Il n’existe pas en Suisse de cadre légal spécifique à l’exercice de la télémédecine. Le médecin réalisant une téléconsultation doit ainsi respecter les principes généraux de l’exercice médical : apporter des soins en adéquation avec les recommandations professionnelles, délivrer à son patient une information claire, adaptée et complète, mais aussi respecter le secret médical. Le médecin, du fait notamment de la limitation des sens et de l’absence d’examen physique direct, doit garder un degré de prudence dans la pratique de consultations à distance. Il reste également responsable des données médicales échangées et il lui appartient d’utiliser une solution de télémédecine adaptée aux normes de sécurité et de confidentialité des données en vigueur.
La crise sanitaire actuelle nous oblige à repenser l’organisation de notre système de soins. Les soignants sont confrontés à un double défi : prendre en charge les sujets infectés par le nouveau coronavirus SARS-CoV-2 ou suspects de l’être tout en maintenant l’état de santé de la population et le suivi des patients chroniques en évitant de les exposer à un risque de contamination.
La protection des soignants est également devenue une priorité de santé publique. Aussi, en raison du risque de contagion que représente le contact physique entre le médecin et son patient, la télémédecine s’est imposée comme un outil indispensable pour le tri mais également pour le suivi des patients.
Dans l’état d’urgence lié à cette pandémie, nombreux sont les médecins de ville et les hôpitaux qui ont adopté la télémédecine sans s’être vraiment préparés ni informés sur le cadre juridique de cette pratique. Cet article présente un éclairage juridique pour tout médecin souhaitant pratiquer la téléconsultation au quotidien et rappelle les dernières recommandations de la Fédération des médecins suisses (FMH) en matière de télémédecine.
Il n’existe pas en Suisse de disposition légale spécifique à l’exercice de la télémédecine. Cette pratique doit s’analyser au regard des règles usuelles du droit médical qui comprend les principes des droits privé, pénal et administratif ainsi que de la législation cantonale. Elles sont complétées par les règles déontologiques propres à la profession de médecin, les recommandations professionnelles et l’interprétation du droit par la doctrine et la jurisprudence. Sur le plan fédéral, la loi sur les professions médicales universitaires (LPMéd) pose les conditions d’accès à la pratique médicale en vue d’obtenir l’autorisation de pratiquer et les obligations qui en découlent pour le médecin, qui est soumis à surveillance cantonale et aux sanctions disciplinaires.1
Pour la pratique en cabinet médical ou en clinique privée, la relation thérapeutique médecin-patient relève du droit privé et constitue, la plupart du temps, un contrat de mandat que l’on qualifie souvent de « contrat de soins ».2,3 De ce contrat découlent plusieurs devoirs, dont l’obligation de diligence du médecin (exercice de la médecine avec soin et conscience professionnelle). Ce devoir implique le respect des règles de l’art médical et le devoir d’information. Ces dispositions sont complétées par d’autres lois comme dans le Code pénal, protégeant le patient contre toute divulgation de ses données de santé sans son accord4 (secret médical), la loi fédérale sur la protection des données,5 couvrant les mesures prises par le médecin pour le traitement du dossier et des données médicales du patient, et par les lois cantonales sur la santé publique.6 Enfin, dans un hôpital public, le patient nouera généralement un contrat avec l’hôpital et non directement avec le médecin.3
Les règles de l’art médical se définissent comme les « principes établis par la science médicale, généralement reconnus et admis, communément suivis et appliqués par les praticiens ».7 Le médecin s’engage à prodiguer les soins adéquats, en accord avec les recommandations actuelles et les règles de l’art médical (Clinical Practice Guidelines). Le Code de déontologie de la FMH (Code FMH) pose les jalons des règles professionnelles pour les médecins et renvoie, par exemple, aux règles médico-éthiques de la Commission centrale d’éthique de l’Académie suisse des sciences médicales (ASSM) (art. 18 Code FMH).8
Dans la situation exceptionnelle de crise sanitaire, où les connaissances scientifiques évoluent rapidement, il est du devoir du médecin de se tenir à jour des données de la science et d’adapter ses soins aux recommandations en vigueur.9 Lors d’une téléconsultation, tout manquement aux règles de l’art médical ou omission d’informer proprement le patient sur le traitement à distance pourraient engager la responsabilité du médecin.10 Il s’agira pour celui-ci de s’assurer que tous conseils, diagnostics et prescriptions effectués à distance garantissent le même niveau de qualité pour le patient qu’au cabinet. Avec la dématérialisation et la multiplication des supports informatiques, la bonne tenue du dossier médical restera un élément central pour documenter la prise de décision.
