C’est un phénomène sans précédent qui reste pour une large part à décrypter : la violence d’une série d’attaques médiatiques contre une adolescente étrangement devenue célèbre. Des attaques menées, en France, par des adultes dotés d’une notoriété certaine s’acharnant contre Greta Thunberg, 16 ans, que l’on ne présente plus. Greta Thunberg qui incarne depuis plusieurs mois une « révolte des enfants » contre la catastrophe climatique en cours, qui inspire les « grèves lycéennes pour la planète » et interpelle ou dialogue avec quelques adultes qui en ont la charge. Contre elle : Pascal Bruckner, Michel Onfray et le Dr Laurent Alexandre.
Dans l’ordre chronologique, la première attaque fut menée par le philosophe, romancier et essayiste français, Pascal Bruckner, 70 ans. C’était en avril dernier dans Le Figaro 1 et l’auteur exprimait à sa façon son angoisse face à une jeunesse montante et contestataire. « L’égérie de la contestation, la très jeune Suédoise Greta Thunberg, est loin de lever l’ambiguïté. Outre qu’elle affiche son Asperger comme un titre de noblesse, son visage terriblement angoissant semble dire : si vous ne le faites pas pour la planète, faites-le au moins pour moi, écrivait-il alors. Apprendre par la presse qu’elle a cessé il y a quatre ans de parler, de manger, de jouer du piano par souci du climat et qu’elle n’est allée mieux que quand ses parents ont decide de ne plus prendre l’avion et de manger vegan jette de sérieux doutes sur ses motivations (…). Elle est pressentie pour le prix Nobel de la paix. »
Plus généralement, le philosophe estimait que la notoriété de cette adolescente est « symptomatique du caractère délirant que peut prendre la nécessaire mobilization pour le climat ». Et l’essayiste de se souvenir : « Comment ne pas songer à l’enfant star Jordy qui, en 1992, à l’âge de 4 ans, devient célèbre grâce à une chanson, “Dur dur d’être un bébé!”, vendit près de 6 millions de disques et, bouleversé par ce succès planétaire précoce, finit par se fâcher avec ses parents et sa maison de disques, accusés de l’avoir exploité ? » « “Dur, dur d’être une ado qui porte toute la misère du monde!” pourrait chanter Greta Thunberg, osait-il ajouter. On a très envie de l’aider : mais prendre le globe en otage pour une thérapie familiale donne le sentiment d’une duperie. »
Pascal Bruckner fut peu après étrillé, sur Slate.fr2 par le journaliste Claude kolovitch. « La bouille ronde d’une adolescente, que l’humanité tourmente, angoisse Monsieur Bruckner, écrivait-il. L’autisme que ne masque pas une jeune fille sans filtre, l’autisme qu’elle tente de nous faire comprendre, lui semble une arrogance, un empiétement indu. Elle l’embête, la bougresse, avec sa différence ! Ne pourrait-on pas, enfin, laisser penser en paix les adultes et sains d’esprit ? Saisit-on cette méchanceté ? Il ne s’agit plus seulement de fustiger un emballement médiatique et politique, de regretter – fut-ce avec véhémence – l’embrigadement de la jeunesse, « nos bambins », dans les luttes des adultes. Le philosophe, ici, chasse une intruse, et il la chasse pour ce qu’elle est. Jeune et handicapée, Greta Thunberg est d’autant plus détestable – un peu sorcière, perverse et laide, angoissante. On parle ainsi d’une fille de 16 ans. »
Vint ensuite, dans le sillage de Pascal Bruckner, son non moins célèbre confrère Michel Onfray, 60 ans. Un ahurissant papier publié sur son site.3 Des extraits, ici, s’imposent : « Cette jeune fille arbore un visage de cyborg qui ignore l’émotion – ni sourire ni rire, ni étonnement ni stupéfaction, ni peine ni joie. Elle fait songer à ces poupées en silicone qui annoncent la fin de l’humain et l’avènement du post-humain. Elle a le visage, l’âge, le sexe et le corps d’un cyborg du troisième millénaire : son enveloppe est neutre. Elle est hélas ce vers quoi l’Homme va. »
