La majorité des patients COVID-19 hospitalisés ont plus de 70 ans et 50 % de ceux qui en décèdent ont plus de 83 ans. La clinique typique n’est pas toujours présente chez les personnes très âgées qui peuvent être et rester totalement asymptomatiques (dépistage contact) ou avoir des manifestations aspécifiques (baisse de l’état général, chutes, delirium, fatigue). Le frottis anal, qui minimise le risque d’exposition, peut s’avérer très utile en EMS lors de diarrhées. L’âge avancé est un marqueur de mauvais pronostic, mais devrait être pondéré à l’aide d’index pronostiques pour tenir compte de l’hétérogénéité de l’état de santé, fonctionnel et cognitif à l’âge avancé. Recueillir les souhaits de la personne et évaluer son espérance de vie restante permet d’anticiper les décisions de soins selon le niveau de tension du système de santé.
L’infection COVID-19 causée par le coronavirus SARS-CoV-2 a débuté officiellement en Chine à la fin décembre 2019. Sa présence est documentée en Suisse depuis le 24 février 2020 (premier patient infecté au Tessin) et en Suisse Romande dès le 27 février, avec un premier décès survenu en Suisse le 5 mars. L’infection se propage rapidement dans la population et au moment où sont écrites ces lignes (7 avril), on compte déjà plus de 22 000 personnes avec infection COVID-19 documentée.1 Alors que les personnes de plus de 70 ans représentent actuellement environ 22 % des personnes testés positives (âge médian 53 ans), elles représentent 50 % des hospitalisations (âge médian 70 ans) et surtout 88 % des décès (âge médian 83 ans). À noter que dans le canton de Vaud, environ 51 % de ces décès surviennent en EMS et 49 % à l’hôpital.
Cet article présente une synthèse d’informations, observations et réflexions concernant certains aspects, en particulier cliniques et éthiques, en lien avec le développement de cette pandémie parmi les personnes âgées.
Chez ces patients, les premières manifestations en lien avec le COVID-19 rapportées par les soignants ont été une altération de leur état général, de leur mobilité ou une fatigue inhabituelle, ce qui a conduit, en l’absence d’autre cause identifiée, à effectuer un frottis qui s’est avéré positif pour une infection à SARS-CoV-2. Nos équipes sont donc devenues particulièrement attentives à ce type de présentation. Le tableau 1 présente une synthèse des manifestations en lien avec le COVID-19, fruit d’un partage d’observations entre les services hospitaliers de gériatrie et les EMS en Suisse, mais également avec nos voisins italiens, français et aux Etats-Unis.2 A noter qu’une partie de ces symptômes étaient déjà décrits dans le cadre de l’infection à SARS-CoV-1.3
Pour la grande majorité des cas, le diagnostic de l’infection à SARS-CoV-2 se fait par PCR sur frottis naso-pharyngé.4 Les données de performance, de faible qualité méthodologique, concernent avant tout les adultes d’âge moyen et sont quasi inexistantes chez les personnes âgées.5 En EMS toutefois, les écouvillons souples pour frottis sont une denrée très rare, tout comme les masques FFP2, les lunettes de protection, et les surblouses. Une des co-auteures (TB) rapporte une observation pratique intéressante avec 3 diagnostics par frottis anal chez des résidents d’EMS (certains avec frottis nasopharyngé négatif). Le frottis anal est effectué à environ 3 cm de la marge anale (pas dans les selles) et peut se faire avec un écouvillon usuel (pour frottis de plaie), sans masque FFP2 ni lunette de protection. Malgré une sensibilité rapportée assez faible (29 %) dans une étude, le frottis anal pourrait être indiqué en cas de forte suspicion de COVID-19 avec symptômes gastro-intestinaux, malgré un frottis nasopharyngé négatif. L’examen par PCR des urines semble en revanche inutile (0 positif sur 72 testés).
À l’hôpital, l’absence de directives anticipées chez la grande majorité des patients âgés impose de discuter dès l’admission avec chaque patient (respectivement leur représentant-e thérapeutique) de ses souhaits concernant l’intensité de sa prise en charge en cas de complication. Dans le contexte pandémique COVID-19, cela signifie aborder les questions spécifiques d’un transfert en soins intensifs, d’une intubation, d’une ventilation non invasive (VNI) vs d’une prise en charge privilégiant le confort. Le temps limité à disposition associé au risque accru d’évolution défavorable chez ces personnes rendent ces discussions particulièrement difficiles.
