Entre autres enseignements, l’épidémie de Covid-19 aura permis de confirmer la dramatique inexistence d’une « Union européenne de la santé ». Et ce qui est vrai dans le champ des mesures sanitaires l’est aussi dans celui de la recherche, comme en témoigne l’affaire de l’essai Discovery. Nous avions présenté, dans ces colonnes,1 cet ambitieux projet lancé le 22 mars : un vaste essai clinique européen destiné à évaluer quatre traitements expérimentaux contre le Covid-19. En France, il devait inclure au moins 800 patients atteints de formes sévères, parmi un total de 3200 patients européens.
Randomisée, cette étude devait comprendre quatre bras de traitement. Le premier quart des malades bénéficierait de la prise en charge actuelle : traitements non spécifiques et symptomatiques (standard of care). Le deuxième recevrait le remdesivir, un antiviral de Gilead Sciences qui faisait déjà l’objet de plusieurs essais cliniques contre le SARS-CoV-2. Le troisième serait traité par Kaletra (ritonavir/lopinavir, AbbVie, déjà indiqué dans le traitement de l’infection par le VIH). Et le dernier par une association de Kaletra et d’interféron bêta. Un groupe supplémentaire avait, finalement, été constitué pour évaluer les effets de la contestée hydroxychloroquine.
Il s’agissait d’un essai clinique dit « évolutif » : si une molécule apparaissait rapidement inefficace, elle serait abandonnée. À l’inverse, si un candidat théra peutique semblait présenter un intérêt, il pourrait être testé dans le cadre de l’essai. En France, cet essai clinique est porté par deux structures. D’une part, le Centre international de recherche en infectiologie de Lyon (Inserm, Université Claude Bernard, École normale supérieure de Lyon et CNRS). D’autre part, le centre méthodologique du consortium « REACTing » coordonné par l’Inserm.
Six semaines plus tard, l’heure est à la désillusion. « La cohorte Discovery rencontre des difficultés à monter en puissance », confiait il y a peu au Monde 2 le Pr Yazdan Yazdanpanah, chef du Service des maladies infectieuses et tropicales de l’Hôpital Bichat (Assistance publique-Hôpitaux de Paris, AP-HP), directeur du consortium Reacting qui chapeaute cet essai.
« Franchement, Covid et l’Europe, c’est un échec. Chaque pays a travaillé pour lui et on a beaucoup de mal à coopérer. Seul le Luxembourg nous a rejoints… observait-il. C’est mieux que l’Allemagne, l’Autriche ou le Portugal, où les discussions sont toujours en cours, car il y a d’autres protocoles développés localement, et parce que l’on rencontre des problèmes en raison des régulations différentes des essais cliniques selon les pays. Or, il serait important d’avoir un réseau européen pour disposer de résultats à grande échelle plus rapidement. »
Il faut ajouter qu’en dépit du Brexit, le Royaume-Uni devait également participer. « Ce pays a mis sur pied son propre essai de grande envergure, baptisé Recovery, précise le Pr Yazdanpanah. Des cliniciens anglais nous avaient contactés, car il ne prend pas en compte le remdesivir. Ils souhaitaient pouvoir l’évaluer. Mais le National Health Service (NHS), qui coordonne la santé publique au Royaume-Uni, a décidé qu’il leur fallait rester sur un seul protocole. » Et dans ce contexte, la décision a été prise en Espagne, comme en Italie, de rejoindre l’essai Solidarity, lancé par l’Organisation mondiale de la santé à l’échelle internationale, avec des critères méthodologiques moins contraignants, mais sur les mêmes traitements.
Covid et l’europe, c’est un échec. Chaque pays a travaillé pour lui
Enfin, en Belgique, certains cliniciens qui espéraient participer à Discovery, puis à Solidarity, n’ont pu à ce stade accéder ni à l’un ni à l’autre, et craignent que ces retards aient pu constituer une perte de chance pour certains patients, qui n’ont pu bénéficier de ces molécules. Quant à la France, elle approche progressivement de son quota de 800 patients.
D’autres précisions et commentaires ont été donnés, mercredi 6 mai, lors de l’audition par la commission des affaires sociales du Sénat français de l’infectiologue Florence Ader (CHU de Lyon, Centre international de recherche en infectiologie), qui pilote l’étude Discovery.
A ce jour, seul un patient luxembourgeois a été ajouté aux 740 malades français enrôlés, a confirmé Florence Ader. Et outre les choix de l’Espagne et de l’Italie, des considérations réglementaires ont retardé les discussions avec l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique ou le Portugal. « Mais il semble aussi que la défection de partenaires spécialisés dans le montage d’essais cliniques européens (Combacte, Prepare et Recover) ait laissé la France en rase campagne pour démêler les particularités réglementaires nationales », observe Le Monde.3
Enfin, des considérations financières ont pu jouer : « Est-ce que tous les pays européens, s’est interrogée Florence Ader, peuvent inclure 500 patients à 5000 euros ? » C’est, en effet, le coût de prise en charge et de gestion des données dans un essai sophistiqué comme Discovery. Une demande de soutien financier a été adressée à ce sujet à la Commission européenne. « Ces contretemps vont considérablement affaiblir la puissance statistique de Discovery, souligne Le Monde. L’essai avait été conçu pour pouvoir trancher avec un minimum de 620 patients par traitement, près de cinq fois plus qu’aujourd’hui. »
« Plus l’efficacité des molécules est partielle, plus il faut de patients pour arriver à conclure, rappelle Florence Ader. Or, dans les traitements évalués, il n’y a pas de molécule miracle, sinon les Chinois et les Italiens, qui nous ont précédés dans l’épidémie, les auraient vues. » D’autre part, le début du reflux de l’épidémie pourrait signifier que les investigateurs risquent de ne pas avoir le quota suffisant de malades pour tirer des enseignements indispensables. Un comité d’experts doit désormais apprécier les suites à donner – et ce en fonction des données déjà disponibles.
Discovery n’est pas le seul essai clinique en cours en France. Au 1er mai, pas moins de 44 essais avaient déjà été autorisés, et 36 autres étaient en cours d’instruction par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé et les comités de protection des personnes, chargés d’évaluer la sécurité, la pertinence et la qualité méthodologique des projets. Tout ceci ne va pas sans redondances : sur les 80 essais français connus, 20 comprennent un bras testant l’hydroxychloroquine.
La Dr Ader s’est aussi exprimée devant la commission sur la profusion d’essais en cours en France. « Il y a une épidémie de recherches, mais ce n’est peut-être pas judicieux de démarrer 30 ou 40 études de dix patients, et de ne pas démarrer des grosses études qui vont répondre à de vraies questions, regrette-t-elle. C’est une perte de charge énorme. » Cette situation et les difficultés de la coordination européenne sont également constatées par trois Académies nationales françaises qui viennent d’émettre des recommandations sur ce thème.4
« Dès le début de la pandémie Covid-19, de nombreux appels ont été lancés pour promouvoir dans l’urgence des recherches sur la maladie et pour développer des moyens diagnostiques et thé rapeutiques appropriés, observent-elles. La multiplication d’offres non coordonnées a eu pour conséquence un afflux de propositions, une grande confusion dans les projets, une multiplicité de gouvernances, une dispersion des moyens et des capacités de la communauté scientifique, au risque d’une inefficience globale. Au niveau de l’Union Européenne, le manque de stratégie globale de riposte à la pandémie est confirmé par l’absence de programmes d’envergure et de coordination de la recherche sur le Covid-19. » Où l’on confirme que dans ce domaine non plus il n’existe pas d’Union européenne.