L’anosmie associée ou non à la dysgueusie semble être un symptôme fréquent en cas d’infection au SARS-CoV-2 responsable du COVID-19. Elle peut être le symptôme initial de la maladie ou rester isolée chez certains patients paucisymptomatiques. Dans l’attente de confirmations scientifiques et dans le contexte de pandémie actuelle, il semble primordial de considérer tout patient présentant une anosmie nouvelle comme étant infecté par le SARS-CoV-2 jusqu’à preuve du contraire. Ces patients devraient donc s’auto-isoler et rester attentifs à l’apparition des autres symptômes évocateurs de l’infection et/ou se faire tester. Les corticoïdes topiques et systémiques ainsi que les rinçages nasaux sont contre-indiqués. L’évolution naturelle de l’anosmie semble favorable dans la plupart des cas.
La pandémie actuelle du COVID-19 liée au virus SARS-CoV-2 est un problème de santé public majeur. De nombreux gouvernements ont mis en place des mesures de confinement plus ou moins strictes pour tenter de contrôler la courbe épidémique et ainsi éviter les conséquences désastreuses de saturation des systèmes de santé. Une des grandes difficultés est d’identifier rapidement les cas asymptomatiques et paucisymptomatiques qui fonctionnent comme un vecteur important de contagion.
Ces dernières semaines nous avons constaté une augmentation importante des consultations ORL pour une perte de l’odorat et/ou du goût.1-3 L’hyposmie ou l’anosmie sont des motifs de consultation relativement rares. Typiquement le sens du goût est altéré par une diminution de l’olfaction. Les étiologies habituelles des hyposmies/anosmies sont infectieuses (post-virale/rhinosinusites), post-traumatiques ou liées à des troubles neurodégénératifs (maladie de Parkinson, Alzheimer). Elles s’expliquent soit par une obstruction du rail olfactif empêchant les molécules odorantes d’atteindre l’épithélium olfactif, soit par une altération neuronale du système olfactif.
Il y a pour le moment très peu de données scientifiques solides démontrant la relation causale de l’infection au SARS-CoV-2 sur l’hyposmie/anosmie, cependant plusieurs études à ce propos sont en cours.4 La mise en évidence d’une relation causale ne serait pas surprenante, sachant que plus de 200 virus provoquant une infection des voies aériennes peuvent provoquer une anosmie. La famille des coronavirus représente 10 à 15 % des cas.1
Plusieurs séries de cas dans le monde (Chine, Corée du Sud, Iran, Europe et USA) indiquent une perte partielle ou totale de l’odorat et/ou du goût chez 20 à 90 % des patients atteints du SARS-CoV-2.3-6 En Corée du Sud environ 30 % des patients positifs au SARS-CoV-2 présentaient l’anosmie comme principal symptôme du COVID-19.1
Le nombre de cas d’anosmie isolée sans obstruction nasale ni rhinorrhée augmente.2,4,5,7,8 Cette anosmie brusque pourrait être un symptôme inaugural de l’infection à SARS-CoV-2 et être de ce fait un signe d’alarme précoce. Elle toucherait plutôt des jeunes patients et serait souvent associée à un pronostic favorable de la maladie.4,5 Cependant, le manque d’informations chez les patients sévèrement atteints du SARS-CoV-2 ne permet pas de l’affirmer.
Une étude multicentrique européenne a été menée dans 12 hôpitaux européens auprès de 417 patients (263 femmes et 154 hommes) et s’est basée sur un questionnaire permettent d’investiguer les troubles de l’odorat et du goût chez des patients présentant une forme non sévère d’infection à SARS-CoV-2 (confirmée par un test PCR). Cette étude a mis en évidence que 86 % des sujets infectés vont présenter des troubles partiels ou complets de l’odorat (anosmie dans 80 % des cas, hyposmie dans 20 % des cas) et 88 % des troubles partiels ou complets du goût. Ces troubles de l’odorat surviennent soit avant l’apparition des symptômes généraux et ORL (12 % des cas), soit pendant (65 % des cas), soit après (23 % des cas). Dans 20 % des cas, l’anosmie n’est pas associée à des symptômes ORL (obstruction nasale ou rhinor rhée). Les femmes semblent plus atteintes (92 vs 82 %).4 Ces résultats confirment les observations faites dans notre Service d’ORL et de chirurgie cervico-faciale du CHUV à Lausanne où de nombreux collaborateurs ont été infectés.
