Le 19 août, Alain Berset, conseiller fédéral en charge de la santé, présentait le 2e paquet de mesures visant à freiner la hausse des coûts de la santé. La promesse : un milliard de francs d’économies (soit environ 3 % des primes) supplémentaires. 9 mesures sont privilégiées par le Conseil fédéral. Entre celles qui sont contestées et celles qui ont été oubliées, ces mesures ne font pas l’unanimité et sont aussi critiquées. On fait le point avec Philippe Eggimann, président de la Société vaudoise de médecine (SVM) et de la Société médicale de la Suisse romande (SMSR).
Philippe Eggimann : Toute économie est bonne à prendre, mais les 3 % qu’Alain Berset fait miroiter sont très largement inférieurs aux hausses injustifiée des primes d’assurance-maladie que l’OFSP a acceptées ces dernières années. Ce conseiller fédéral a la tutelle sur cet office et a validé, sans états d’âme depuis au moins cinq ans, ces hausses tout en reconnaissant l’année dernière que ses services ne bénéficiaient pas de la transparence nécessaire de la part des assureurs. Il serait beaucoup plus judicieux d’instaurer la transparence, comme cela a été demandé par le Parlement il y a quelques mois. Il est également important et urgent de définir une base méthodologique explicite permettant de discuter des effets des mesures proposées.
Évidemment ! La proposition concernant la fixation des prix des nouveaux médicaments est un concept potentiellement intéressant. Il ouvre cependant la voie à des conventions dans lesquelles l’industrie pharmaceutique pourra imposer un changement de paradigme du prix des médicaments. Ainsi, il ne sera plus basé sur les coûts de développement et de production, mais sur le gain obtenu en termes de survie ou d’efficacité. Ce principe permet de vendre des médicaments anticancéreux à plusieurs centaines de milliers de francs par traitement.
Le Conseil fédéral suit pratiquement à la lettre les propositions du groupe d’experts, qui s’inspirent largement de la feuille de route très politique du mandant. En refusant de prendre en compte les commentaires et propositions faites par les partenaires du secteur de la santé, les mesures proposées menacent directement l’accessibilité et la qualité des soins qui caractérisent notre système de santé.
La mesure centrale du projet concerne la maîtrise des coûts. Et soyons clairs : définir à l’avance dans quelle mesure les coûts peuvent augmenter revient à instaurer le rationnement des prestations sur le principe d’un budget global, déjà refusé par le Parlement. De l’aveu même du Conseil fédéral, ce rationnement ne concernera toutefois que les coûts à charge de l’assurance obligatoire des soins (AOS). Ces derniers ne représentent qu’un peu plus du tiers des coûts totaux de la santé. Le reste des coûts, soit ceux à charge des collectivités et surtout ceux directement à charge des patients, n’est pas concerné. Soit environ les deux tiers des coûts de la santé!
Ensuite, le projet prévoit de rendre obligatoire l’autorisation d’un point de contact pour une partie des prestations. Cela revient à mettre fin au principe du libre choix du médecin, auquel la population est profondément attachée. C’est très grave, car le Conseil fédéral instaure ainsi une médecine à deux vitesses, ce qui va à l’encontre des objectifs visés par la LAMal.
Il faudra renoncer à toutes les prestations qui dépasseront le budget global pour les coûts à charge de l’AOS, définis à l’avance par le Conseil fédéral et les cantons, ou les financer autrement. Ainsi, seuls ceux qui en ont les moyens pourront se les payer, soit directement, soit au moyen d’assurances complémentaires dans le domaine de l’ambulatoire, que plusieurs assureurs proposent déjà. Il en va de même pour les prestations pour lesquelles « le point de contact » n’aura pas donné d’autorisation, tout en facturant sa prestation qui émergera elle-même du budget global.
De plus, l’implication des cantons dans la définition des objectifs de limitation des coûts ne pourra qu’exacerber leurs conflits d’intérêts dans ce domaine. Les cantons qui sont directement ou indirectement propriétaires d’une partie des hôpitaux sont également chargés de la planification de leurs activités. Or c’est en développant l’ambulatoire hospitalier dont les volumes facturés ont augmenté deux fois plus vite que ceux des cabinets indépendants que certains cantons comme Vaud tentent d’équilibrer le sous-financement du stationnaire instauré par le financement au forfait (DRG) depuis 2012.
Loin des débats stériles sur la surconsommation – jamais clairement démontrée –, et sans que ses partisans osent affronter l’évidence, le budget global génère le rationnement des soins qui a un impact direct délétère sur l’espérance de vie, voire d’une baisse de celle-ci comme en Grèce, en Angleterre et aux États-Unis. Il est donc nécessaire de combattre ce concept que d’aucuns ont imprudemment érigé en promesses électorales. Donner le pouvoir aux cantons dans la fixation du budget global ne pourra qu’exacerber leurs conflits d’intérêts dans le domaine alors qu’ils sont déjà chargés, tout en étant propriétaires de la plus grande partie des hôpitaux, de la planification hospitalière, et dès 2021 de l’évaluation des besoins du nombre de médecins indépendants.
Oui, c’est une bonne idée en soi. Mais cela doit être mis en œuvre de manière coordonnée comme l’indique le Conseil fédéral. Il faut éviter de créer une concurrence destructrice entre:
d’un côté le modèle entièrement privé proposé par le Swiss Médical Network, qui consiste en un large réseau de cabinets de médecine de premier recours et de spécialistes rabattant les patients sur les cliniques du groupe, avec à terme une assurance financée par les employeurs, et d’un autre côté, un modèle public étatique avec des regroupements des prestataires de soins, avec à terme une assurance type caisse unique subventionnée sous conditions.
Dans les deux cas, la liberté thérapeutique des prestataires sera ligotée.
Je m’explique : telles que présentées actuellement, elles correspondent à la généralisation du managed care, qui instaure très concrètement une médecine à deux vitesses. Ainsi, seuls ceux qui en ont les moyens pourront avoir accès à l’ensemble des soins disponibles. Un référendum pend au nez du Conseil fédéral s’il s’obstine dans la généralisation du managed care, déjà refusé en votation par la population.
Le Conseil fédéral refuse de tenir compte des remarques et surtout des suggestions des partenaires, comme le concept de « smarter médecine », la nouvelle structure tarifaire TARDOC soutenue par la majorité des partenaires tarifaires, un financement cantonal centré sur les prestations transférées vers l’ambulatoire plutôt que le financement uniforme global.
Du coup, le Conseil fédéral manque la cible visée. Il réussit même à faire la quasi-unanimité contre lui. Ce paquet, s’il est accepté tel quel par le Parlement, hypothèque directement l’accessibilité et la qualité des soins qui seront sacrifiées sur l’autels de l’illusoire maîtrise des coûts.
Présenter ces mesures comme étant un contre-projet à l’initiative électorale du PDC réduit la problématique des coûts de la santé à un pion sur l’échiquier des intérêts politiques. Comme pour de nombreux autres « paquets » soumis au Parlement, l’addition de mesures hétéroclites risque d’enliser un peu plus notre système de santé dans le marais des manœuvres politiques.