La dyspnée d’effort est une plainte fréquente chez l’adolescent. Cet inconfort respiratoire, survenant pendant ou après un effort physique, peut occasionner non seulement une limitation du plaisir à faire du sport, mais aussi une altération des performances sportives, tant lors d’une pratique récréative que chez l’athlète confirmé.
Si l’asthme induit par l’effort (AIE) survient préférentiellement chez l’asthmatique non ou insuffisamment contrôlé, la pratique soutenue de sports d’endurance dits asthmogènes, comme la course, la natation, le cyclisme et les sports d’hiver, peut aussi favoriser l’apparition d’une hyperréactivité bronchique chez l’athlète de tout âge. En général, les symptômes rapportés par l’adolescent ne sont pas de bons prédicteurs d’un AIE. D’autres diagnostics, comme l’obstruction laryngée induite par l’exercice (OLIE), le déconditionnement physique, le syndrome d’hyperventilation, voire même un état de surentraînement, doivent aussi être envisagés dans cette tranche d’âge. Chez l’enfant plus jeune, l’AIE et le déconditionnement physique prédominent.1,2
Ainsi, même si le diagnostic d’AIE est une cause bien démontrée de dyspnée d’effort, il est important de le confirmer pour éviter un surdiagnostic et éliminer d’autres pathologies dont la prise en charge et le traitement sont différents.
Cet article a pour but de revoir les points clés de l’anamnèse et de l’examen clinique pouvant être contributifs en présence d’une dyspnée d’effort chez l’adolescent, décrire les diagnostics principalement rencontrés, ainsi que proposer les investigations nécessaires pour un diagnostic précis. Pour terminer, la mise en place d’un traitement médicamenteux adéquat, tenant compte des limitations/interdictions dans le sport de compétition, sera abordée.
La signification d’une gêne respiratoire à l’effort, qui diffère selon celui qui la rapporte, doit être clarifiée auprès de l’adolescent. Une anamnèse détaillée avec des questions spécifiques peut orienter le diagnostic. Notamment, le type d’activité physique responsable de la dyspnée d’effort doit être précisé (endurance ou fractionné), l’environnement dans lequel elle est pratiquée (air sec, froid, humide), le niveau de pratique (sédentaire, compétition amateur ou élite) et enfin l’état psychique de l’adolescent (anxiété). La date d’apparition et l’évolution des symptômes, la présence d’une dyspnée de repos ainsi qu’une description précise des manifestations (toux, inconfort, essoufflement, respiration bruyante, striction pharyngée, oppression thoracique, palpitations, vertiges, malaises) doivent être éclaircies.3
Le lien chronologique entre l’effort et la survenue de la dyspnée (dès le début, pendant, à l’arrêt de l’effort), le moment du cycle respiratoire où elle survient (inspiratoire, expiratoire, les deux), la durée de résolution des symptômes (secondes ou minutes versus heures), tout comme l’existence d’autres facteurs déclenchants (allergènes, fumée, froid, altitude) contribuent à l’élaboration d’une hypothèse diagnostique. Les points clés sont résumés dans le tableau 1.
Un examen complet est réalisé avec mesures des paramètres vitaux et anthropométriques, à comparer aux normes pour l’âge. L’inspection débute avec l’adolescent debout en sous-vêtements, à la recherche d’une morphologie particulière (déformation thoracique, pectus excavatum, scoliose), d’un hippocratisme digital, de signes d’anémie (pâleur cutanée ou conjonctivale), d’hypoxémie (cyanose) et d’atopie (eczéma, rhinite, pharyngite).3 L’auscultation cardiopulmonaire au repos est généralement normale; on recherche un souffle ou une arythmie et d’éventuelles sibilances ou un stridor.
Les principales étiologies de la dyspnée d’effort de l’adolescent sont décrites ci-dessous. Le tableau 2 résume les diagnostics différentiels. L’orientation décisionnelle ainsi que les investigations de base sont résumées dans la figure 1.