Afin de nous guider dans la réflexion sur la prise en charge des patients dans le service de gériatrie et de réadaptation gériatrique du CHUV, nous avons développé un algorithme décisionnel simple (figure 1, état au 07 avril 2020). Le but de cet algorithme est de structurer les étapes décisionnelles, sans en figer les critères afin de permettre une évolution selon le degré de tension du système de santé. La question du pronostic est centrale dans cette réflexion d’orientation en cas d’instabilité (besoin en oxygène nouveau ou en augmentation, FR > 20-24/min ou en augmentation, hypotension artérielle, Fc > 100/min ou arythmie nouvelle, modification ECG, plainte de fatigue respiratoire). Cette réflexion doit alors intégrer, outre les souhaits du patient, son espérance de vie estimée, ainsi que les bénéfices et risques d’une prise en charge en soins aigus, le rationnement potentiel d’accès aux soins intensifs et les questions éthiques qui en découlent (tableau 2). Parmi ces éléments, l’évaluation de l’espérance de vie restante est primordiale au moment de former un projet thérapeutique. Dans le contexte pandémique actuel, les index de Walter et de Porock nous semblent utiles.6,7 Ils évaluent respectivement la mortalité toute cause à 1 an pour les patients vivant dans la communauté et celle à 6 mois pour les résidents d’EMS. Ces index, disponibles sur le site eprognosis.ucsf.edu, s’appuient sur des critères fonctionnels (locomotion/transferts, habillage, alimentation, cognition), facilement disponibles et très fortement corrélés à la survie. En dehors de la période de pandémie actuelle, l’information fournie par ces instruments s’est toujours avérée très utile pour consolider notre jugement clinique dans les situations où la pertinence d’une investigation ou d’un traitement est discutable.
Au moment où ces lignes sont écrites, le système de santé semble faire face à la vague épidémique initiale. L’arrivée de la période pascale et les discussions désormais ouvertes quant à la levée des mesures de restrictions de mobilité et de semi-confinement soulèvent néanmoins de grandes craintes sur les prochaines semaines. Des directives ont été émises concernant le triage des traitements de soins intensifs en cas de pénurie (ASSM).8 Il y est reconnu que l’âge n’est pas, en soi, un critère décisionnel à lui seul. Cependant, les données épidémiologiques chinoises et italiennes, ainsi que les données actuelles en Suisse, indiquent toutes clairement que l’âge avancé est un indicateur de mauvais pronostic. Dans ce contexte, il est d’autant plus important de pondérer l’âge chronologique par des index pronostiques tenant compte de l’hétérogénéité de l’état de santé (comorbidités), fonctionnel, et cognitif dans cette population, comme proposé plus haut.
Bien que dans une pandémie comme celle-ci la logique d’une éthique de santé publique prédomine avec comme objectif de sauver le plus grand nombre de vies possible, les principes de l’éthique individuelle ne deviennent pas obsolètes, surtout le respect de l’autonomie du patient.9 Pour autant que possible, les personnes doivent être soutenues et accompagnées dans la démarche de « projet de soins anticipé » (Advance Care Planning), à savoir s’informer sur COVID-19, réfléchir sur ses propres valeurs, prendre des décisions quant aux limites de soins et les documenter dans des directives anticipées.10 La Chaire de soins palliatifs gériatriques du CHUV met à disposition un formulaire de directives anticipées avec un guide d’entretien spécifiquement pour la période de la pandémie COVID-19, basées sur un modèle validé de Zurich (www.chuv.ch/soins-palliatifs).
Tant que la nécessité d’un triage n’est pas officiellement déclarée, il faut veiller à ne pas exclure l’accès de certains patients à des traitements dont ils bénéficieraient.11 Cela concerne en particulier les patients atteints d’autres maladies que le COVID-19 qui courent le risque d’être négligés ou de ne pas oser utiliser le système de santé. Par ailleurs, le principe de justice requiert un accès équitable aux mesures de protection personnelle (masques, blouses etc.) et aux médicaments entre les différentes régions de Suisse et les différents secteurs du système de santé (p.ex. en défaveur des EMS).
