Le frottis nasopharyngé avec analyse par PCR est le premier test diagnostique proposé pour confirmer une infection à SARS-CoV-2, virus de la maladie COVID-19. Son utilité dans les centres d’urgence est cependant limitée du fait de sa sensibilité imparfaite (56 à 83 %), de sa disponibilité restreinte et du délai pour l’obtention des résultats. Aussi, le CT-scan thoracique a été proposé comme outil de triage rapide pour poser le diagnostic chez ces patients suspects de COVID-19. Toutefois, sa spécificité est limitée, exposant au risque de surdiagnostic. Des données complémentaires sont nécessaires pour confirmer son utilité et lui attribuer une éventuelle valeur pronostique, capable de déceler des lésions associées à une mauvaise évolution, indiquant la nécessité d’une admission aux soins intensifs.
La pandémie COVID-19 expose les services d’urgence et les hôpitaux à un risque de débordement. Le diagnostic précoce de l’infection est dès lors essentiel pour orienter les patients en milieu hospitalier ou procéder à un confinement en ambulatoire, selon sa gravité. L’analyse par PCR du frottis nasopharyngé est actuellement la procédure diagnostique la plus fiable, mais sa sensibilité n’est que de 56 à 83 %.1 De plus, le délai d’obtention des résultats, la pénurie de tests disponibles et le nombre limité de laboratoires qualifiés sont autant d’éléments à prendre en considération pour les services d’urgence. C’est dans ce contexte que le CT-scan thoracique (CT) a été proposé comme alternative diagnostique pour identifier les infections à SARS-CoV-2. Cet article évalue les performances diagnostiques et pronostiques du CT dans ce contexte, sur la base de la littérature récente.
Plusieurs publications ont rapidement décrit des images pulmonaires scanographiques compatibles avec une infection à SARS-COV-2.2-4 Des images périphériques en verre dépoli, souvent bilatérales et prédominant aux bases, des consolidations alvéolaires ou parenchymateuses, ou des opacités nodulaires ont été proposées comme « caractéristiques » de la maladie (figure 1). Les performances diagnostiques du CT ont été plus formellement évaluées dans deux études Chinoises, avec comme référence le frottis nasopharyngé.5-6 Dans une première série de 1014 patients COVID-19 confirmés, la sensibilité du CT a été de 97 % (IC 95 % : 95-98), avec une spécificité de 25 % (IC 95 % : 22-30).5 Dans une deuxième observation plus limitée, des lésions « caractéristiques » ont été mises en évidence chez 50 patient sur 51 positifs pour SARS-CoV-2, correspondant à une sensibilité de 98 % (IC 95 % : 90-100).6 Dans une troisième publication, l’analyse des images de CT par intelligence artificielle a permis de différencier une pneumonie classique d’une infection COVID-19 avec une sensibilité de 90 % (IC 95 % : 83-94), et une spécificité de 96 % (IC 95 % : 93-98).7 Selon une dernière étude, les infiltrats retrouvés chez des patients COVID-19 peuvent être différenciés de ceux occasionnés par d’autres infections virales.8
Concernant la valeur pronostique du CT, peu d’études l’ont évaluée.9-10Selon une étude parue dans JAMA, l’étendue des lésions au CT n’était pas corrélée au risque d’admission aux soins intensifs.10Dans une étude réalisée aux urgences de l’Hôpital de La Tour (communication personnelle, en cours de revue), le CT n’a eu que peu d’impact sur l’orientation des patients. Dans un collectif de 155 cas, aucun patient présentant un CT positif mais une PCR négative n’a dû être hospitalisé.
Les résultats prometteurs de ces observations initiales ont eu un fort écho dans les médias scientifiques, avec comme répercussion une hausse croissante du nombre de CT pratiqués dans ce contexte, aux urgences, à travers le monde. Cependant, au-delà du caractère préliminaire de ces observations, qui méritent d’être reproduites et validées, la faiblesse méthodologique de ces articles a été rapidement discutée.11 La publication très rapide de résultats préliminaires, souvent non ou mal revus par les pairs, a explosé ces dernières semaines, dans le but évident de diffuser rapidement des informations potentiellement pertinentes dans le contexte d’une crise sanitaire mondiale. Le taux de croissance de ces publications a été probablement supérieur à celui de l’épidémie elle-même ! La tentation d’abandonner les normes habituelles de qualité des publications scientifiques, du fait de l’urgence de la situation, est évidente. C’est le cas également pour ces articles,5-6 dont le processus de revue par les pairs (« peer review ») a été pour le moins expéditif (<24h). La description très sommaire de la méthodologie de ces études observationnelles ne permet pas d’exclure des biais, notamment dus à la sélection des patients, ni d’exclure des facteurs confondants limitant la généralisabilité des résultats.