L’AIE se définit par la survenue de symptômes respiratoires et d’une chute du volume expiratoire maximal par seconde (VEMS) après l’effort chez un asthmatique, tandis que la bronchoconstriction induite par l’effort (BIE) décrit la chute du VEMS survenant suite à un effort intense sans symptômes chroniques. Les deux termes seront ici utilisés conjointement, sauf s’il en est précisé autrement. L’AIE touche jusqu’à 36,7 % des jeunes asthmatiques, alors que la prévalence de la BIE, faible chez l’adolescent (8,6 %), varie chez l’athlète de compétition (de 22,8 % dans les sports d’été à 50 % dans les sports d’hiver).4,5 On peut ainsi retenir deux phénotypes d’asthme chez l’athlète : celui qui est symptomatique depuis l’enfance, souvent accompagné de sensibilisations allergiques, et celui survenant à la pratique intense d’un sport de compétition dans un environnement particulier.6 D’un point de vue physiopathologique, deux mécanismes sont responsables de l’AIE/BIE. Principalement, l’augmentation de la ventilation minute lors d’un exercice physique occasionne une déshydratation de la surface épithéliale bronchique. Cela génère l’augmentation de l’osmolalité extracellulaire et de la concentration intracellulaire d’ions, entraînant le relargage de médiateurs inflammatoires responsables de la bronchoconstriction (théorie osmolaire). De plus, le refroidissement provoque une vasoconstriction réflexe, suivie d’une vasodilatation rebond dès l’arrêt de l’effort, provoquant un œdème de la paroi bronchique (théorie vasculaire). Le tout résulte en une diminution du calibre des voies aériennes, parfois associée à une symptomatologie typique d’oppression thoracique, toux, sifflement respiratoire après un effort intense, et non pas au pic de l’intensité de l’effort.7,8
La démonstration d’une limitation des débits expiratoires au repos ou d’une amélioration du VEMS d’au moins 12 % (et au moins 200 ml chez l’adolescent et l’adulte) après administration d’un bronchodilatateur permet de poser le diagnostic d’asthme. Chez l’adolescent ou le sportif, dont les valeurs de spirométrie de repos sont normales, voire supranormales, des tests de bronchoprovocation permettent d’objectiver une BIE. Les bronchodilatateurs et un effort d’intensité moyenne doivent être évités avant la réalisation des épreuves fonctionnelles.6,7
Le test d’effort standardisé sur tapis roulant ou cycloergomètre est un test de provocation bronchique indirecte de bonne spécificité mais de sensibilité moyenne, surtout chez le patient déjà sous corticostéroïdes inhalés (CSI). Concrètement, une mesure du VEMS est effectuée au repos, suivie d’un effort d’intensité élevée (> 85 % de la fréquence cardiaque maximale prédite) pendant 6 à 8 minutes, et de mesures sériées du VEMS à différents temps après l’effort. Le test est considéré comme positif si la chute du VEMS est d’au moins 10 % de la valeur de repos. La sensibilité du test peut être augmentée en le réalisant sur le terrain, mais demeure non optimale chez l’athlète. En revanche, le test d’effort permet aussi d’évaluer les compétences physiques et motrices de l’adolescent.
Le test d’hyperventilation eucapnique volontaire (HEV), bronchoprovocation indirecte, est plus sensible que le test d’effort chez le sportif entraîné, et hautement spécifique. Il s’agit à nouveau de mesurer le VEMS de repos, de générer une ventilation minute d’environ 85 % de la ventilation volontaire maximale en respirant un mélange enrichi en CO2, puis d’obtenir des valeurs sériées du VEMS. Une chute du VEMS d’au minimum 10 % témoigne d’une hyperréactivité bronchique. Une baisse plus marquée (-15 %) augmente la spécificité.
Le test de provocation (directe) à la méthacholine, qui consiste en l’inhalation d’aérosols de méthacholine à doses croissantes entre des mesures répétées du VEMS, a une meilleure sensibilité que les tests de bronchoprovocation indirecte, mais une moins bonne spécificité. Le test est considéré comme positif si la dose cumulée de méthacholine générant une chute du VEMS de 20 % est ≤ 4 mg/ml selon la méthode décrite par Juniper (tidal breathing volume). Il existe une zone grise entre 4 et 16 mg/ml : si l’athlète est déjà sous CSI, on considère que ce résultat indique une hyperréactivité bronchique sous-jacente.
