La crise liée au Covid-19 a poussé de nombreux soignants à utiliser pour la première fois la vidéoconsultation. Si celle-ci est particulièrement utile en temps de pandémie, elle est également sollicitée au quotidien par certains patients, leur permettant un contact facilité avec leur médecin. Pourtant, ce dernier est parfois peu à l’aise pour communiquer avec les nouvelles technologies et du fait de l’absence d’examen physique traditionnel. Une formation à la communication et à l’examen physique virtuel en vidéoconsultation apparaît nécessaire, permettant d’inscrire la télémédecine dans la pratique quotidienne tout en garantissant une prise en charge de qualité.
En Suisse, dès le 16 mars et jusqu’au 27 avril 2020, en raison de la situation liée à la pandémie du Covid-19 qualifiée d’exceptionnelle par le Conseil fédéral, les hôpitaux, cliniques et cabinets médicaux ont dû renoncer à tous les traitements et interventions non urgents. Les personnes vulnérables ont été encouragées à se confiner et à travailler depuis leur domicile. Aux HUG, en dehors des urgences, la majeure partie de l’activité ambulatoire présentielle, chirurgicale ou interventionnelle a été suspendue. Durant cette période, de nombreux professionnels de la santé se sont mis à la téléconsultation par vidéo, bouleversant de façon radicale leur manière de dispenser les soins.
La vidéoconsultation fait partie intégrante de la télémédecine, définie par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) comme « la fourniture de services de soins de santé, lorsque l’éloignement est un facteur déterminant, par des professionnels des soins de santé faisant appel aux technologies de l’information et des communications ».1 Avant la crise du Covid-19, la télémédecine était peu développée en Suisse. Elle était essentiellement sollicitée par les professionnels de la santé pour des actes de téléexpertise ou de téléconsultation assistée par un autre professionnel comme une infirmière.2
Les nouvelles technologies ont permis à la télémédecine de changer la manière dont les médecins interagissent avec leurs patients. L’utilisation des applications médicales, des dispositifs médicaux connectés ou de la vidéo permet une évaluation clinique dans l’environnement quotidien des patients en dehors du cabinet du médecin et une meilleure appréciation de leurs comportements et mode de vie.
Dans cet article, illustré par les regards croisés entre un médecin de famille et sa patiente sur les avantages et les limites de la téléconsultation par vidéo, nous nous intéressons aux nouveaux enjeux dans la relation de soins lors d’une vidéoconsultation.
Le Dr Joachim Karsegard, médecin interniste généraliste, également diabétologue, installé en cabinet depuis 22 ans, a recours à la téléconsultation via l’outil docteur@home, développé par les HUG en partenariat avec l’Association des médecins du canton de Genève (AMGe). Dès le début de la pandémie, il est amené à faire bénéficier d’une vidéoconsultation une de ses patientes, Lucie, 77 ans, qui le sollicite devant un résultat d’analyse sanguine anormale prescrite par un autre médecin et faisant suspecter une hémopathie maligne. Le Dr Karsegard et Lucie ont accepté de partager leur vécu de cette vidéoconsultation. Des extraits de l’entretien sont retranscrits dans les tableaux 1 à 6.
La télémédecine, qui inclut la possibilité de communiquer avec un soignant via un téléphone, une vidéo ou une messagerie instantanée, transcende les limites géographiques et temporelles. Elle permet ainsi un meilleur accès aux soins, en particulier un accès à un éventail plus large de spécialistes, un coût de la santé plus faible et un gain de temps à la fois pour le patient et pour le médecin.3,4 La télémédecine non seulement facilite l’accès à un avis médical mais permet aussi d’offrir aux patients une prise en charge de qualité, dans le confort de leur domicile. Modifiant le schéma traditionnel, la télémédecine rend l’accès aux soins plus rapide et parfois même plus efficace,5 redéfinissant ainsi les contours habituels de la consultation médicale. Elle offre d’autres avantages puisqu’elle permet, par la vidéo, d’entrer dans l’univers du patient à l’image d’une visite à domicile virtuelle. Durant la crise du Covid-19, l’enjeu est également de maintenir le lien avec les patients vulnérables en leur assurant un accès aux soins et une continuité dans le suivi (tableau 1).
L’absence d’examen physique peut créer un inconfort, un sentiment d’incertitude, et constituer un frein à l’adoption de la téléconsultation pour beaucoup de médecins (tableau 2), même s’il est admis que l’anamnèse permet de poser le diagnostic dans une grande proportion de cas.6 L’examen physique virtuel a des limites par rapport à l’examen traditionnel. Il serait illusoire d’espérer arriver à réaliser l’équivalent d’un examen clinique complet par vidéoconsultation. Cependant, les nouvelles technologies permettent de recueillir un certain nombre de données cliniques.7 Le tableau 7 présente les possibilités d’évaluation clinique par vidéo. En télémédecine en effet, l’évaluation clinique se trouve également facilitée et améliorée par l’intégration de nouveaux dispositifs médicaux connectés, par exemple stéthoscopes connectés, télé-ophtalmoscope, vidéo-otoscope, etc.8
La consultation n’est pas uniquement un moment de recueil d’informations médicales, c’est également durant ce temps dédié que peut se construire une relation de confiance, gage notamment d’une meilleure adhésion du patient au traitement proposé, mais aussi d’un accompagnement plus serein.9 La qualité de la prise en charge s’établit en effet également à travers les liens médecin-patient. En télémédecine, la distance physique et l’absence de toucher peuvent rendre la construction de cette relation plus difficile (tableau 3).
