On se souvient du slogan : « Un enfant si je veux quand je veux ! ». Voici aujourd’hui deux actualités certes françaises mais qui, bien au-delà des frontières de l’Hexagone, résument un large pan de l’évolution de nos sociétés. D’une part, le premier pas législatif vers une extension des techniques de procréation médicalement assistée (PMA) aux couples de femmes et aux femmes seules. De l’autre, une actualisation des données et des controverses quant à la pratique (dépénalisée depuis quarante-quatre ans) de l’interruption volontaire de grossesse.
Après un peu plus de trois jours de discussions, les députés français ont voté en première lecture, vendredi 27 septembre, l’article premier du projet de loi sur la bioéthique qui prévoit l’extension d’une pratique jusqu’ici circonscrite au champ de la thérapeutique de la stérilité/hypofertilité des couples « composés d’un homme et d’une femme en âge de procréer ». Hémicycle plus que clairsemé : cinquante-cinq députés ont voté pour, dix-sept contre et trois se sont abstenus.
Cette disposition législative est unanimement considérée, en France, comme la première grande réforme sociétale du quinquennat d’Emmanuel Macron – l’équivalent et le prolongement du « mariage pour tous », également institué par voie législative en 2013. Amplement anticipés dans les médias depuis plusieurs mois, les débats des députés ont, rapporte Le Monde,1 été « nourris, quelquefois techniques et souvent répétitifs » – avec notamment le recours au concept d’« effet domino » ou de « pente glissante » : il fait ici valoir que la légalisation de la « PMA pour toutes » conduira irrémédiablement, au nom de la non-discrimination entre homosexuelles et homosexuels, à l’acceptation de la pratique (aujourd’hui prohibée) de la « grossesse pour autrui » (GPA).
« Dans l’hémicycle, il fut question parfois des droits des femmes, beaucoup de la figure du père, et très fréquemment de l’intérêt supérieur de l’enfant, ajoute Le Monde. Alors que la liberté de vote est de mise pour ce texte, les lignes de fracture politique se sont dessinées dès la discussion générale. » Soit, d’un côté, les célébrations aux accents féministes et, de l’autre, les critiques et oppositions face à « un changement de civilisation » marqué par « l’évincement du père » en l’absence du respect du principe de précaution. « Sur les bancs de La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon, observe Le Monde, invoquant tour à tour Epictète, Prométhée et Robespierre, s’est livré à un plaidoyer en faveur de l’ouverture de la PMA, au motif qu’“il n’y a pas de vérité biologique, il n’y a qu’une vérité : elle est sociale et culturelle”. »
Vinrent ensuite la question de l’extension de la PMA aux personnes transgenres puis celle de la PMA post mortem – deux dispositions ne figurant pas dans le texte présenté par le gouvernement. En France, depuis 2016, les personnes transgenres peuvent modifier leur sexe à l’état civil sans pour autant avoir subi d’intervention chirurgicale. Une série d’amendements venus de différents bords politiques contestait le fait que l’état civil de la personne soit le critère choisi par le gouvernement pour délimiter les nouveaux accès à la PMA. Pourquoi ne pas accepter l’extension de la PMA à toute personne dotée d’un appareil reproducteur féminin – et ce quel que soit son sexe à l’état civil ? Amendement rejeté.
De même, la possibilité pour une femme devenue veuve lors d’une prise en charge pour une PMA d’avoir accès au sperme de son défunt mari (ou aux embryons conçus avec lui) a été rejetée. Les députés qui y étaient favorables ont plaidé le manque de cohérence consistant à ouvrir la PMA aux femmes célibataires tout en continuant d’interdire la PMA post mortem.2 Cela reviendrait, expliquaient-ils, à autoriser une veuve à utiliser les gamètes d’un donneur anonyme, mais à lui refuser ceux, congelés, de son conjoint défunt. Face à eux : le gouvernement et les opposants ont dit leur « vertige » en imaginant que la loi ouvre la possibilité de « faire engendrer un mort », de « créer des orphelins de père ». Où l’on perçoit que le mariage de la politique et de la bioéthique peut ne pas être dénué de profondes incohérences.
Les lignes de fracture politique se sont dessinées dès la discussion générale
Où l’on perçoit aussi que les législateurs ont bien souvent du mal à ne pas séparer leur affect et la construction de la loi. Ainsi ce député de droite qui évoqua publiquement son veuvage. Ainsi cet autre, du parti présidentiel, parlant de son parcours de PMA avec son épouse. Ou encore ce député centriste ne cachant rien de sa qualité d’enfant adopté. « Mais, conclut Le Monde, il restera aussi de cet examen en première lecture de l’article 1er de la loi de bioéthique, l’image forte de la quasi-totalité des présents debout et applaudissant l’un de leurs collègues (Les Républicains, droite), victime de menaces sur les réseaux sociaux pour son soutien à la PMA pour toutes. »
Sept jours. C’est, aujourd’hui en France, le délai moyen d’accès à l’IVG – avec toutefois de grandes variations selon les régions. Durant l’année 2018, 224 300 interruptions volontaires de grossesse (IVG) ont été réalisées en
France – parmi lesquelles 209 500 auprès de femmes résidant en métropole. Le taux de recours à l’IVG s’élève à 15,0 IVG pour 1000 femmes âgées de 15 à 49 ans en métropole et à 27,8 dans les départements et régions d’outre-mer – soit son niveau le plus élevé depuis 1990. Les femmes de 20 à 29 ans restent les plus concernées, avec un taux de 27 IVG pour 1000 femmes sur l’ensemble du territoire. Telles sont les principales données résumées d’un travail de la Direction française de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) qui vient d’être publié.3
Les taux de recours vont du simple au double selon les régions : de 10,9 IVG pour 1000 femmes en Pays de la Loire à 22,0 en Provence-Alpes-Côte d’Azur. Dans les DROM, ils sont plus élevés et atteignent jusqu’à 38,5 en Guadeloupe. D’autre part, 55 800 IVG ont été réalisées hors d’une structure hospitalière, soit 25 % du total. À l’hôpital, la part des IVG instrumentales continue de décroître et s’élève à 40 %, soit 30 % du total.
Pour sa part, Agnès Buzyn, ministre française des Solidarités et de la Santé, annonce être « déterminée à réduire l’hétérogénéité des situations territoriales » ainsi que « des mesures pour conforter un accès rapide à l’IVG partout en France ». Ces mesures « s’articuleront autour de la formation des professionnels, de l’information des femmes et de plans d’actions ciblés sur les zones en difficulté ». S’il n’y a pas stricto sensu de « zones blanches » en termes d’accès à l’IVG, il existe bien, en revanche, des « territoires en tension » dans la majorité des régions ; et ce, soit du fait de la démographie des professionnels, soit durant les périodes estivales.
Parmi les premières mesures ministérielles concrètes figurent l’inscription de l’IVG comme action prioritaire de la formation continue des médecins et des sages-femmes, ainsi que la mise en place d’un annuaire exhaustif de l’offre de l’IVG, dans chaque région et actualisé pour prendre en compte la saisonnalité. Figure encore le renforcement de l’offre : des IVG instrumentales pourront être réalisées en centres de santé dès le premier trimestre 2020. Il faut enfin mentionner l’intégration de l’accès à l’IVG parmi les critères d’évaluation des hôpitaux. « Un enfant si je veux quand je veux ! »