauffement climatique est l’expansion des gîtes propices, c’est-à-dire chauds et humides, aux moustiques. L’Europe, au même titre que d’autres parties du monde considérées jusqu’alors comme tempérées ou froides, devient de plus en plus accueillante pour les populations de moustiques. Or, le moustique serait plus dangereux pour l’homme que bien d’autres animaux, puisqu’il transmet un nombre important de maladies dont la mortalité peut être élevée (dengue, paludisme, fièvre jaune, Zika ou encore chikungunya). A l’heure actuelle, il est estimé que 3,9 milliards d’individus sont à risque d’infection de la dengue dans 128 pays5 et la moitié de la population mondiale est à risque d’infection par le paludisme.6 Des cas de transmission autochtones du chikungunya ne sont plus rares dans le sud de l’Europe. Ainsi, l’Italie a été confrontée en 2017 à une large épidémie de chikungunya, avec près de 500 personnes infectées dans trois zones géographiques densément peuplées (Rome, Anzio et Calabre). Ces cas autochtones étaient clairement corrélés au climat puisqu’ils sont apparus lorsque les températures moyennes étaient élevées et les précipitations peu importantes. Cette large épidémie a surpris le pays et la riposte a comporté plusieurs défis, notamment liés aux transfusions sanguines dans les régions affectées, ainsi qu’à la difficile mise en place du contrôle vectoriel dans les zones résidentielles en période de vacances.
Une même famille de moustiques (comme Aedes) peut donc transmettre plusieurs maladies différentes. Cela représente un défi important tant les enjeux de santé publique sont différents en termes de mortalité, morbidité et de mesures de prévention et de riposte. Ainsi, la fièvre jaune peut être une maladie grave, surtout dans sa forme hémorragique, avec un taux de mortalité important. Un vaccin efficace et offrant une protection pour la vie existe, mais sa production est limitée.7 A l’inverse, le chikungunya ou le Zika, deux maladies propagées par les mêmes moustiques que ceux qui transmettent la fièvre jaune, sont plutôt bénignes. Cependant, les conséquences et les séquelles de ces deux maladies peuvent être graves. « Chikungunya » signifie ainsi « devenir tordu » dans une langue locale du pays où le virus a été identifié pour la première fois (Tanzanie). Ce surnom est hérité des douleurs articulaires dont souffrent les patients atteints du chikungunya plusieurs mois après leur infection par le virus. Le Zika est également une maladie généralement bénigne, mais peut entraîner des séquelles neurologiques graves. Ainsi, une infection par le virus Zika peut déclencher le syndrome de Guillain-Barré, maladie rare affectant le système nerveux périphérique. Chez les femmes enceintes, le Zika peut être à l’origine de graves complications (fausses couches, enfants mort-nés), de microcéphalies ou d’autres malformations congénitales chez les nouveau-nés. C’est pour ces raisons qu’il est déconseillé aux femmes enceintes de voyager dans les zones de transmission active du virus Zika.
Le changement climatique impacte également les maladies transmises par l’eau. Par exemple, la transmission du choléra est liée à l’environnement, notamment aux précipitations.8 Le réchauffement climatique (et des eaux) semble, par ailleurs, créer un environnement favorable au bacille responsable du choléra et concorder avec les flambées épidémiques. Le choléra reste fondamentalement lié au développement et se transmet dans des zones avec un accès inapproprié à l’eau potable ou à des installations sanitaires. Les pays affectés par des catastrophes naturelles voient ainsi leur risque d’épidémie de choléra augmenter, notamment à cause de la destruction des infrastructures sanitaires et du non-accès à une eau potable.
De plus, de nombreuses épidémies transmises par les rongeurs se trouvent également exacerbées par des phénomènes climatiques, tels que l’augmentation des précipitations. C’est le cas pour la fièvre de Lassa ou encore la leptospirose.
Les pathogènes ne connaissent pas les frontières et peuvent se propager d’un pays à un autre très facilement, transportés par les êtres humains ou par des vecteurs. C’est pourquoi une coopération internationale est nécessaire pour se prémunir des risques infectieux et lutter contre la propagation des épidémies. Dès le 19e siècle et l’explosion de la mobilité humaine et mercantile, les pays se sont unis autour de règlements sanitaires internationaux afin de prévenir la propagation internationale des maladies ou de la maîtriser tout en évitant de créer des entraves inutiles au trafic et au commerce internationaux. Le dernier Règlement Sanitaire International (2005), juridiquement contraignant pour 194 pays, est entré en vigueur en 2007. A l’heure actuelle, avec l’intensification des voyages aériens, les pathogènes, mais également les vecteurs (comme les moustiques), voyagent non plus seulement d’un pays voisin à un autre, mais d’un continent à un autre en quelques heures, ce qui rend d’autant plus nécessaire la coopération internationale. Un pathogène et une nouvelle maladie peuvent ainsi être introduits dans une nouvelle aire géographique. Si l’environnement est favorable à la prolifération de ce pathogène, suite au changement climatique par exemple, la maladie peut s’implanter durablement dans cette nouvelle aire et devenir une menace pour une population non immune.
Dans ce contexte globalisé, la formation des personnels de santé et la médecine des voyages dans les pays non tropicaux s’avèrent critiques. En effet, les personnels de santé sont souvent en première ligne pour la détection et l’identification de nouvelles maladies infectieuses à leur retour des tropiques, les personnes malades cherchant naturellement à obtenir des soins médicaux. Face à des présentations cliniques peu communes ou jusqu’alors inconnues dans leur pays, les personnels soignants se doivent d’être informés des maladies en cours de transmission dans le reste du globe, ainsi que des mesures de prévention et de contrôle et des traitements éventuels contre ces maladies. Cette formation des personnels de santé est un élément essentiel de la lutte contre la propagation des maladies infectieuses et donc de la sécurité sanitaire mondiale. En effet, avec la connaissance et la mise en pratique des mesures appropriées de prévention et de contrôle de l’infection, la recherche systématique des antécédents de voyages, ils peuvent réduire le risque d’introduction de nouvelles maladies dans une population non immune et également se prémunir contre l’infection. Par ailleurs, les mesures de lutte antivectorielle sont préconisées dans les pays « non tropicaux », jusqu’alors peu préparés pour lutter contre les maladies vectorielles.
Le changement climatique est l’un des facteurs qui contribue à l’extension géographique des maladies infectieuses épidémiques, transmises notamment par les moustiques et par l’eau. Puisque ces maladies infectieuses ne s’arrêtent pas aux frontières, une coopération internationale pour la riposte aux épidémies ainsi que la formation des personnels de santé (notamment à la médecine des voyages) sont essentielles. Une gestion intégrée des vecteurs au niveau mondial est également nécessaire dans un contexte d’expansion des maladies vectorielles.9
les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.
Climate change is one of the factors explaining the increased occurrence of epidemics, their geographical spread as well as their increased severity and broader impact. Climate change makes the environment more favourable for pathogens and their proliferation, as well as for vectors of infectious diseases (such as mosquitoes). Furthermore, the globalisation and intensified travel and trade require international cooperation for epidemic response and training of health professional on emerging infectious risks.