Il est important de noter que les séries de cas publiés jusqu’à présent ne se basent que sur des éléments subjectifs et anamnestiques, des tests olfactifs n’ayant pas été réalisés. Pour plus d’objectivité, il serait utile de compléter ces évaluations par des tests semi-objectifs de l’olfaction (par ex. Sniffin’Sticks test) en effectuant un test de discrimination des odeurs et si possible du seuil et de l’identification. Ces tests sont difficilement réalisables pendant la phase aiguë de la maladie (contamination du matériel et de l’examinateur, quarantaine du patient). Ceci risque d’être une des faiblesses sur la récolte de données plus objectives.
Les patients avec anosmie nouvelle associée ou non à une dysgueusie peuvent donc être des porteurs paucisymptomatiques du SARS-CoV-2 et de ce fait être des vecteurs importants de l’infection dans la population générale. En attente de données scientifiques complémentaires, le principe de précaution veut que l’on considère un patient avec une anosmie nouvelle comme étant infecté au SARS-CoV-2 jusqu’à preuve du contraire. De ce fait, un tel patient devrait être mis en quarantaine pour une durée minimale de 10 jours et 48 heures après la disparition des symptômes. Il devra également rester attentifs à l’apparition d’autres symptômes pouvant suggérer une atteinte plus sévère (toux, dyspnée, fièvre, myalgies, céphalées, inappétence, etc.).1,2,4,7
Les professionnels de la santé présentant ces symptômes devraient être testés pour le SARS-CoV-2 afin d’éviter de contaminer leurs patients et collaborateurs. La population vulnérable soudainement anosmique devrait idéalement également être dépistées afin d’intensifier leur surveillance. Les patients jeunes et en bonne santé présentant une anosmie doivent s’auto-isoler, sans nécessairement avoir recours au test, à moins que la disponibilité du matériel de dépistage n’augmente en Suisse ces prochaines semaines.
L’anosmie et/ou la dysgueusie devraient être considérées comme un symptôme spécifique du COVID-19 et être officiellement ajoutées à la liste des autres symptômes repris par l’OMS.4
Le mécanisme physiopathologique de l’anosmie due à l’infection au SARS-CoV-2 n’est pas connu et fait actuellement l’objet de recherches plus fondamentales. Plusieurs hypothèses existent. La perte de l’odorat pourrait être due à l’inflammation de la muqueuse nasale ou à une atteinte plus ciblée du neuro-épithélium olfactif. Une atteinte neurologique via les voies olfactives vers certaines zones cérébrales et potentiellement vers le tronc cérébral sont évoqués.9,10 La dissémination du virus dans le système nerveux central par voie hématogène est également investiguée. Cependant dans le tableau clinique du COVID-19, l’atteinte neurologique n’est pas au premier plan.
L’entrée du SARS-CoV-2 dans la cellule hôte humaine utiliserait les mêmes récepteurs que le SARS-CoV.11,12 L’infection par le SARS-CoV-2 serait liée à l’expression de deux récepteurs sur la cellule cible (ACE2 et PMPRSS2) comme c’est le cas sur les cellules ciliées des voies aériennes.13 De manière intéressante, un groupe de chercheurs genevois a mis en évidence que ces récepteurs sont également exprimés au niveau du neuro-épithélium olfactif, plus particulièrement sur les cellules sustentaculaires (cellules de soutien des neurones sensoriels olfactifs).13 Leur atteinte pourrait causer l’anosmie observée. Ce groupe a également montré que cette association (ACE2 et PMPRSS2) est rare dans les autres tissus humains.
L’atteinte concomitante du goût, alors que ces cellules sensitives n’expriment pas les récepteurs ACE2 et PMPRSS2, pourrait suggérer une atteinte plus centrale. En 2004-2005, des échantillons de victimes du SARS-CoV, très proche du nouveau coronavirus, révélaient la présence de particules virales dans le cerveau (presque exclusivement dans les neurones).14,15 D’autres travaux sur un modèle animal murin ont montré que le SARS-CoV et MERS-COV peuvent pénétrer dans le cerveau, possiblement par les filets olfactifs et se propager à certaines zones spécifiques du cerveau, notamment le thalamus et le tronc cérébral.16,17 Li et al. émettent l’hypothèse que l’infection du tronc cérébral par le virus puisse, au moins partiellement, provoquer la défaillance respiratoire des patients touchés par les formes graves du COVID-19.9
Les corticoïdes systémiques, contre-indiqués dans l’infection à SARS-CoV-2, ne devraient pas être prescrits en cas d’anosmie dans le contexte pandémique actuel.2,4,7 Les corticoïdes topiques et les rinçages nasaux sont également déconseillés dans la plupart des recommandations nationales.2,7
Lors de l’examen clinique de ces patients, l’ORL, le médecin généraliste, l’interniste et le pédiatre doivent prendre les précautions d’usages en considérant que le patient nouvellement anosmique est SARS-CoV-2 positif jusqu’à preuve du contraire. Les examens endoscopiques nasaux par le spécialiste ORL doivent être limités au maximum car à très haut risque de contamination (importante charge virale dans les cavités nasales). Si un tel examen est néanmoins nécessaire, il doit se faire avec tout le matériel de protection recommandé (masque FFP2, lunettes, gants, surblouse).
