Dans le cadre des « Doctors for XR », des professionnels de la santé ont décidé de s’engager vivement pour alerter la communauté quant au dérèglement clima tique. XR (Extinction Rebellion) le fait par des actions inhabituelles, du registre relevant souvent de la désobéissance civile (petit-déjeuner bloquant la circulation, démonstrations devant des bureaux d’entreprises ou ailleurs en ville). Qui peuvent prendre à rebrousse-poil le citoyen moyen. En font-ils trop ?
À près de 80 ans, je suis de ceux que leur vie personnelle ne préparait pas à les rejoindre. Pourtant, le 27 juin à Lausanne, je me suis couché avec une centaine d’autres, dont une brochette de professeurs de notre Faculté de médecine, sur le bitume bien chaud, dans un spectacle traitant de vers quoi nous allons : perturbations croissantes en termes climatiques, agriculturaux, médico-sanitaires, etc.1 Et je suis frappé de voir, ce faisant, que des professionnels mettent de côté une partie de leur activité/formation, convaincus que le plus important aujourd’hui n’est pas la carrière.
À propos des défis. Comment des scientifiques peuvent-ils diverger autant ? Une chose qui trouble à propos de la question climat c’est que, dans une profession basée sur la science, on constate des opinions si divergentes sur les faits. Je postule ici que chacun admet les conclusions du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat). Pourtant, dans un échange récent avec un confrère : « Je suis plutôt libéral et crains de ne pas être d’accord avec pas mal de ces auteurs, où je perçois beaucoup de nostalgie ; et le monde ne va pas si mal même si la période est mouvementée (voir l’excellent Steven Pinker) ». Well… Pinker est ce linguiste vulgarisateur à succès (Enlightenment Now – 2018) qui a été critiqué pour ignorer les voix de personnes ayant souffert de racisme et de sexisme et a une lecture de l’histoire concluant à une trajectoire clairement positive de progrès (à mon sens, myope quant aux grands enjeux actuels).
La politique n’est pas un mot malséant, y compris quand on porte une blouse blanche. C’est ce que pensent les « Doctors for XR » bien sûr. Durant ma formation, l’insistance sur la neutralité du professionnel, garante de lucidité et utile à la thérapeutique, était bien présente. L’expérience m’a montré, dans des pays pauvres puis ici avec des groupes précarisés, ou souffrant d’addictions, ou requérants d’asile, combien cette belle neutralité est trop courte. Leurs soignants le soulignent, il s’agit de prendre parti parce que ces personnes peinent à s’exprimer, à défendre leurs droits et intérêts. En passant, on salue l’introduction de la médecine des populations vulnérables comme un domaine académique bona fide.
Au plan sociétal, nous pouvons encore moins rester neutres devant les évolutions menaçant gravement la santé de l’ensemble du vivant. La pratique médicale quotidienne illustre comment chaque patient vit dans un environnement qui le conditionne aux plans culturel, socio-économique, etc. (même si, médecin de brousse il y a un demi-siècle, j’ai eu le sentiment que mes maîtres de Suisse ne m’avaient pas appris le rôle déterminant du milieu pour la santé des gens). Le grand Virchow a dit quelque chose comme « La politique, au fond, est une autre manière de faire de la médecine ». On ne saurait dire mieux ce que doit être la vocation de la santé publique. Le corps médical doit assumer son rôle de garant et promoteur de la santé de la collectivité, de référence à cet égard.
La prise de conscience nécessaire. Au risque de heurter sa modestie, je cite Eric Bonvin, psychiatre, Directeur général de l’Hôpital du Valais. En dépit du « costume » officiel qu’il ne saurait oublier (alors que je ne suis plus contraint par celui que j’ai porté), il dit des choses fortes.2 À la question « La crise actuelle transformera-t-elle notre manière de fonctionner ?», réponse : « J’espère un changement. Le constat est là : nous saccageons l’écosystème et, avant de les exterminer et de les consommer, nous augmentons les contacts avec les animaux sauvages qui sont des réservoirs à virus. Puis nous nous déplaçons comme des fous. Il faut ralentir et prendre le temps de vivre avec notre environnement, pas l’anéantir de manière suicidaire ». Et il remet cela dans le magazine du GRAAP, association pour la santé mentale :3 « Nous nous rendons compte que nous ne maîtrisons pas la nature, fantasme qui était encore présent il y a un an (…). Nous payons très cher le manque de respect à l’égard de celle-ci. »
Malgré les influenceurs insistant sur le fait que certains éléments restent parfois, c’est vrai, imprécis (voire ceux qui sont mandatés pour mentir élégamment), les professionnels de santé doivent s’exprimer sur des dangers patents. Il n’y a pas pour cela une seule manière, nous n’allons pas tous rejoindre les rangs des « Doctors for XR » mais je suis pour ma part reconnaissant que certain·e·s s’y engagent.
Besoin d’une vision large. Loi sur le CO2 : On veut croire que le Parlement n’est pas en train d’affaiblir un texte déjà « minimal ». Votation fédérale bientôt : que devraient faire des professionnels sensibles aux menaces sur notre futur ? Nouvelle flotte d’avions ? J’ai effectué mon service militaire (suis capitaine) et reste sensible à l’histoire du service armé de ce pays et au rôle de ciment entre régions qu’il a eu. Mais je ne peux croire que la réponse aux dangers à venir passe par cet achat. Qui a dit qu’il faut se garder de se préparer à la guerre d’avant ?
Puis, en novembre, la décence veut qu’on soutienne l’initiative pour des multi nationales responsables. Nous allons entendre « Ces entreprises, probablement pas irréprochables, sont économiquement importantes et on ne peut pas les perdre/leur déplaire ». Cela empêche-t-il d’œuvrer à la diminution des inégalités, à plus de justice et d’éthique ? Ceci alors qu’un pays prospère doit impérativement faire plus, au plan de la solidarité, que la part proportionnelle à sa taille. Voter oui.
Les « Doctors for XR » ont pour cet automne un programme étoffé d’engagements, sensibilisations, démonstrations, actions militantes (doctors4xr@protonmail.ch). Pour l’essentiel, ils ne vont pas trop loin. D’une façon autre que ce qu’entendait ce printemps notre Ministre fédéral de la santé, ils font le nécessaire.