La prévalence des végétariens et véganes dans la population générale augmente, mais reste faible (< 3 %). Au contraire des véganes qui ne consomment que des produits d’origine végétale, les végétariens consomment des produits laitiers et des œufs. Les végétariens présentent peu de risque de carence mis à part un risque d’anémie ferriprive chez les femmes préménopausées. Les véganes, quant à eux, doivent être substitués systématiquement en vitamine B12 en raison d’un risque élevé de carence. Ils sont aussi plus à risque de carence en calcium et en fer, avec des taux de fracture ostéoporotique et de carence martiale plus élevés. Un suivi diététique est conseillé, en particulier pour les véganes, malgré l’absence de recommandations claires de la littérature. Ces régimes semblent améliorer de nombreux facteurs de risque cardiovasculaire mais ces effets restent à confirmer.
Il existe différentes formes de régimes végétariens (Vt) qui gagnent en popularité.1 Ces alimentations excluent de différentes façons des produits d’origine animale. Les végétariens ou ovo-lacto-végétariens ne mangent aucune viande ou poisson mais des produits laitiers et des œufs. Les pesco-végétariens ne consomment pas de viande mais s’autorisent du poisson en plus des produits laitiers et des œufs. L’alimentation végétalienne exclut tout produit d’origine animale comme la viande mais également les produits laitiers, les œufs et le miel. L’alimentation végane (Vg) englobe l’alimentation végétalienne et a comme principe de ne pas consommer ou utiliser de produits d’origine animale comme le cuir ou la laine.2 Finalement, les flexitariens ou semi-végétariens consomment occasionnellement de la viande, soit d’une fois par semaine à une fois par mois.3 Par intérêt de simplification, le terme végane remplacera celui de végétalien dans cet article.
En Suisse comme en Europe, la prévalence des Vt varie entre 1 et 3 % de la population.4-9 Les Vg représentent une fraction plus petite, estimée à moins de 0,5 %. Les flexitariens représentent quant à eux 10 à 15 % de la population.3,10 Les données sociodémographiques rapportent que les personnes végétariennes sont en majorité des femmes, jeunes et qui présentent une meilleure hygiène de vie.7,11
Les motivations pour adopter une alimentation Vt ou Vg ont évolué au fil du temps. Il y a dix ans, les raisons éthiques, et notamment la cause animale, étaient au premier plan. Plus récemment, des motifs écologiques sont mis en avant. De plus, de potentiels effets bénéfiques sur la santé sont cités comme éléments de motivation.1,3 Le but de cet article est d’effectuer une revue des risques et des bénéfices potentiels d’une telle alimentation et de rappeler les recommandations de la littérature à l’attention des internistes généralistes confrontés à la prise en charge des patients qui suivent ou souhaitent suivre une alimentation Vt ou Vg.
Les alimentations Vt et Vg apportent en grande quantité des vitamines C, K et E, de l’acide folique ou encore du magnésium.2 Cependant, certains risques de carence doivent être connus. Cela concerne essentiellement les protéines et les acides aminés essentiels, la vitamine B12, le fer, le calcium et la vitamine D.2
Les protéines se retrouvent en plus haute concentration dans la viande que dans les végétaux et ont une meilleure biodisponibilité, à l’exception du soja.12 La viande apporte en quantité suffisante les différents acides aminés essentiels (acides aminés ne pouvant pas être synthétisés par l’organisme et nécessaires à la synthèse protéique). Un régime Vt ou Vg couvrant l’apport calorique nécessaire et diversifié apporte une quantité suffisante de protéines et d’acides aminés essentiels.2,12,13
La vitamine B12 est retrouvée principalement dans la viande et le poisson ainsi qu’en petite quantité dans les produits laitiers et les œufs. Les végétaux en sont cependant dépourvus.11,14-16 La carence en vitamine B12 peut engendrer de nombreuses complications, principalement neurologiques, psychiatriques et hématologiques dont certaines sont irréversibles. L’anémie macrocytaire, qui est habituelle en cas de carence en vitamine B12, peut parfois être masquée et se révéler normocytaire. Ce phénomène mal compris est probablement dû à l’importante consommation en acide folique des Vt et Vg.17
Les Vt consommant du lait et des œufs se retrouvent partiellement protégés du risque d’une telle carence. Les Vg y sont eux très exposés. Les données de la littérature sont difficiles à interpréter car une proportion inconnue ou changeante des Vg consomme des compléments alimentaires contenant de la vitamine B12. Les carences sont toutefois prévisibles : les omnivores étant les moins carencés, viennent ensuite les Vt puis les Vg.11,14-16,18 Ainsi, une substitution devrait ainsi être systématique chez les Vg et une carence devrait être recherchée chez les Vt en cas de symptômes évocateurs. Cette substitution est à préférer per os avec une dose quotidienne de 50 à 100 µg ou une dose hebdomadaire de 2 mg.19 Il est à noter que les comprimés « multivitaminés » ont un effet négatif sur l’absorption de la vitamine B12 et ne devraient pas être utilisés pour une substitution. Consciente de ce risque carentiel, l’industrie agro-alimentaire enrichit en vitamine B12 de nombreux produits manufacturés.
