La prévalence de l’artériopathie oblitérante des membres inférieurs augmente avec l’âge, et, sur la dernière décennie, la tendance est à l’augmentation du nombre de patients atteints. Or ces patients sont à risque de développer des complications vasculaires locales, mais aussi des complications cardiovasculaires dans d’autres territoires. La prise en charge optimale, qui comporte un volet médicamenteux, permet de réduire le risque cardiovasculaire de ces patients. Chez certains, cependant, il persiste un risque résiduel. De nouvelles classes thérapeutiques ont été développées au travers d’essais cliniques contrôlés, randomisés, en double aveugle et ont permis de mettre en évidence une réduction complémentaire du risque cardiovasculaire chez ces patients.
L’artériopathie oblitérante des membres inférieurs (AOMI) est une localisation de l’athérosclérose avec des conséquences locales (Major Adverse Limb Event, MALE) et globales liées aux autres localisations athéromateuses (Major Adverse Cardiovascular Event, MACE).
Le diagnostic d’AOMI fait appel à une baisse de l’Index de Pression Systolique en Cheville (IPSCh, ou ABI : Ankle Brachial Index) et/ou une lésion artérielle athéroscléreuse significative. Un IPSCh normal est compris entre 0,91 et 1,39.1 Un IPSCh ≤ 0,90 signe une AOMI et un IPSCh ≥ 1,40 signe une médiacalcose.
La prévalence de l’AOMI augmente avec l’âge, < 5 % avant 50 ans, 10 % jusqu’à 65 ans, et > 25 % chez les plus de 80 ans.2
Elle a augmenté de 23 % entre 2000 et 2010.3
Parmi les patients asymptomatiques, 9,3 % développent une claudication intermittente après 5 ans (contre 3,2 % en population générale).4
Parmi les patients avec claudication intermittente, 20 % voient leur status se dégrader après 5 ans (péjoration de leur claudication pour les deux tiers et/ou apparition d’une ischémie critique chronique pour la moitié).5
Parmi les patients en ischémie critique chronique, 30 % sont amputés, et seulement 45 % sont vivants non amputés après un an.6
Il est désormais bien montré que les patients avec AOMI ont un risque accru de développer des événements majeurs coronariens ou cérébro-vasculaires :7 ils sont classés comme étant à très haut risque cardiovasculaire,8 c’est-à-dire avec un risque d’événement cardiovasculaire fatal à dix ans ≥ 10 %. Selon Criqui et coll.,9 la présence d’une AOMI est associée à une augmentation du risque relatif de mortalité de 4 à 5. Selon Welten et coll.,10 environ la moitié de la mortalité des patients avec une AOMI est imputable à une complication cérébro-vasculaire ou cardiovasculaire.
Le traitement médical optimal de la maladie athéromateuse comporte la maîtrise des facteurs de risque cardiovasculaire (FRCV), la mise en place de règles hygiéno-diététiques, des modifications du style de vie, une activité physique régulière, une rééducation à la marche pour le claudiquant, et une trithérapie médicamenteuse.11
Dans l’étude CAPRIE (Clopidogrel versus Aspirin in Patients at Risk of Ischaemic Events), le clopidogrel 75 mg/jour (versus l’aspirine à 325 mg/jour) diminue le risque d’événement cardiovasculaire (infarctus du myocarde (IDM), accident vasculaire cérébral ischémique(AVCI), ou décès de cause cardiovasculaire) dans tous les sous-groupes de patients inclus, mais encore plus chez le patient avec AOMI où la ré
En préliminaire, il importe de noter que la pénétrance clinique des recommandations actuelles sur le traitement médicamenteux de l’AOMI est faible. Il existe, certes, des contre-indications (sur une étude observationnelle monocentrique, 5 % des artériopathes avaient une contre-indication à un anti-thrombotique, 4 % à une statine, et 8 % à un IEC).18 Cependant, la prescription du traitement médicamenteux chez le patient artériopathe reste insuffisante. Dans le registre REACH (REduction of Atherothrombosis for Continued Health), seulement 64 % des patients avec AOMI symptomatique avaient une statine, 82 % un AAP, et 44 % un IEC.19 Qui plus est, les patients avec AOMI isolée étaient moins bien traités que les artériopathes avec une coronaropathie associée.20
Notre premier effort doit donc porter sur l’implémentation des recommandations existantes. Une fois ce traitement optimal assuré, de nouvelles classes médicamenteuses viennent encore réduire le risque résiduel de MACE.
