Au terme de cette année 2020, il nous semblait difficile de ne pas évoquer la pandémie qui s’est abattue sur le monde et qui a tant bouleversé nos habitudes et nos pratiques. En mars dernier, devant l’ampleur de la vague de contaminations, il nous a fallu faire preuve de capacités d’adaptation sans précédent, pour tâcher « d’aplanir la courbe » épidémique et éviter le débordement de notre système de santé. En chirurgie orthopédique, cela s’est traduit par des mesures drastiques, parfois considérées comme excessives par certains : l’annulation de toute chirurgie élective à l’hôpital comme en clinique ; de toutes les consultations non impératives ; la participation des chirurgiens à l’effort collectif par le redéploiement d’une partie des personnels médicaux, paramédicaux, et administratifs vers les secteurs en première ligne face au Covid-19 ; le transfert d’activité des médecins gériatres et internistes habituellement rattachés au service vers les secteurs de médecine ; l’annulation des stages des étudiants en médecine pour réduire les interactions au sein de l’hôpital ; la réorganisation du service et l’établissement d’un système de rotation des internes et chefs de clinique, assurant en permanence la disponibilité d’une équipe de réserve, prête à remplacer en cas de défection d’un membre du personnel.
Contre toute attente, l’augmentation a concerné principalement les patients de plus de 65 ans
L’activité chirurgicale n’a pas cessé pour autant, et nous avons pu continuer durant toute cette phase à assurer notre mission de prise en charge des urgences traumatologiques et septiques, tout en respectant les principes élémentaires qui ont prévalu pendant cette période: assurer la sécurité des patients et des personnels par la distance sociale, le lavage des mains et le matériel de protection ; limiter l’exposition en évitant (avoid) les contacts et les transferts de patients ; restreindre (restrict) le nombre de consultations et de visites ; écourter (abbreviate) les délais avant intervention et les durées de séjour.
Dans ce contexte, la télémédecine, dont le déploiement était encore balbutiant il y a quelques années, a connu un essor spectaculaire dans de nombreux pays, et en particulier en Suisse.1 On estime ainsi que la moitié des médecins américains ont eu recours à la télémédecine depuis le début de la pandémie, alors qu’ils n’étaient que 18 % en 2018.2 Contre toute attente, l’augmentation a concerné principalement les patients de plus de 65 ans, et dans les centres où les plateformes étaient déjà fonctionnelles, 83 % d’entre eux ont mis en place des téléconsultations pour le suivi de leurs patients à distance. Le taux d’utilisation des plateformes de télémédecine était d’ailleurs corrélé à la carte de propagation de l’épidémie de coronavirus dans les différents États américains.
Selon la définition de l’OMS, on entend par télémédecine « la pratique de la médecine au moyen de techniques interactives de communication des données ; cela comprend la fourniture de soins médicaux, la consultation, le diagnostic et le traitement, ainsi que la formation et le transfert de données médicales ». L’échange d’informations peut se faire via un smartphone, un ordinateur, une tablette ou tout autre dispositif électronique, qui doit nécessairement permettre la transmission audio et vidéo. La télémédecine inclut les téléconsultations, les télé-entretiens avec les familles de patients, la télésurveillance postopératoire, la télé-réhabilitation, ou la télé-expertise. Dès les premières semaines de la pandémie, plusieurs sociétés savantes, comme la British Orthopaedic Association,3 ou l’American Academy of Orthopaedic Surgeons4 ont fortement recommandé le recours aux plateformes de télémédecine, et établi de véritables guides d’accompagnement, offrant de nombreuses informations sur le matériel nécessaire, les logiciels utilisés, la sélection des patients, le codage des actes et la facturation. Le suivi des fractures par des Virtual Fracture Clinic, déjà en place en Grande-Bretagne, était également encouragé et s’est avéré extrêmement sûr durant la première vague.5
L’usage de la télémédecine en chirurgie orthopédique n’est pas nouveau. Plusieurs expériences avaient déjà été rapportées en matière de diagnostic et de suivi des fractures, en chirurgie prothétique, en médecine du sport, et même en oncologie. Une revue systématique publiée en 2020 faisait état de 21 études orthopédiques dont 9 essais randomisés, et soulignait le très fort taux de satisfaction des patients (70 à 98 % de patients satisfaits ou très satisfaits) en comparaison à la consultation traditionnelle.6 Les raisons avancées étaient le gain de temps, moins de déplacements, moins de temps passé en consultation, des horaires mieux respectés et plus appropriés. La validité des téléconsultations semblait bonne pour un certain nombre d’indicateurs, comme le suivi des plaies opératoires, le recueil de questionnaires pour les Patient-Reported Outcomes, et même l’appréciation des mobilités articulaires, dont les modalités d’enregistrement ont été minutieusement séquencées dans un article récent.7 L’influence sur les coûts a pu aussi être estimée, avec une réduction de l’ordre de 12 à 70 % en fonction du contexte, et de l’éloignement géographique. Une étude a ainsi permis de valider l’utilité de la téléconsultation pour le suivi des prothèses articulaires de hanche et de genou à 1 et 7 ans de l’intervention, avec un taux de réponses de 92 %, un taux de satisfaction de 90 %, et une économie estimée de £ 42 644 par an pour l’Institution.8 Les principales questions en suspens restent celles de la sécurité et de l’innocuité qui, à ce jour, ne sont pas formellement établies compte tenu du nombre limité d’essais, de l’hétérogénéité des patients inclus dans ces études, du faible recul, et de l’absence de critères stricts d’évaluation. Encore récemment, une publication a rapporté le cas d’une patiente suivie et traitée par télémédecine pour une gonarthrose, alors qu’elle souffrait d’une fracture pathologique du fémur sus-jacent.9 Ces histoires sont fort heureusement rares et devraient pouvoir être évitées par une meilleure définition des critères d’éligibilité, qui devront préciser quels sont les patients, les situations, les pathologies qui peuvent faire l’objet de téléconsultations sans compromettre le pronostic.
Toutes les études montrent que lorsque les patients ont été exposés à la télémédecine, ils souhaitent renouveler l’expérience
Avec l’essor rapide des technologies de l’information, et l’acceptation par les patients et les soignants de ces nouveaux modes de prise en charge, il y a fort à parier que la télémédecine s’ancrera durablement dans nos pratiques, en attendant en tout cas l’éradication du coronavirus et le développement d’un vaccin. Toutes les études montrent que lorsque les patients ont été exposés à la télémédecine, ils souhaitent renouveler l’expérience !