L’athlète peut avoir une réponse positive à un seul test, si bien qu’il est recommandé de réaliser au moins deux tests de bronchoprovocation pour optimaliser le diagnostic de BIE. Ces tests devraient être faits de préférence durant une période d’entraînement intense, puisque l’hyperréactivité bronchique régresse dès l’arrêt des entraînements, comme démontré dans une population de nageurs après 2 semaines de pause.8,9
D’une manière plus générale, des tests allergiques doivent aussi être inclus dans le bilan pour identifier des facteurs aggravants et soigner une rhinite allergique si elle est présente.
Le traitement de l’asthme, identique chez l’athlète et chez l’asthmatique qui pratique du sport récréatif, vise à obtenir le contrôle des symptômes à travers une prise en charge individualisée, des mesures environnementales et un traitement médicamenteux approprié.9 Néanmoins, tout traitement médicamenteux chez l’athlète doit respecter les recommandations de l’agence mondiale antidopage (WADA), mises à jour chaque année et accessibles en ligne (www.antidoping.ch).1
En cas de symptômes occasionnels, les bronchodilatateurs de courte durée d’action sont utiles pour soulager l’AIE/le BIE, et prévenir leur apparition s’ils sont administrés 10 à 15 minutes avant l’effort. Par contre, leur utilisation plurihebdomadaire témoigne d’un asthme insuffisamment contrôlé, et doit mener à l’introduction précoce de CSI en traitement de fond. Si les CSI ne permettent pas d’obtenir le contrôle de l’asthme, l’ajout d’une autre molécule (bronchodilatateurs à longue durée d’action, inhibiteurs des récepteurs des leucotriènes) doit être proposé. Les glucocorticoïdes systémiques sont interdits en compétition.
L’emploi de bronchodilatateurs d’urgence doit rester limité. La dose maximale quotidienne admise est de 1600 µg/jour pour le salbutamol (800 µg/12 heures), 200 µg/jour pour le salmétrol et 54 µg/jour pour le formotérol. Tous les autres bêta-2 agonistes sont interdits chez les sportifs de compétition et leur utilisation, pour autant qu’elle soit justifiée, doit faire l’objet d’une demande d’autorisation d’usage à fins thérapeutiques (AUT).
Des mesures non pharmacologiques (respiration nasale, échauffement fractionné d’intensité légère, protection du froid, mesures environnementales) peuvent aussi contribuer à l’amélioration des symptômes.
Le diagnostic différentiel principal de l’AIE/du BIE est l’obstruction laryngée induite par l’exercice (OLIE),11,12 anciennement appelée dysfonction des cordes vocales (DCV). Cette obstruction laryngée spécifique survenant lors de la pratique du sport touche environ 15 % de la population, plus fréquemment les femmes (3 à 5 fois plus), sauf chez les sportifs d’élite où le rapport est de 1 homme pour 2 femmes.
Plusieurs théories sont rapportées sans claire évidence sur la pathophysiologie. La plupart des études décrivent des facteurs favorisants sans connaître le mécanisme spécifique qui explique la réduction du calibre glottique. Une hyper ou hyposensibilité des mécanorécepteurs laryngés est décrite, induite par une variété d’irritants, en particulier le reflux gastro-œsophagien/pharyngo-œsophagien ou une irritation laryngée directe par certains produits chimiques irritants (le chlore par exemple). Une participation fonctionnelle, induite par le stress qui augmente la tension musculaire laryngée, est également décrite.
A l’anamnèse, le patient présente différents symptômes survenant généralement au pic de l’effort : dyspnée brusque, wheezing (qui peut être confondu avec l’AIE/le BIE), stridor inspiratoire, toux sèche, sensation de compression thoracique, dysphonie, tension laryngée. Les symptômes durent de quelques secondes à 30 minutes, et leur résolution est rapide à l’arrêt de l’effort. Mentionnons qu’OLIE et AIE peuvent coexister dans 15 à 50 % des cas.