Le fer est consommé sous deux principales formes : le fer hémique et le fer non hémique. Le fer hémique constitue 40 % du fer de la viande et bénéficie d’une excellente biodisponibilité. C’est pourquoi il représente 40 % de notre apport total en fer. Le fer non hémique est lui retrouvé dans tous les aliments, dont les végétaux. Sa biodisponibilité est moindre mais peut être améliorée par la prise concomitante de vitamine C ou diminuée par des antioxydants contenus dans les végétaux comme les phytates et polyphénols contenus dans le thé, les noix et les céréales complètes.20
La carence martiale, avec ou sans anémie, reste la carence la plus fréquente dans la population générale.21 On observe des taux de ferritine plus bas chez les Vg que chez les Vt, qui ont eux-mêmes des taux plus bas que les omnivores.11,22 Cela est particulièrement le cas chez les femmes préménopausées qui sont les seules à risque de développer une anémie.21 La consommation en fer recommandée est de 10 mg/jour
pour la population générale et de 15 mg/jour chez les femmes préménopausées.23 Ainsi, la consommation de fer doit être augmentée de 1,8 fois chez les Vt et Vg.22 L’évaluation d’une telle carence est donc recommandée dans ces populations.
La vitamine D provient principalement de la production endogène de la peau exposée au soleil à partir du cholestérol. Seule une faible partie nous provient de l’alimentation. Ainsi, le type de régime n’a que peu d’influence sur les taux de vitamine D.2,13
Concernant le calcium, les produits laitiers sont une source importante pour les omnivores et les Vt qui sont ainsi peu exposés à des risques de carence.18 Chez les Vg, le risque de carence est présent en raison de l’absence de consommation de produits laitiers. De plus, la biodisponibilité du calcium est moindre chez certains végétaux du fait de leur importante concentration en oxalates et phytates qui inhibent son absorption.11,18 Une étude suisse s’intéressant aux apports de patients Vg18 a montré une consommation moyenne de 815 mg/jour (± 285) de calcium, soit 58 % des Vg en carence (recommandations suisses à 1000 mg/jour).23
Une méta-analyse récente incluant 37 000 patients âgés de 25 à 80 ans retrouvait une densité osseuse plus faible chez les Vt et encore plus faible chez les Vg.24 Cela se traduit par un risque relatif de fracture ostéoporotique plus élevé de 1,43 (IC : 95 % : 1,05-1,98) chez les Vg. Ce risque pourrait s’expliquer par des carences en calcium et en vitamine B12 qui sont normalement des facteurs protecteurs contre l’ostéoporose. Cependant, on retrouve de nombreuses limitations, avec une durée d’adhérence aux régimes Vt ou Vg variables (de 1 à 30 ans), des facteurs confondants non analysés (activité physique, IMC, tabagisme) ainsi qu’une grande hétérogénéité des populations (tableau 1).
Certaines études observationnelles rapportent que les Vt et Vg présentent un IMC inférieur à celui des omnivores avec une différence d’IMC de 0,5 à 1 kg/m2.25,26 Toutefois, elles ne permettent pas d’établir un lien de causalité entre type de régime et baisse de poids. Des études interventionnelles, auprès de patients obèses qui devenaient Vg, ont révélé une faible diminution de l’IMC.27,28 Cependant, la portée de ces études est limitée par le fait que les Vg avaient un accès gratuit à l’alimentation, contrairement aux omnivores du groupe contrôle.17
L’alimentation joue un rôle central dans la pathogenèse, le contrôle ainsi que dans le traitement du diabète de type 2. Un régime riche en fibres, graines, fruits et légumes qui caractérise les régimes Vt et Vg pourrait être bénéfique. Cela semble confirmé par des études observationnelles qui montrent une diminution de 40 % de l’incidence du diabète sur une période de 4 à 17 ans chez les Vt,26,29 sans pouvoir conclure à un lien causal. De rares essais interventionnels sur des petits groupes de patients ont été conduits où des personnes diabétiques débutaient un régime Vg. Une étude se déroulant sur plus d’une année révèle une diminution d’environ 1 % de l’HbA1c chez les personnes ayant modifié leur régime, mais la différence devient non significative lorsque les analyses sont faites en intention de traiter.28 De plus, le faible nombre de patients inclus limite fortement la généralisation de cette étude.