Compte tenu de la situation, cette consultation d’appui aux médecins traitants s’est concentrée sur les suivis de première et deuxième ligne avec maintien des consultations à domi cile de patients dont la situation est complexe. Cette approche est combinée à une téléconsultation hebdomadaire lorsque cela est possible (figure 2) avec recherche systématique de « red flags » signalant une instabilité.12 En cas d’infection COVID-19 et lorsque le maintien à domicile est possible, nous proposons un suivi téléphonique à 3, 5, 7 et 10 jours, période probablement la plus à risque de complications. Dans les situations de maintien à domicile complexe, en cas d’instabilité, une hospitalisation reste à discuter au cas par cas.
À côté de cette activité usuelle, l’équipe du CGA-C participe, en collaboration avec celle du service de soins palliatifs et de support, à un dispositif de soutien téléphonique pour la gestion des situations de fin de vie, en particulier en EMS (cf. infra) compte tenu de la situation très préoccupante dans ce lieu de soins. Ce dispositif, coordonné par Unisanté, est atteignable au numéro téléphone 021.314.76.77, 24h/24, 7j/7 depuis le 09.4.
Compte tenu du manque d’évidence concernant l’efficacité de ces traitements pour combattre le COVID-19 et de leurs effets secondaires significatifs chez les personnes âgées, l’indication à un traitement par anti-protéase n’est pas retenue pour le moment. De même, une monothérapie par hydroxychloroquine doit être discutée au cas par cas et privilégiée pour les patients avec une bonne indépendance fonctionnelle, sans trouble cognitif, ni pathologie cardiaque. Dans ce contexte, il nous paraît essentiel que les essais de traitements se fassent dans le cadre d’études cliniques randomisées et contrôlées.
Selon les premiers retours de collègues travaillant en EMS, les attentes des résidents et de leur famille sont réalistes et modestes. Les évolutions peuvent être très différentes, parfois favorables avec peu de dégâts, parfois défavorables sans être catastrophique avec des patients restants confortable sous oxygénothérapie simple. Dans tous les cas, un effort important pour maintenir la communication avec les proches est consenti.
Des protocoles de prise en charge en cas de détresse respiratoire ont été élaborés conjointement par les équipes de soins palliatifs et de support, de gériatrie et réadaptation gériatrique, et de de la chaire de soins palliatifs gériatriques. Ils sont disponibles sur : www.chuv.ch/fr/soins-palliatifs/spl-home/professionnels-de-la-sante/gestion-des-symptomes-respiratoires-covid-19/
▪ La présentation de l’infection à SARS-CoV-2 peut être atypique chez les personnes âgées
▪ Tout changement, brutal ou pas, de l’état de santé habituel doit impérativement nous faire rechercher une cause sous-jacente, notamment le SARS-CoV-2 dans le contexte de la pandémie actuelle
▪ Anticiper et jalonner la prise en charge dès l’admission:
▪ L’âge avancé est un indicateur de mauvais pronostic, mais devrait être pondéré par des index pronostiques tenant compte de l’hétérogénéité de l’état de santé (comorbidités), fonctionnel et cognitif dans cette population
Wang W, Xu Y, Gao R, et al. Detection of SARS-CoV-2 in different types of clinical specimens JAMA published online March 11, 2020 doi:10.1001/jama.2020.3786
ASSM : Pandémie COVID-19 : Triage des traitements de soins intensifs en cas de pénurie des ressources, 2020 (https://www.samw.ch/fr/Ethique/Apercu-des-themes/Medecine-intensive.html)
Emmanuel EJ, Persad G, Upshur R et al. Fair Allocation of Scarce Medical Ressources in the Time of COVID-19. N Engl J Med published online March 23, 2020 doi:10.1056/NEJMsb2005114
Greenhalgh T, Choon Huat Koh G, Car J. COVID-19: a Remote Assessment in Primary Care Brit Med J published online March 25, 2020 doi:10.1136/bmj.m.1182
Most patients hospitalized for COVID-19 are aged over 70 years old, and half of those who die are over 83 years old. Older patients do not always present with typical symptoms (fever, cough and dyspnoea) but sometimes are and remain asymptomatic (contact screening), or have aspecific presentations (altered general condition, falls, delirium, unusual fatigue). Rectal swab, which minimizes exposition risk, appears useful in long-term care patients with diarrhea. Older age is associated with worse prognosis, but the analysis should be refined by means of prognostic indexes that account for the heterogeneous health, functional, and cognitive status of the elderly population. Gathering elderly patients’ wishes and assessing their remaining life expectancy allows to anticipate care decisions according to the level of tension in the health system.