L’hémorragie digestive haute (HDH) touche plus de 400 000 patients/an aux États-Unis et représente un coût médical élevé. Elle est définie anatomiquement comme prenant son origine en amont du ligament de Treitz, intéressant l’œsophage, l’estomac ou le duodénum et se manifeste par une hématémèse, des vomissements en marc de café ou un méléna. L’hématochézie est une présentation plus rare et signe une hémorragie sévère qui sera fréquemment accompagnée d’une compromission hémodynamique.1
Les causes les plus fréquentes d’HDH sont d’origine « non variqueuse » (80-90 %) et comprennent les ulcères gastriques et duodénaux (20-50 %), les érosions gastroduodénales (8-15 %), le syndrome de Mallory-Weiss (8-15 %), l’œsophagite érosive (5-15 %), l’ulcère de Dieulafoy, les malformations artérioveineuses et les tumeurs du tractus gastrointestinal.1
L’infection à H. pylori joue un rôle majeur dans le développement des ulcères puisqu’elle est associée à 80 % des ulcères duodénaux et 50 % des ulcères gastriques.2 Il s’agit de l’infection bactérienne persistante la plus fréquente, touchant jusqu’à la moitié de la population mondiale et atteignant même une prévalence de 90 % dans les pays en voie de développement.3 Si certaines souches particulièrement virulentes semblent être plus fréquemment associées aux lésions gastrointestinales, le mécanisme exact du développement d’ulcères par H. pylori n’est toutefois pas encore élucidé.4 La présence d’H. pylori est systématiquement recherchée chez les patients avec des ulcères gastroduodénaux et si la bactérie est présente, elle doit être éradiquée.5
Parmi les utilisateurs chroniques d’AINS, 25 % développent un ulcère, dont 2 à 4 % se compliquent d’un saignement ou d’une perforation.6 L’utilisation concomitante d’aspirine, d’inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine, de corticostéroïdes ou d’anticoagulants augmente le risque de saignement.4 La coprescription d’un inhibiteur de la pompe à protons pour la prévention des lésions gastroduodénales dues aux AINS n’est justifiée que chez les sujets à risque. Sont concernés, les patients de plus de 65 ans, ceux ayant des antécédents d’ulcère gastroduodénal et ceux traités par un antiagrégant plaquettaire, un anticoagulant ou un corticostéroïde en plus du traitement d’AINS.6
Depuis quelques années, les anticoagulants oraux directs (ACOD) prennent une place importante dans la prise en charge de la fibrillation auriculaire non valvulaire et de la maladie thromboembolique veineuse. Incluant les inhibiteurs directs de la thrombine (dabigatran) et les inhibiteurs directs du facteur Xa (rivaroxaban, apixaban et édoxaban), ces molécules ont l’avantage d’avoir un début d’action rapide, des demi-vies courtes, d’être prescrites en dose fixe et d’avoir moins d’interactions médicamenteuses et alimentaires que les antivitamines K (AVK).7 Alors que les ACOD se sont montrés plus sûrs que les AVK en termes de saignement intracrânien, il n’en est pas de même pour les saignements gastrointestinaux. En effet, tant le dabigatran que le rivaroxaban et l’édoxaban augmentent le risque d’hémorragie digestive en comparaison aux AVK. Ce risque est plus élevé chez les patients traités pour une fibrillation auriculaire ou une thrombose documentée que chez ceux recevant une thromboprophylaxie après une chirurgie orthopédique, suggérant un effet potentiellement lié à la dose et à la durée du traitement ACOD.7,8
La priorité de la prise en charge d’une HDH est d’assurer la stabilité hémodynamique à l’aide de perfusions de cristalloïdes ou de solutés balancés et d’éventuelles transfusions.1 Une étude randomisée contrôlée a comparé une stratégie transfusionnelle « restrictive » (seuil transfusionnel à 70 g/l) à une transfusion « libérale » (seuil transfusionnel à 90 g/l) chez les patients avec HDH, avec l’instabilité hémodynamique définie comme pression systolique < 100 mm Hg ou fréquence cardiaque > 100/min. Elle a permis de démontrer un bénéfice significatif sur la survie à six semaines dans le groupe transfusion « restrictive », qui avait également un taux de récidive de saignement plus bas et un séjour hospitalier plus court que le groupe transfusion « libérale ».9 Les directives actuelles recommandent donc d’abaisser le seuil transfusionnel à 70 g/l.10
Un traitement par inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) doit être débuté dès qu’une HDH est suspectée, car un pH > 6 est nécessaire pour la formation et la stabilité des caillots sanguins. Il est recommandé d’administrer un bolus de 80 mg, suivi d’une perfusion de 8 mg/h devant être poursuivie 72 heures après l’endoscopie.10 Une méta-analyse a montré la non-infériorité d’un traitement d’IPP intermittent (40 mg 2 x/jour) par rapport à la perfusion continue, offrant ainsi une alternative acceptable.11
Une méta-analyse récente a comparé les voies intraveineuse et per os après une endoscopie chez les patients avec un saignement ulcéreux et n’a pas trouvé de différence en termes de récidive de saignement, de transfusion, de durée de séjour hospitalier ou de mortalité à 30 jours entre les deux voies d’administration, laissant supposer que la forme per os pourrait être équivalente à la forme intraveineuse, mais à moindre coût.12 Ces conclusions devront toutefois être confirmées par des études randomisées contrôlées avant de pouvoir être appliquées à la pratique clinique.