La spirométrie permet d’écarter un asthme, qui peut coexister. On peut observer aussi un aplatissement de la courbe inspiratoire. Cependant, l’examen de choix pour poser le diagnostic d’OLIE est la laryngoscopie durant l’effort. L’obstruction se situe soit au niveau des cordes vocales, soit au niveau supra-glottique (épiglotte, région aryténoïdienne), soit les deux. Au niveau glottique, il peut y avoir une tension musculaire intracordale augmentée que l’on peut remarquer en raison d’une fermeture laryngée postérieure en losange, appelée diamond shaped posterior chink, ou un serrage musculaire sus-glottique (figure 2). Au niveau glottique, des mouvements paradoxaux d’adduction des cordes vocales sont remarqués durant l’effort intense : mouvements de bascule antérieure d’un aryténoïde, fermeture complète des cordes vocales à l’inspirium (figure 3). Au niveau supraglottique, il peut y avoir une bascule postérieure de l’épiglotte ou une bascule de la muqueuse aryténoïdienne au niveau glottique à l’inspirium.13,14 La laryngoscopie permet aussi de visualiser la phase du cycle respiratoire touchée : inspirium ou inspirium et expirium. Par contre, la stroboscopie, qui permet de visualiser les vibrations cordales, n’est pas nécessaire, sauf pour exclure d’autres pathologies intracordales associées. Il n’y a pas de consensus sur la classification des mouvements visibles en laryngoscopie durant l’effort.
La prise en charge de l’OLIE ne repose pas sur des évidences scientifiques établies; un traitement médicamenteux avec inhalation d’anticholinergiques avant l’effort peut être proposé, mais une grande place est donnée aux interventions de logopédie se basant sur le renforcement de la musculature inspiratoire et les techniques de biofeedback.15,16 Il importe également d’éliminer tous les irritants laryngés potentiels comme le reflux ou la rhinite chronique. Dans les cas sévères, une supraglottoplastie au laser peut être envisagée, après prise en compte attentive des risques et complications.
Le déconditionnement est la cause la plus fréquente de dyspnée chez les adolescents peu actifs, mais reste un diagnostic d’exclusion.2 Il se traduit par une limitation physiologique à l’exercice plus basse qu’attendue, survenant dans un contexte de sédentarité ou après une maladie ou un alitement prolongé.2 Soit l’individu est réellement déconditionné et alors le débit cardiaque et la capacité maximale sont réduits, soit la réponse à l’effort est physiologique, mais la perception du sujet est anormale. La respiration à l’effort est souvent anarchique, avec augmentation rapide de la fréquence cardiaque et utilisation d’emblée de la musculature accessoire. Plus l’asthénie est importante, plus la dyspnée sera ressentie. Un programme de reconditionnement progressif à l’effort permet de faire disparaître les plaintes.
La dyspnée d’effort est une plainte fréquente chez l’adolescent. Même si l’AIE et le BIE sont les principaux diagnostics rencontrés, d’autres conditions sont aussi à considérer, qui peuvent par ailleurs coexister. Etablir un diagnostic uniquement sur la base des symptômes rapportés risque de mener à des diagnostics erronés, à des traitements inutiles, voire délétères, et d’altérer autant le plaisir de faire du sport que les performances. L’investigation d’une dyspnée d’effort nécessite ainsi une anamnèse détaillée et des examens objectifs afin d’offrir aux adolescents pratiquant une activité sportive récréative ou de compétition un diagnostic précis et une prise en charge optimale. Le suivi permet ensuite d’en évaluer l’effet et de renforcer l’adhérence.
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.
Les auteurs remercient le Pr Louis-Philippe Boulet, de l’Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec, Université Laval, pour sa relecture attentive et ses commentaires.
▪La dyspnée d’effort est une plainte fréquente chez l’adolescent et doit être investiguée
▪Une anamnèse spécifique permet d’orienter le diagnostic parmi les multiples étiologies possibles
▪Des examens complémentaires sont généralement nécessaires pour confirmer le diagnostic
▪Le traitement est adapté en fonction du diagnostic et de la sévérité des plaintes, en prenant toujours en compte les conditions de la pratique sportive de l’adolescent (type, niveau, environnement, etc.)