Le médecin ne doit pas à son patient la guérison mais a l’obligation de faire tout son possible pour le soigner. En cas de doute, le médecin doit recommander à son patient de bénéficier d’un examen clinique au cabinet ou de se présenter aux urgences.
Le degré de prudence dans l’exercice de la téléconsultation doit être examiné selon les conditions particulières liées à cet exercice : limitation des sens, absence d’examen clinique direct, aspects émotionnels différents, limites techniques pouvant induire une connexion instable avec Internet, qualité de son ou d’image limitant ou péjorant l’anamnèse, ou encore doute sur l’identité du patient. Ainsi, les difficultés de la téléconsultation et le degré de diligence du médecin dépendront du risque pour la santé du patient en fonction du type de conseils médicaux effectués à distance, du patient lui-même, de l’urgence ou du domaine de spécialité (médecine générale, psychiatrie, oto-rhino-laryngologie (ORL), dermatologie, etc.). Il s’agira également de pondérer le risque d’une téléconsultation selon l’outil utilisé (téléphone, vidéoconférence, e-mail, messagerie instantanée, etc.).11
L’article 7 du Code FMH exclut les traitements médicaux de longue durée à distance exclusivement (environ 6 mois). Un tel traitement s’inscrivant uniquement à distance, en particulier au moyen de technologies impliquant un contact indirect, sans examen clinique pratiqué par le médecin lui-même ou le personnel soignant sous sa propre responsabilité, pourrait s’avérer contraire au Code FMH.8
Rappelons que l’on préconise au moins une année de pratique ainsi qu’une formation appropriée en télémédecine et que seul un médecin autorisé à pratiquer dans un canton peut pratiquer la télémédecine. Ce droit de pratique s’étend aux médecins assistants et aux personnels soignants, hospitaliers ou de ville, agissant sous l’entière responsabilité du médecin.
Le médecin est le garant des informations médicales qui lui sont confiées. Il se doit de les protéger de manière accrue puisqu’elles constituent des données sensibles (art. 3 de la loi fédérale sur la protection des données (LPD)).5 En cas d’utilisation de logiciels, d’applications mobiles et de solutions cloud, ces données médicales sont potentiellement accessibles par des tiers, souvent situés à l’étranger, lesquels ne sont aucunement soumis au secret professionnel.12-17 L’enjeu pour le médecin est de garantir le même niveau de sécurité et de confidentialité des données médicales tout en préservant les droits du patient lorsque celles-ci sont traitées par des tiers. Le médecin qui utilise de tels prestataires ou solutions tierces doit conclure un contrat avec ce « sous-traitant », ou accepter des conditions générales et une politique de confidentialité, respectant les principes de protection des données et garantissant le secret médical.
Depuis plusieurs années, le Préposé fédéral à la protection des données et à la transparence (PFPDT), ainsi que certains préposés cantonaux, ont publié des recommandations concernant la gestion du dossier médical, la sécurité au cabinet ainsi que le traitement de données médicales au moyen des nouvelles technologies.12-18 Tout récemment, le PFPDT s’est prononcé dans un feuillet thématique sur les bonnes pratiques de sécurité en lien avec les outils audio et de vidéoconférence, comme la FMH dans sa fiche d’information.18
La téléconsultation peut impliquer la transmission, l’échange et le stockage de données médicales, parfois automatiquement, en dehors du cabinet médical et sur de multiples supports. De ce fait, le médecin risque d’« éparpiller » les données de ses patients et compromettre la bonne tenue du dossier médical ainsi que la confidentialité. Photographies, prescriptions électroniques, rapports médicaux, données de laboratoire ou données administratives d’un patient se retrouvent alors en dehors d’un environnement contrôlé par le médecin, alors qu’il lui incombe d’en conserver la maîtrise en sa qualité de responsable du traitement des données patient. Lors d’une téléconsultation, le médecin devra s’organiser afin de regrouper, centraliser et transférer les données de ses patients au dossier médical avant de les supprimer des différents supports utilisés si ceux-ci ne servent pas à l’utilisation quotidienne du médecin ou engendrent un risque pour la sécurité ou le secret médical.