L’essai COMPASS (Cardiovascular Outcomes for People Using Anticoagulation Strategies) a étudié l’effet du rivaroxaban (un anti-Xa), avec trois bras :21
La population source était des patients avec :
A noter que les patients avec coronaropathie et ABI < 0,90 étaient inclus dans la cohorte COMPASS-PAD (Peripheral Artrial Disease),22 indépendamment d’une symptomatologie aux membres inférieurs.
Sur l’ensemble de la population de COMPASS, le bras RASA versus ASA apportait un bénéfique clinique net de 20 % (réduction du critère combiné MACE + hémorragie majeure).23
Dans la sous-population de COMPASS avec une artériopathie périphérique (AOMI ou artériopathie carotidienne), le bras duction du risque relatif est de 23,8 % (figure 1).12
Dans l’étude HPS (Heart Protection Study), la simvastatine 40 mg (versus placebo) diminue le risque d’événement (décès, événements cardiovasculaires fatals ou non fatals) de 24 % (figure 1), quel que soit le sous-groupe de patients inclus, et indépendamment de leur niveau de LDL-cholestérol.13 Ainsi, dans cette étude, traiter 1000 personnes durant 5 ans permettait d’éviter un événement cardiovasculaire majeur chez 70 à 100 personnes.
Dans l’étude HOPE (Heart Outcomes Prevention Evaluation), le ramipril 10 mg (versus placebo) diminue le risque d’événement cardiovasculaire (IDM, AVCI ou décès de cause cardiovasculaire) de 22 % (figure 1). Cet effet est présent chez les hypertendus et les normotendus, restant constant au cours du temps, et est similaire dans les différents sous-groupes de patients inclus.14
La réduction du risque cardiovasculaire de chaque molécule semble être indépendante, ce qui laisse suggérer un effet cumulatif, avec une réduction du risque relatif qui pourrait atteindre 75 %.7
Ainsi, les recommandations internationales sont d’assurer une trithérapie - antiagrégant plaquettaire (AAP), statine, inhibiteur de l’enzyme de conversion (IEC) - en prévention secondaire chez les patients avec AOMI symptomatique.6,7,11,15,16
Pronostic résiduel chez les patients avec traitement médical optimal
Malgré ce traitement médical optimal chez les patients avec coronaropathie ou artériopathie périphérique, le risque résiduel de MACE est de 5 à 10 % par an.17 Chez ces patients, se pose la question de réduire ce risque. Cet article vise à faire une mise au point sur le développement récent de certaines molécules.
RASA versus ASA seule apportait un bénéfice clinique net significatif (HR 0,75) (figure 2), y compris si l’on intégrait les MALE.22 La comparaison RIVA versus ASA n’était pas significative, excepté pour les MALE de manière isolée.
S’il n’existe hélas pas à ce jour de comparaison directe d’une association rivaroxaban 2,5 mg 2 x/jour + aspirine 100 mg 1 x/jour versus clopidogrel 75 mg 1 x/jour, on remarque que CAPRIE n’était pas significative sur les MALE contrairement à COMPASS-PAD.
Deux grands essais ont été menés avec la classe des inhibiteurs de la PCSK9.
Pour l’évolocumab (140 mg sous-cutané toutes les deux semaines ou 420 mg tous les mois), les critères de jugement suivants étaient utilisés :24
La population source était :25
Dans FOURIER, 81,1 % des patients avaient un antécédent d’IDM, 19,4 % d’AVC non hémorragique et 13,2 % d’AOMI symptomatique.
La proportion de patients avec un traitement médical optimal en prévention secondaire était élevée (78,2 à 92,3 %), ce qui signifie que l’efficacité de l’évolocumab s’additionne à celle du traitement optimal déjà en place.
Sur la courbe de Kaplan Mayer, l’évolocumab permet une réduction du critère de jugement primaire, avec un HR à 0,85 (IC 95 % : 0,79-0,92), de même pour le critère de jugement secondaire, avec un HR à 0,80 (IC 95 % : 0,73-0,88). L’importance de cette réduction du risque instantané a tendance à augmenter avec le temps, et l’effet persiste après ajustement (sous-groupe de patients ou quartile de base du LDL).
Globalement, l’évolocumab permet une réduction de 15 % du critère de jugement principal (figure 2), et de 20 % du critère de jugement secondaire.
En termes de sécurité d’emploi, il n’y avait pas de différence entre les groupes évolocumab et placebo sur la survenue d’effets secondaires.
