De quoi au juste devons-nous nous méfier ? D’être instrumentalisés par des pouvoirs, des groupes d’intérêt qui cherchent autre chose que celui du patient. Nous sommes alertés par des pressions administratives relatées par exemple, dans le Temps a (Le système d’asile suisse de nouveau remis en question: …une des accusations les plus sérieuses, la pression mise sur les médecins qui rédigent régulièrement des rapports cruciaux à la hâte…). Le domaine de l’asile est non seulement miné par une exception juridique (le demandeur d’asile ne jouit pas de la présomption d’innocence, il est d’emblée traité comme prévenu qui doit « prouver son innocence »), mais aussi par des inégalités de traitements. Cela pose des questions éthiques.
Dès le 4e siècle avant Jésus-Christ, Hippocrate a mis en place des garde-fous. La mission du médecin est de promouvoir et de préserver la santé de l’être humain, dans la plénitude de son savoir et de sa conscience. Après la Seconde Guerre mondiale et la création, en 1947, de l’Association médicale mondiale, celle-ci s’est préoccupée de questions d’éthique. Le procès des médecins à Nuremberg a mis en évidence la nécessité de réaffirmer des lignes directrices concernant à la fois les droits humains et les droits des patients. Le serment de Genève (1948) et la déclaration d’Helsinki (1964) sont des références éthiques.
MASM b (médecins action santé migrant·e·s), groupe sans appartenance politique auquel je participe, échange mensuellement ses expériences. Il s’inquiète aussi de l’éthique autour des renvois de requérants d’asile. Avant d’écrire cette tribune, des contacts ont été pris auprès d’éthiciens et de personnes engagées sur le terrain.
Les médecins mandatés par le Secrétariat d’État aux migrations (SEM) pour cautionner les départs forcés ne soignent évidemment pas leurs « patients », ils exécutent des ordres découlant d’un contexte politique. N’empêche, les directives éthiques sont claires c pour également couvrir leur action qui a des répercussions sur l’état physique et mental des personnes. Par analogie, des médecins-conseils sont aussi soumis au code de déontologie qui prime sur toute logique d’entreprise. Ils ne peuvent pas défendre les intérêts de l’institution au détriment des patients.
Jamais la société mandatée n’a pris contact avec un des deux médecins de ce centre
Sur quelle base se recrutent alors les médecins appelés à cautionner des renvois forcés, parfois entachés de « bavures » (patient en cours de chimiothérapie, femme sur le point d’accoucher, enfant handicapé, etc., la liste est hélas longue) ? Dès 2012 – après le décès d’un Nigérian à l’aéroport de Zurich - une société spécialement créée pour ce travail d a été épinglée par la presse et par des politiciens.e Son contrat a été renouvelé en juin 2020 (après une mise au concours où personne d’autre n’a postulé), malgré les avertissements que le SEM a reçus de diverses organisations. Je me suis procuré le cahier des charges f (qui a disparu du web) auprès du SEM, en allemand.
D’emblée la Confédération met en garde: les pathologies rencontrées sont avant tout psychiatriques.g Quel est le volume du travail ? Entre 2017 et 2019, en moyenne 1500 examens d’aptitude au vol, une centaine de vols spéciaux et environ 500 vols de ligne par an pour le rapatriement. L’évaluation se fait sur dossier. Un petit sondage dans un centre de renvoi confirme nos suppositions: s’il arrive rarement qu’un requérant soit examiné, jamais la société mandatée n’a pris contact avec un des deux médecins de ce centre – n’est-ce pas une négligence ?
Je constate la bonne intention, faire deux mandats distincts (évaluation de l’aptitude au vol; accompagnement des vols) afin d’éviter une incitation d’ordre financier. Hélas, faute d’alternative, la société poursuit les deux mandats.
Inquiétante, la définition de l’aptitude au vol que je traduis ainsi: elle est donnée quand – avec assez de probabilité – on exclut un accident de santé majeur durant le vol et le jour qui suit. Rien sur une prise en compte de documents fournis par des collègues connaissant le contexte médical, aucune appréciation sur la prise en charge ultérieure.
Quels sont les confrères qui postulent ? Le cahier des charges demande des médecins expérimentés et porteurs d’un diplôme fédéral (à l’exclusion d’assistants ou étudiants), donc soumis à nos codes déontologiques.
Le médecin n’aura pas commis de faute professionnelle, il répond à une question précise puis s’en lave les mains. Et l’exécutant du sale boulot se dit « je suis couvert par un avis médical», et tous d’une même voix: c’est le peuple Suisse qui l’a voulu. Situation navrante, est-elle digne de notre civilisation ?
Pourquoi l’appel d’offre de la Confédération n-at-il pas eu d’autres réponses ?