Plusieurs travaux ont été menés afin de comparer les attentes des patients dans les consultations présentielles et à distance. Ceux-ci suggèrent que, si en face-à-face, l’empathie et le soutien exprimés par le médecin impactent fortement la satisfaction, la situation diffère en télémédecine où les patients ont tendance à accorder plus d’importance à la qualité des informations médicales échangées qu’à l’empathie et au comportement affectif du médecin.10-12 Les patients souhaitent pouvoir bénéficier de l’usage de la télémédecine, en plus de consultations régulières en face-à-face, les deux types de consultations étant différentes et complémentaires.12
De façon générale, la durée de la consultation via la télémédecine est plus courte qu’en présentiel.13 Les attentes en télémédecine et les motifs de consultation plus ciblés expliquent en partie que la quantité moyenne d’informations médicales obtenues lors d’une consultation de télémédecine est inférieure à celle obtenue lors d’une consultation face-à-face, les professionnels ayant tendance à donner des réponses ciblées et plus courtes10-14 (tableau 4).
Les travaux ont montré que le comportement verbal du médecin est le même en face-à-face et à distance, alternant questions ouvertes et fermées.10 Pourtant, le comportement affectif et les signes d’empathie et de compréhension, fortement associés à l’établissement d’une relation de confiance, sont moins présents via la télémédecine. La distance physique peut être également source de frustration pour le médecin. Celui-ci devra prendre soin, lors des annonces de mauvaises nouvelles, d’exprimer son empathie. Des éléments paraverbaux (silences, intonation de la voix) et non verbaux (expression faciale et regard du médecin) permettent notamment d’exprimer sa reconnaissance des émotions et de la souffrance du patient.15 Les médecins ont été sensibilisés ces dernières décennies à la place de l’ordinateur dans les consultations traditionnelles, au positionnement des sièges et du bureau afin de favoriser une communication de bonne qualité. Cette réflexion est actuellement menée pour les vidéoconsultations.
Le médecin consultant à travers un écran a du mal à détacher son regard et craint de perdre de précieuses informations visuelles. Il doit pourtant documenter le dossier patient. La présence d’un double écran ou de fenêtre partagée est une aide précieuse pour mener sereinement les deux tâches en parallèle.16
Le tableau 8 présente les recommandations de base pour une communication clinique adaptée lors d’une vidéoconsultation (voir aussi les tableaux 5 et 6).
La situation sanitaire de ces derniers mois a permis une accélération considérable du recours à la télémédecine. Les médecins ont expérimenté une nouvelle manière de communiquer avec leurs patients. Plusieurs travaux mettent en évidence la nécessité de développer les compétences de communication des médecins dans le domaine de la télémédecine.17,18
Plusieurs initiatives ont émergé afin d’accompagner cette transition et former les soignants aux aspects de la communication clinique et de l’examen physique virtuel lors d’une vidéoconsultation. Nous proposons une liste de ressources pour les médecins qui souhaitent se former (tableau 9).
Au-delà d’avoir montré leur utilité dans la crise sanitaire du Covid-19, les téléconsultations répondent à une véritable attente des patients et présentent de nombreux avantages pour toutes les parties concernées, en particulier en facilitant la communication médecin-patient.19 Toutefois, les particularités en lien avec la distance géographique ou l’utilisation d’outils de la communication modifient les interactions entre le médecin et son patient, et sont susceptibles d’influer fortement sur leur relation et sur la qualité de la prise en charge. Aussi, il est souhaitable d’accompagner et former les professionnels de la santé dans cette nouvelle pratique et élaborer des bonnes pratiques de communication et de l’examen physique à distance afin de garantir une qualité des soins en télémédecine.
Les auteurs remercient Lucie pour son partage d’expérience de la vidéoconsultation.
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.
• La consultation n’est pas uniquement un moment de recueil d’informations médicales, c’est également le temps de la construction d’une relation de confiance entre le médecin et son patient, gage d’une meilleure adhésion du patient au traitement proposé, mais également d’un accompagnement plus serein
• Les patients souhaitent pouvoir bénéficier de l’usage de la télémédecine, en plus de consultations régulières en face-à-face, les deux types de consultations étant différents et complémentaires
• Le médecin doit s’adapter à l’utilisation de la technologie et veiller à témoigner à son patient sa compréhension et son empathie
• Une formation à la communication et à l’examen physique virtuel en télémédecine apparaît nécessaire
The covid-19 outbreak prompted many health care providers to use video consultation for the first time. While it is particularly useful in times of pandemic, a number of patients wish to continue using video consultation as it allows easy access to their physician. However, many physicians may be uncomfortable communicating with new technologies and without performing a traditional physical examination. Training in communication and virtual physical examination in telemedicine appears to be necessary, making it possible to make videoconsultation sustainable into daily practice while guaranteeing quality of care.