La sévérité d’une HDH est variable, d’où l’importance des scores pronostiques. Le score de Glasgow-Blatchford (GBS) est basé sur des critères cliniques et biologiques, validé pour identifier les patients à bas risque avec une sensibilité de 99 % et une spécificité de 32 % (tableau 1). Ainsi, les patients ayant un GBS égal à 0 peuvent regagner leur domicile depuis les urgences sans examen endoscopique immédiat et bénéficier d’une endoscopie ambulatoire.13 Une étude a démontré que ce seuil pouvait être étendu aux patients avec un GBS ≤ 1, permettant de réduire d’avantage le nombre d’admissions hospitalières.14
Le score de Rockall est, quant à lui, basé sur des critères cliniques et endoscopiques et prédit le risque de récidive de saignement et de mortalité (tableau 2). Le score varie de 0 à 11 points, avec les patients < 2 points pouvant être considérés à bas risque.15
L’œsophago-gastro-duodénoscopie (OGD), avec ou sans geste thérapeutique endoscopique, fait partie intégrante de la prise en charge des HDH et il a été démontré qu’elle améliore le devenir des patients en termes de morbidité et de mortalité.16 Parmi les possibilités thérapeutiques endoscopiques, on distingue les méthodes thermiques avec contact direct (thermocoagulation) ou sans contact (coagulation au plasma d’argon), les méthodes mécaniques comme la mise en place de clips et l’injection d’adrénaline diluée (1:10 000) sur le site de saignement. La classification de Forrest guide le choix de la modalité de traitement endoscopique des ulcères (tableau 3)10 et définit le risque de récidive hémorragique.
Alors qu’il est clair qu’une OGD devra être effectuée chez tout patient avec HDH, le moment optimal pour sa réalisation l’est moins. Les recommandations s’accordent à dire qu’elle doit avoir lieu dans les 24 heures après la présentation du patient aux urgences.10 Plusieurs études ont cherché à démontrer qu’une endoscopie plus précoce pourrait améliorer le devenir des patients. Une revue systématique de la littérature a comparé l’OGD effectuée dans les 1-3 heures, 6-8 heures, 12 heures ou 24 heures. Les auteurs ont conclu que l’endoscopie très précoce (1-3 heures, 6-8 heures, 12 heures) aide à la stratification du risque et permet, quand une lésion à bas risque est retrouvée, de réduire le nombre d’hospitalisations. Cependant, elle expose à la visualisation plus importante de lésions saignant activement et augmente donc le nombre de thérapies endoscopiques. Il n’y a aucune évidence que l’OGD très précoce diminue les récidives de saignement, la nécessité de transfusion, le taux de recours à la chirurgie ou améliore la survie. Elle semble donc avant tout avoir une influence sur les ressources hospitalières et les coûts, en identifiant les patients à bas risque et en leur permettant de regagner leur domicile rapidement.17
Une étude prospective randomisée et contrôlée a déterminé que l’OGD précoce aux urgences (dans les 1-2 heures après l’admission) chez des patients bien sélectionnés, stables, sans comorbidités majeures cardiaques, instabilité hémodynamique persistante, coagulopathie ou hépatopathie diminue significativement la durée d’hospitalisation et les coûts.18 L’implication pratique étant évidemment délicate, car peu de gastroentérologues se déplaceront en extrême urgence pour des patients stables. Par ailleurs, même si cette tendance semble avérée dans des situations très protocolées, la réalité semble tout autre. Une étude prospective randomisée multicentrique a évalué si l’endoscopie précoce pouvait réduire l’utilisation des ressources hospitalières dans un environnement « proche de la réalité », où les médecins des urgences décidaient du retour ou non à domicile après l’OGD en recevant des recommandations du gastroentérologue. Elle a démontré que l’endoscopie précoce ne permettait pas, à elle seule, de réduire la durée d’hospitalisation ou l’utilisation des ressources, car le résultat de l’OGD n’est souvent pas le seul déterminant de la décision d’hospitalisation des patients.19
Certaines études se sont concentrées sur les patients à « haut risque ». Il est recommandé chez ces patients d’administrer une dose unique de 250 mg d’érythromycine IV 30 à 120 minutes avant l’endoscopie digestive, permettant ainsi d’améliorer la visualisation endoscopique, de réduire la nécessité d’une deuxième endoscopie, de diminuer les besoins transfusionnels et la durée d’hospitalisation.10,20 L’érythromycine augmente la vidange gastrique par stimulation du récepteur de la motiline.