L’utilisation du CT aux urgences sert-elle à confirmer le diagnostic ou à l’exclure ? La réponse à cette question est essentielle, car elle permet de déterminer quelles caractéristiques opérationnelles (sensibilité/spécificité/valeurs prédictives négatives et positives) sont nécessaires pour valider son utilisation. Au-delà des limitations méthodologiques, c’est la faible spécificité du CT qui est problématique, avec un risque très important de faux positifs.
En effet, toute atteinte alvéolo-interstitielle peut s’accompagner d’infiltrats en verre dépoli, qu’elle que soit son origine, infectieuse ou non. Aucun élément de la physiopathologie et de la pathologie de COVID-19 ne permet d’étayer l’affirmation selon laquelle l’image scanographique devrait être spécifique de cette infection.
De plus, en l’absence d’un « gold standard » diagnostique disponible en clinique, il est impossible de déterminer si un patient avec un frottis négatif pour le COVID-19 mais un CT révélant des anomalies prétendument caractéristiques doit être considéré comme un faux négatif de la PCR ou un faux positif du CT.
Seul un raisonnement probabilistique « bayesien » permet d’utiliser correctement les résultats du CT : si la probabilité pré-test est élevée, la valeur prédictive du CT devient intéressante. En revanche, si la probabilité pré-test est faible, le risque de faux positif au CT est élevé. Toute la difficulté réside dans l’évaluation de la probabilité pré-test, en l’absence de score validé.
Les recommandations internationales quant à l’utilisation du CT sont contradictoires : la Société Américaine de Radiologie s’est prononcée contre une utilisation du CT comme outil de diagnostic, du fait de ses performances discutables, et du risque de contamination secondaire lors de l’examen.12 La Société Française de Radiologie suggère au contraire de réaliser un CT chez tous les patients COVID-19 suspects ou confirmés présentant des symptômes respiratoires et nécessitant une prise en charge hospitalière, dans le but d’évaluer le degré de sévérité de l’atteinte pulmonaire et de disposer d’un examen de référence de départ.13 Enfin, un consensus d’experts a évalué la pertinence du CT thoracique dans diverses situations cliniques, en faisant varier la probabilité pré-test, la sévérité du tableau clinique et la disponibilité de la PCR et du CT.14 Ils concluent que le CT peut avoir une place dans le diagnostic quand la PCR n’est pas disponible ou peu sensible (risque de faux négatifs), ou lorsque les résultats ne sont pas disponibles et que le diagnostic d’infection à SARS-CoV-2 change la prise en charge. En absence de traitement spécifique, cette dernière situation est probablement rare.
Le rôle du CT dans la prise en charge des malades COVID-19 suspects ou confirmés reste incertain. Si la sensibilité élevée de cet examen se confirme, il pourrait devenir un test d’exclusion intéressant, chez les patients avec une probabilité pré-test basse ou moyenne. L’absence d’outil validé pour évaluer la probabilité pré-test demeure toutefois un facteur limitant. La spécificité limitée de l’examen expose au risque de faux positifs, mais une utilisation raisonnable chez des patients présentant des signes de gravité, pour exclure un autre diagnostic et évaluer la sévérité de l’atteinte pulmonaire, permet de limiter ce risque. La valeur pronostique du CT pour prédire une mauvaise évolution ou poser l’indication à une admission aux soins intensifs n’est pas définie à ce jour. La pratique du CT ne doit donc pas être systématique, mais réfléchie et adaptée à la situation individuelle du patient. « Smarter Medicine » et médecine individualisée sont les maîtres mots pour une utilisation adéquate des ressources !
Les auteurs n’ont pas déclaré de conflit d’intérêts en relation avec cet article.
The nasopharyngeal smear with PCR analysis is the first diagnostic test proposed to confirm infection with COVID-19 SARS-CoV-2. However, its usefulness in emergency centers is limited due to its imperfect sensitivity (56-83 %), limited availability and the time required to obtain results. For this reason, the chest CT-scan has been proposed as a rapid triage tool for diagnosis in these suspect Covid-19 patients. However, its specificity is limited, exposing to the risk of over-diagnosis, and further data are needed to confirm its usefulness, and to highlight the possible prognostic value of the CT, in detecting early lesions associated with poor outcome, indicating the need for admission to intensive care.