C’est l’une des questions majeures de santé publique de notre époque « hyperconnectée » ; une question pleinement d’actualité mais qui ne trouve toujours pas de véritable réponse documentée. À ce titre, c’est une situation qui ne peut pas ne pas induire des inquiétudes au sein des populations concernées. Cœur du sujet : la « 5G », cette « cinquième génération des standards de la téléphonie mobile » qui succèdera bientôt à l’actuelle « 4G ». Cette nouvelle et puissante technologie permettra sous peu, au sein de l’Union européenne – de bénéficier de débits de télécommunication mobile de « plusieurs gigabits de données » par seconde. On sait que ses promoteurs annoncent des « services innovants » dans de multiples domaines : « la santé, les médias, les transports, les industries du futur, etc. » La « 5G » proposera « une plus grande offre de services sans fil et le développement d’objets interconnectés ».
Le citoyen européen ne sait généralement guère que les dés sont jetés : les premières « offres 5G » sont déjà lancées et les opérateurs s’activent. Dans le même temps, les principales questions sanitaires demeurent. Elles concernent notamment les possibles effets de la multiplication du nombre et de la puissance des antennes et relais indispensables au développement de cette technologie. Elles concernent également les possibles conséquences biologiques et sanitaires du « haut débit ».
« Quand connaîtra-t-on les possibles effets sanitaires de la “5G” » ? » demandions-nous récemment dans ces colonnes.1 La question trouve aujourd’hui en France une nouvelle actualité avec un document que vient de rendre public2 l’Agence nationale française de sécurité sanitaire, de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses). Un document qui témoigne, euphémisme, du peu d’intérêt des autorités en charge de la santé publique et du poids des lobbies des promoteurs de cette technologie.
L’Anses avait été saisie en juillet 2018 par les ministères chargés de la santé, de l’environnement et de l’économie. Objectif : « conduire une expertise sur l’exposition de la population aux champs électromagnétiques découlant de cette technologie et aux éventuels effets sanitaires associés ». Elle publie aujourd’hui un premier « rapport préliminaire » dans lequel elle présente « un recensement des études scientifiques disponibles et identifie les axes principaux d’évaluation des risques ». Conclusion : elle « souligne la nécessité de disposer des données décrivant les technologies développées et leurs installations afin de caractériser les niveaux d’exposition associés et d’évaluer les éventuels effets sanitaires ».
Or les opérateurs de téléphonie mobile ont d’ores et déjà réalisé des expérimentations pilotes dans plusieurs villes françaises pour tester le fonctionnement des nouvelles infrastructures. L’autorité française de régulation des télécoms a lancé le 30 décembre 2019 la procédure d’attribution de fréquences dans la nouvelle bande 3,5 GHz. Et l’Anses en est au stade du rapport préliminaire…
Comment mieux dire l’état d’impréparation du pays face à une technologie dont le déploiement est programmé, face aussi à des opérateurs piaffant devant ce nouveau marché. Sans parler des consommateurs réclamant toujours plus de « connectivité », qu’il s’agisse de la téléphonie mobile, de la « voiture autonome » ou de la « chirurgie à distance ». Pour l’heure, l’Anses a identifié « deux champs distincts d’évaluation des risques » correspondant aux deux nouvelles bandes de fréquences 5G : autour de 3,5 GHz et de 26 GHz dont les modalités d’exposition sont différentes. Elle a aussi « mis en évidence un manque de données scientifiques sur les effets biologiques et sanitaires potentiels, liés à l’exposition aux fréquences autour de 3,5 GHz ».
L’anses a mis en évidence un manque de données scientifiques sur les effets biologiques et sanitaires potentiels
En d’autres termes, à ce stade, il est impossible aujourd’hui à cette Agence d’évaluer les risques liés à la 5G. Aussi demande-t-elle aux opérateurs de fournir toutes les informations techniques afin de pouvoir caractériser les niveaux d’exposition. « Concernant les fréquences plus élevées, entre 20 et 60 GHz, les données disponibles dans la littérature sont plus nombreuses, les travaux d’expertise s’attacheront donc à les analyser pour évaluer les impacts sanitaires éventuels, liés aux expositions dans la bande 26 GHz » peut-on encore lire dans le rapport.
« Aujourd’hui, on ne peut pas encore dire si les Français seront davantage exposés aux champs électromagnétiques. Le niveau d’exposition va beaucoup dépendre de l’usage qui sera fait de la 5G, a expliqué au Monde3 Olivier Merckel, chef d’unité d’évaluation des risques liés aux agents physiques à l’Anses. Tant que le déploiement n’est pas fait, nous pouvons seulement faire des simulations à partir de différents scénarios d’exposition. Et pour estimer l’exposition, nous avons besoin de savoir quel type d’antenne sera déployé, avec quelle puissance, dans quelle direction. Selon les données des opérateurs, les niveaux seront limités dans l’espace par rapport au réseau actuel mais l’usager sera a priori plus exposé puisque soumis à plus de puissance et plus de débit à travers son smartphone. »
Rappelons qu’en 2011, le Centre international de recherche sur le cancer a classé les radiofréquences comprises entre 30 kHz et 300 GHz comme cancérogènes possibles pour l’homme. « Aujourd’hui, il y a des incertitudes sur les effets à long terme d’une utilisation intensive du téléphone portable. Certaines études montrent des excès de risque pour les cancers ou les tumeurs du cerveau, observe Olivier Merckel. Les effets sont-ils les mêmes à 3,5 GHz ? C’est l’une des questions auxquelles nous allons essayer de répondre. »
Ce rapport devrait donner des arguments supplémentaires à ceux qui réclament un moratoire sur le déploiement de la 5G. Les associations Agir pour l’environnement et Priartem-Electrosensibles préparent un recours devant le Conseil d’Etat afin de faire annuler l’arrêté du 30 décembre 2019 relatif aux modalités d’attribution de fréquences dans la bande 3,5 GHz. Elles ont lancé une pétition, « Stop à la 5G », vendredi 24 janvier. « Une fois de plus, la France fait les choses à l’envers : on déploie d’abord la 5G et après on regarde s’il y aura des impacts, déplore Me François Lafforgue, l’avocat des associations. Au nom du principe de précaution, une évaluation environnementale et sanitaire aurait dû être lancée. »
Dans Molecular and clinical oncology, Lennart Hardell et Rainer Nyberg4 rappellent l’existence d’un appel lancé en septembre 2017 avec plus de 260 chercheurs et médecins exhortant l’Union européenne à un moratoire : geler le déploiement de cette technologie tant que des études indépendantes n’auront pas été menées sur les risques sanitaires. Deux ans et demi plus tard, les deux auteurs estiment que « les réponses de l’UE ont jusqu’ici privilégié les profits de l’industrie au détriment de la santé humaine et de l’environnement ».
En France, citée par Le Monde, la présidente de l’association Priartem-Electrosensibles relaie une autre critique, sociétale : le déploiement de la 5G va entraîner une hyperconsommation numérique et énergivore, à rebours des objectifs de modération pour atténuer le changement climatique. « Alors que la sobriété énergétique est inscrite dans la loi, on sait déjà que ce déploiement augmentera la consommation électrique, de l’ordre de 10 TWH, prévoit-elle. Soit l’équivalent d’une centrale comme la centrale de Fessenheim. » D’autres estimations établissent qu’avec la 5G, la consommation d’énergie des opérateurs mobiles conduira à une augmentation de 2 % de la consommation d’électricité du pays.
Voilà bien l’une des questions majeures de santé publique de notre époque « hyperconnectée » ; une époque soucieuse comme jamais, dit-on, du respect des équilibres écologiques.