Le suivi, prévu sur quatre ans, a été réduit à deux ans, en raison d’un plus grand nombre d’événements cardiovasculaires que ce qui avait été planifié, témoignant du très haut risque cardiovasculaire de ces patients.
L’évolocumab semble donc diminuer encore plus le risque cardiovasculaire chez des patients à très haut risque, ayant déjà un traitement hypolipémiant optimal.
Pour l’alirocumab (150 mg sous-cutané toutes les deux semaines), ODYSSEY LONG TERM26 visait à étudier l’effet de l’alirocumab sur le niveau de LDL-cholestérol, avec cependant une analyse post hoc sur les événements cardiovasculaires adjudiqués.
Dans cette analyse, la population source était :
Le critère de jugement primaire, en intention de traiter, était le pourcentage de variation du LDL-cholestérol.
Le critère de tolérance incluait les événements cardiovasculaires depuis la première injection jusqu’à 10 semaines après la dernière injection, ce qui a permis cette analyse post hoc.
L’alirocumab permettait une baisse des événements cardiovasculaires (4,6 % versus 5,1 %), avec HR à 0,52 (figure 2), et des courbes d’incidences cumulatives qui s’écartaient dans le temps.
Parallèlement, chez les patients après syndrome coronarien aigu, ODYSSEY OUTCOME mettait en évidence une réduction des événements cardiovasculaires ischémiques (décès d’origine coronarienne, IDM non fatal, AVCI fatal ou non fatal, hospitalisation pour angor instable) avec l’alirocumab,27 HR à 0,85 (IC 95 % : 0,78-0,93), et même une réduction de la mortalité, avec un HR à 0,85 (IC 95 % : 0,73-0,98).
La population source, visant à identifier les patients spécifiquement à très haut risque cardiovasculaire résiduel, était différente, que ce soit pour FOURRIER, ODYSSEY ou COMPASS (tableau 3), ce qui amène à bien sélectionner dans la pratique quotidienne les patients éligibles à ces nouvelles thérapeutiques.
La recherche clinique ne s’arrête pas là, avec l’émergence d’une nouvelle classe médicamenteuse. L’icosapent éthyl induit une baisse des triglycérides, mais également des autres lipides et lipoprotéines. Il permet, dans l’essai REDUCE-IT, une réduction du risque relatif de MACE de 30 % (IC 95 % : 0,62-0,78), en prévention primaire et secondaire.28 L’iclisiran,29 visant quant à lui une baisse du LDL-cholestérol, est au début de son développement. Ces études - entre autres - témoignent de l’importance de la question du risque cardiovasculaire net résiduel.
Les patients avec AOMI ont un pronostic cardiovasculaire défavorable. Malgré cela, leur prise en charge est sous-optimale. Le premier effort du système de santé est d’assurer un traitement médical optimal, avec la maîtrise des facteurs de risque cardiovasculaire, l’exercice physique, les modifications du style de vie et la trithérapie associant un AAP, une statine et un IEC. Lorsque cette prise en charge est assurée, certains patients, gardent un risque résiduel de MACE. Chez ces patients, deux nouvelles classes thérapeutiques (anti-Xa et anti-PCSK9) permettent de réduire de manière significative ce risque résiduel. La prescription de ces nouvelles molécules repose sur une bonne sélection des patients (population cible), qui en tirera un bénéfice clinique net significatif.
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.
▪ La prise en charge de l’AOMI (artériopathie oblitérante des membres inférieurs) est insuffisante, avec un défaut d’implémentation des recommandations présentes déjà depuis de nombreuses années, incluant un antiagrégant plaquettaire, une statine et un IEC
▪ Lorsque la prise en charge médicale de la maladie athéromateuse intègre les recommandations en place, il persiste chez certains patients un risque résiduel d’événement cardiovasculaire
▪ Ces nouvelles thérapeutiques, anticoagulant oral direct et anti-PCSK9, permettent de diminuer encore plus leur risqué cardiovasculaire
Prevalence of lower extremity artery disease (LEAD) is increasing with age, and there is a trend over the last decade towards an increase of LEAD patients. These patients are at increased risk of lower limb adverse event (MALE), but also at very high risk of major cardiovascular events (MACE). The best medical treatment, including medications, enable a reduction of this risk. Nevertheless, some patients will continue to develop MACE. New therapeutic molecules have been developed with randomized controlled trials, and showed a reduction of the cardiovascular risk among these selected patients.