L’évolution naturelle de cette anosmie semble favorable dans la plupart des cas en quelques jours à quelques semaines. L’étude multicentrique européenne rapporte une récupération de l’odorat dans les 15 jours chez 44 % des patients.4 Elle pourrait néanmoins durer jusqu’à plusieurs mois comme dans d’autres infections virales. Nous n’avons actuellement pas suffisamment de recul pour connaître précisément les taux de récupération partielles ou complètes et sa durée moyenne. L’étude prospective de larges cohortes de patients atteints sera nécessaire pour obtenir cette information.
Les patients ne récupérant pas rapidement leur odorat, pourraient bénéficier d’une rééducation olfactive en sentant différentes odeurs (p. ex. : clou de girofle, citronnelle, rose, eucalyptus, café, menthe poivrée) comme il est proposé dans les atteintes postvirale plus connues. L’entraînement olfactif consiste en deux séances quotidiennes de stimulation olfactive de courte durée (15 secondes) par l’utilisation de 4 à 6 odeurs pendant plusieurs semaines. Les patients présentant une hyposmie ou anosmie persistante post-COVID-19 seraient une population à investiguer plus précisément avec d’autres tests (tests olfactifs).
L’anosmie associée ou non à la dysgueusie semble être un symptôme fréquent en cas d’infection au SARS-CoV-2. Elle peut être le symptôme initial de la maladie ou rester isolée chez certains patients paucisymptomatiques. Plusieurs études en cours devraient générer des données scientifiques solides pour confirmer la relation causale et expliquer le mécanisme physiopathologique de l’anosmie liée à l’infection au SARS-CoV-2. Dans l’intervalle, le principe de précaution prévaut et tout patient présentant une anosmie nouvelle dans le contexte pandémique actuelle doit être considéré comme un vecteur de l’infection et mis en quarantaine et/ou testé au SARS-CoV-2. L’anosmie et/ou la dysgueusie devraient probablement être considérées comme des symptômes spécifiques du COVID-19 et être officiellement ajoutés à la liste des autres symptômes repris par l’OMS. Les corticoïdes topiques ou systémiques sont contre-indiqués chez les patients anosmiques COVID-19. L’évolution naturelle de l’anosmie semble favorable dans la plupart des cas, mais il y a peu d’informations chez les patients sévèrement atteints.
Nous remercions la Dre Fabienne Reinhard-Groebli pour sa relecture attentive de notre article.
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.
▪ Les troubles de l’odorat et du goût peuvent être les symptômes initiaux de l’infection à SARS-CoV-2
▪ Les patients anosmiques paucisymptomatiques peuvent être des vecteurs importants de l’infection à SARS-CoV-2
▪ Les patients présentant une anosmie et/ou une dysgueusie nouvelle doivent être considérés comme infectés par SARS-CoV-2 jusqu’à preuve du contraire et doivent être isolés et/ou être testés
▪ Les corticoïdes topiques ou systémiques sont contre-indiqués en cas d’anosmie ou de dysgueusie nouvelle dans le cadre pandémique actuel
▪ Nous constatons, la plupart du temps, une bonne récupération des troubles de l’odorat et du goût
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Anosmia associated or not with dysgeusia seems to be a frequent symptom in cases of infection with SARS-CoV-2 responsible for COVID-19. It can be the initial symptom of the disease or remain isolated in pauci-symptomatic patients. Waiting for scientific confirmation and in the context of the current pandemic, it seems essential to consider any patient with a new anosmia as being infected with SARS-CoV-2 until proven otherwise. These patients should therefore isolate themselves and remain alert to the occurrence of other symptoms suggestive of the infection and/or be tested. Topical and systemic corticosteroids and nose washes are contraindicated. The natural course of anosmia seems to be favorable in most cases.