Une étude rétrospective a comparé le devenir des patients à haut risque lorsqu’ils bénéficiaient d’une OGD dans les 8 heures après leur admission et dans les 8-24 heures. Le fait de réaliser une endoscopie urgente augmentait la probabilité de retrouver des ulcères avec saignement actif ou vaisseau visible et de subir un traitement endoscopique. Par ailleurs, les patients avec endoscopie urgente avaient plus de sang au niveau gastrique, réduisant la possibilité d’effectuer une OGD complète et augmentant le risque associé au geste. Il n’y avait pas de différence en termes de récidive de saignement, de transfusion, de durée de séjour hospitalier ou de mortalité.21 Une étude réalisée sur des patients hémodynamiquement instables a tiré les mêmes conclusions.22
Deux études ont toutefois montré un bénéfice de l’endoscopie précoce chez les patients à haut risque. Dans la première, l’endoscopie dans les 12 heures leur apportait un bénéfice en termes de nécessité transfusionnelle et de durée de séjour hospitalier,23 dans la seconde, la mortalité était plus élevée si l’endoscopie était réalisée > 13 heures après l’admission.24 Les guidelines recommandent d’envisager une OGD dans les 12 heures chez les patients à haut risque, hémodynamiquement instables malgré la réanimation, présentant une extériorisation intra-hospitalière ou présentant une contre-indication à arrêter une anticoagulation10 et dans les 24 heures pour l’ensemble des HDH stables (figure 1).
Alors que l’on pourrait intuitivement penser que dans les HDH, plus l’OGD est réalisée rapidement, plus le devenir des
patients est bon, la majorité des études ne le démontrent pas. Une grande partie des saignements ulcéreux tend à se résoudre avec des moyens médicaux, tels que les mesures de réanimation liquidienne et le traitement d’IPP alors que le patient attend l’endoscopie. Cette dernière peut donc être différée sans que le devenir clinique n’en soit affecté.25,26 Par ailleurs, effectuer une OGD trop précoce peut mener à outrepasser les manœuvres de réanimation initiales,27 alors que ces dernières ont été démontrées comme améliorant le pronostic des patients,28 ou encore à différer le traitement IPP,22 alors que l’agrégation plaquettaire et l’hémostase se font mieux dans un milieu non acide. Il manque pour l’heure des études prospectives randomisées avec suffisamment de puissance répondant à la question du meilleur timing pour l’endoscopie digestive haute. Il reste fondamental d’évaluer le risque clinique avec des scores pronostiques validés pour envisager un suivi ambulatoire de patients à bas risque et réaliser l’endoscopie dans les 12 heures pour les patients instables et dans les 24 heures pour les autres patients stables hospitalisés.
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.
▪ Un seuil transfusionnel à 70 g/l d’hémoglobine lors d’hémorragie digestive a montré un bénéfice sur la survie, la récidive de saignement et la durée de séjour hospitalier en comparaison d’un seuil plus élevé
▪ Un traitement d’inhibiteurs de la pompe à protons doit être débuté dès qu’une hémorragie digestive haute est suspectée
▪ Un patient avec un score de Glasgow-Blatchford ≤ 1 peut regagner son domicile sous inhibiteurs de la pompe à protons et bénéficier d’une endoscopie ambulatoire
▪ L’endoscopie digestive doit avoir lieu dans les 24 heures, après les manœuvres de réanimation médicales initiales
▪ Une endoscopie dans les 12 heures peut être envisagèe chez les patients à haut risque, par exemple ceux chez qui persiste une instabilité hémodynamique malgrè la réanimation