Ou encore : « Les journalistes nous font savoir avec moult précautions, presque en s’excusant, qu’elle est autiste – il faut le dire, sans le dire, tout en le disant quand même. Dont acte. Je laisse cette information de côté. L’usage métaphorique de ce mot est interdit par la bien-pensance, mais on découvre également qu’il l’est aussi dans son sens premier. Donc on le dit, mais on n’a rien dit (…). Et puis, le diable est dans les détails, ce cyborg neutre et pâle comme la mort, au visage tendu par les épingles du néant, signe parfois ses imprécations avec l’index et le majeur de chaque main, comme pour signifier des guillemets. Il n’y a que dans ces cas-là qu’elle semble encore humaine. »
Et pour en finir : « Quelle âme habite ce corps sans chair? On a du mal à savoir… Elle sèche l’école tous les vendredis en offrant l’holocauste de ce qu’elle pourrait apprendre à l’école pour sauver la planète. Est-ce que ce sera suffisant ? Vu la modestie de l’offrande, je crains que non… (…). L’Alice suédoise tance les adultes, elle leur dit, avec son visage non pas de marbre mais de latex : nous sommes des objets de haine, vous nous menacez, vous nous traitez de menteurs. Des adultes censés incarner la représentation nationale applaudissent… Prenant un plus long fouet, elle ajoute, s’adressant aux mêmes : “vous n’êtes pas assez mûrs”. Dans un spasme de jouissance sadomasochiste, sauf une femme qui semble raison garder, bravo madame, tous applaudissent. »
Sans doute n’était-ce pas assez dans le genre pamphlet. Vinrent soudain ces invraisemblables lignes glanées dans le flot des tweets et signées du Dr Laurent Alexandre (@dr_l_alexandre) :
« Je ne suis pas jaloux de @GretaThunberg. J’aimerais pas (sic) avoir des TOC graves, une dépression infantile, un mutisme sélectif, un Asperger avec mono-idéation et des troubles alimentaires graves me conduisant à être minuscule ! Je respecte l’enfant malade mais regrette sa manipulation ».
La défense du vivant par la jeune génération marque le passage d’une adolescence assise à une jeunesse en action
Une fraction de la Toile s’indigna. Réponse du Dr Laurent Alexandre :
« Je rappelle que ce sont les parents de @GretaThunberg qui ont révélé son dossier psychiatrique (pas moi). Et je pense que cela devrait être un délit de révéler le dossier médical de son enfant mineur ! Je trouve cela dégueulasse ! Signalez les parents de @GretaThunberg ».
A dire vrai, le Dr Alexandre, 59 ans, ancien chirurgien urologue et personnalité atypique, récidivait. Il avait déjà fait part de son ire quelques mois plus tôt dans Le Figaro.4 « Il est déjà paradoxal que Greta Thunberg symbolise un engagement messianique planétaire, alors que son visage n’affiche jamais la moindre empathie, écrivait-il alors. Cette enfant est d’autant manipulable que ses parents ont rendu public son handicap (ce qui est irresponsable de leur part) : en tant que médecin, je pense que révéler l’état neuropsychiatrique de ses enfants mineurs aux médias devrait être un délit ! On sait depuis la description du syndrome par Hans Asperger 5 en 1941, que les enfants Asperger sont parfois géniaux mais toujours fragiles ; les instrumentaliser est une faute morale. Mais surtout, Greta Thunberg roule pour l’extrême gauche anticapitaliste. »
Pourquoi tant et tant de haines ? Il faut peut-être, ici, se reporter à une tribune publiée dans Le Monde6 et signée du Dr Marion Robin. Cette psychiatre pour adolescents cherche à comprendre ce qui se trame au-delà de l’« effet Greta Thunberg », qui « insupporte certains adultes ». Pour elle, « la défense du vivant par la jeune génération marque le passage d’une adolescence assise à une jeunesse en action ». MM Bruckner, Onfray et Alexandre ne semblent guère prêts à laisser la place.