Dans une méta-analyse de 2014,30 les personnes Vt ou Vg présentaient en moyenne une tension artérielle systolique plus basse de 7 mmHg et diastolique de 5 mmHg que la population omnivore. Les auteurs ont analysé également sept études interventionnelles randomisées incluant 340 personnes non hypertendues. Certaines personnes adoptaient un régime Vt ou Vg et d’autres poursuivaient un régime omnivore sans aucune intervention. Une diminution moyenne de la tension systolique de 5 mmHg et diastolique de 2 mmHg était constatée entre les deux groupes. La portée de ce résultat reste limitée par la faible taille et la courte durée des études (< 16 semaines) et le manque d’analyse des facteurs confondants comme la consommation d’alcool ou l’activité physique.
Les Vt et Vg sont reconnus pour leur consommation plus faible en lipides et acides gras saturés.11 Les études observationnelles semblent confirmer que leur profil lipidique est meilleur que dans la population générale : de -0,75 mmol/l pour le cholestérol total et de -0,6 mmol/l pour le LDL.31 Lors d’études interventionnelles, la diminution de ces valeurs lipidiques est moindre.32 Cependant, on note un haut niveau
d’hétérogénéité entre ces études ainsi qu’un manque d’analyse des facteurs confondants comme le sexe, l’âge ou l’IMC.
Depuis 2015, le régime Vt est considéré par la SSN comme une alimentation équivalente à un régime omnivore.13 Toutefois, ces deux régimes devraient contenir principalement des aliments d’origine végétale et être associés à une activité physique adéquate, une absence de tabagisme et une consommation aussi basse que possible d’alcool. Concernant le régime Vg, la SSN estime qu’en sélectionnant les aliments de manière réfléchie, les besoins de l’organisme pourraient être couverts. Cependant, le régime Vg ne peut pas convenir à tout le monde. La personne choisissant ce type de régime devrait avoir de bonnes connaissances en nutrition et devrait être suivie par un(e) diététicien(ne). De plus, les personnes suivant un régime Vg devraient bénéficier d’une substitution systématique en vitamine B12, combiner les aliments riches en fer avec ceux riches en vitamine C et finalement consommer suffisamment de calcium, protéines, fruits à coque et graines oléagineuses.
En 2018, un groupe d’experts indépendants a été mandaté par la confédération afin d’actualiser les recommandations concernant le régime Vg. Il en ressort une analyse exhaustive des études parues entre 2006 et 2018 portant sur les différentes conséquences du régime Vg. La commission conclut qu’un régime Vg pourrait en théorie couvrir les besoins nutritionnels. Cependant, devant le nombre fréquent de carences, toute personne motivée par ce type de régime devrait être accompagnée par un professionnel afin de recevoir une supplémentation et des recommandations personnalisées.
Les régimes végétariens et véganes gagnent en popularité pour de nombreuses raisons. Chez les végétariens, on observe seulement un risque faible de carence, avec une attention particulière pour la vitamine B12 et le fer, qui justifie une surveillance régulière, d’autant qu’elle s’associe à des symptômes évocateurs. Les véganes sont quant à eux à très haut risque de carence, en particulier en vitamine B12 et doivent beneficier d’une substitution systematique. Malgre l’absence de recommandationbien definie, un suivi dietetique pourrait etre propose. Les benefices sur les maladies et facteurs de risque cardiovasculaires attendus par ce type de regime restent toutefoisa mieux documenter.
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.
▪ Les végétariens ont peu de risque de carence
▪ Une substitution en vitamine B12 est nécessaire pour chaque végane
▪ En cas de suspicion de carence, effectuer un bilan sanguin minimal avec vitamine B12, ferritine et hémoglobine
▪ Une consultation chez un(e) diététicien(ne) pourrait être proposée, particulièrement pour les véganes
▪ Il est possible que ces régimes aient un effet bénébénéfique sur lasanté, notamment cardiovasculaire
Vegetarian and vegan diets are increasing in the population, but the prevalence remains low (< 3 %). Vegetarians consume diary and eggs while vegans do not consume or use any animal derived products. Vegetarians have a low risk of deficiency except for iron deficiency with anemia in pre-menopausal women. Vegans should receive a mandatory vitamin B12 substitution because of an important risk of deficiency. Furthermore, vegans are at higher risk of iron and calcium deficiency with higher rates of osteoporotic fracture and iron deficiency anemia. Dietary advice is recommended, particularly for vegans, even though no clear recommendations can be found in the literature. These diets seem to be associated with a reduction in cardio-vascular risk factors, but this association remains to be confirmed.