Selon le PFPDT, conserver les données médicales en Suisse serait le seul moyen de conserver la maîtrise sur les données médicales dans une juridiction qui garantit le droit des patients.13 Dans sa fiche d’information, la FMH précise que le médecin peut stocker des données médicales dans le cloud, le cas échéant, à l’étranger. Cette prise de position de la FMH nous paraît réaliste et pragmatique.11 Néanmoins, en cas de transfert de données médicales en dehors de la Suisse, celui-ci ne devrait s’opérer que dans un pays assurant un niveau de protection adéquat des données personnelles. Notons que le respect du secret médical dépend du standard national : les tiers non-médecins tels les fournisseurs de service doivent garantir la confidentialité des données et cela même lorsque les données restent en Suisse. Il s’agira de toujours privilégier la sécurité et la confidentialité des données plutôt que l’utilisation d’une technologie innovante et attractive, le cas échéant, en passant un contrat de sous-traitance avec le tiers.
Le médecin diligent veillera, en plus des soins, à recueillir le consentement du patient pour la téléconsultation. Pour que le consentement soit valable, le patient doit recevoir toute l’information nécessaire en lien avec la téléconsultation, qu’il s’agisse des outils utilisés, du lieu de stockage des données ou d’une éventuelle lacune pour la protection de ses droits (si le tiers ne peut pas s’engager à respecter le droit suisse). De plus, le consentement doit être libre et le patient ne devra pas être pénalisé en cas de refus. Avant toute téléconsultation, le médecin informera son patient, obtiendra son autorisation préalable exprès et la documentera par écrit.
Le droit suisse reconnaît la téléconsultation comme une pratique médicale à part entière. Le médecin réalisant une téléconsultation se doit de respecter les principes généraux de son exercice en tenant compte des spécificités de cette pratique. Il lui appartient d’exercer son art en vertu des données de la science, d’être transparent, de prodiguer à son patient une information claire et appropriée et d’être le gardien des données médicales qui lui sont confiées. De plus, le médecin devra toujours se demander s’il peut se passer d’un examen clinique tout en garantissant une prise en charge adaptée de son patient. Enfin, l’utilisation d’outils numériques appropriés, efficaces, sécurisés, ainsi que la formation des soignants en matière de télémédecine sont les gages de téléconsultations de qualité dans le respect de la déontologie et des exigences légales.
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.
• Il n’existe pas de texte juridique exclusivement consacré à la télémédecine
• Le médecin réalisant une téléconsultation doit respecter les principes généraux de l’art médical : prodiguer des soins dans le respect des recommandations, informer son patient de façon claire et appropriée et être le gardien des données médicales qui lui sont confiées
• Une attention particulière devra être portée aux outils numériques utilisés et à la limitation des sens et de l’examen clinique afin d’assurer au patient une prise en charge sécurisée et de qualité
Il n’existe pas en Suisse de cadre légal spécifique à l’exercice de la télémédecine. Le médecin réalisant une téléconsultation doit ainsi respecter les principes généraux de l’exercice médical : apporter des soins en adéquation avec les recommandations professionnelles, délivrer à son patient une information claire, adaptée et complète, mais aussi respecter le secret médical. Le médecin, du fait notamment de la limitation des sens et de l’absence d’examen physique direct, doit garder un degré de prudence dans la pratique de consultations à distance. Il reste également responsable des données médicales échangées et il lui appartient d’utiliser une solution de télémédecine adaptée aux normes de sécurité et de confidentialité des données en vigueur.