L’efficacité des vaccins Covid, selon les autorités de surveillance, dépend de l’administration de deux doses consécutives de 30 mg (vaccin Pfizer) ou 100 μg (vaccin Moderna). Par analyse de résultats publiés, cet article démontre qu’une dose diminuée des deux vaccins serait également efficace. Vu l’urgence sanitaire et les échecs de prévention en Europe, il apparaît donc raisonnable de combattre la pénurie des vaccins en divisant les doses par deux et ainsi de doubler le nombre de vaccinés.
C’était, il y a quelques semaines encore, une excellente stratégie: on s’accommode, cahin-caha, de confinements partiels tout en vaccinant au maximum. Puis en mars, après levée du confinement, le virus résurgent se cassera les dents sur une population largement immune et le navire sanitaire suisse voguera enfin sur les eaux calmes d’un printemps ensoleillé.
Seulement voilà: il n’y a pas assez de vaccins. Même les quantités modestes prévues ne sont pas livrées ou livrées avec retard. Les projections sont révisées à la baisse; les centres de vaccination, à peine ouverts, fermés.
Que faire ? On cherche des coupables: la Confédération par exemple, qui aurait dû acheter davantage l’automne passée, si nécessaire en mettant le prix pour s’assurer d’une livraison prioritaire; AstraZeneca qui aurait trop donné aux Anglais et pas assez aux Allemands; Pfizer et Moderna suspectés de retenir des livraisons… Mais ce genre de controverse ne produit aucune dose supplémentaire. Des vaccins livrés prioritairement à un pays particulier auraient manqué ailleurs; la pénurie est mondiale. Il est possible d’augmenter la production, mais pas tout de suite, même avec la meilleure volonté du monde.
Il y aurait cependant un moyen de doubler le nombre de vaccinés immédiatement: diminuer les doses. Ainsi, avec un flacon prévu pour 10 personnes on pourrait en immuniser 20. Ci-dessous, nous allons expliquer pourquoi c’est une proposition raisonnable, soutenue par des données de très bonne qualité et déjà appliquée à large échelle dans une situation d’urgence sanitaire passée.
Commençons par le Brésil: entre 2016 et 2018, ce pays dut faire face à une résurgence de cas de fièvre jaune. Les stocks de vaccin disponibles insuffisants poussèrent le pays à vacciner quelques millions de personnes avec une dose diluée par 5.1 Les Brésiliens s’appuyèrent sur une étude menée sur des volontaires vaccinés par la dose habituelle ou la dose réduite. Résultat: la dose réduite produisit une réponse immunologique suggérant fortement un effet protecteur contre la maladie.2
Pour appliquer la même stratégie aux vaccins contre le Covid, il faut donc disposer de données similaires, suggérant qu’une dose inférieure produit une réponse immunologique protectrice. Ces données existent.3,4
Les données proviennent: a) des résultats de la phase 3 des vaccins et b) des investigations sur l’immunité naturelle de patients atteints par le Covid durant la première vague.
Pour rappel, l’efficacité de la vaccination (Moderna et Pfizer) dépend de l’administration de 2 doses consécutives à 3 ou 4 semaines d’intervalle. Cependant, les essais cliniques confirment pour les deux vaccins une efficacité survenant environ 2 semaines après la première dose (c’est-à-dire avant la deuxième).
Par la suite, nous allons illustrer notre propos par une analyse du vaccin Pfizer (BNT162b2)3 mais les données pour le vaccin Moderna sont identiques.4
Dans le graphique de la figure 1, l’axe vertical représente l’incidence des nouvelles infections et l’axe horizontal le temps en jours depuis la première dose. Les deux courbes montrent l’incidence d’infections chez les personnes non vaccinées (placebo) et vaccinées (BNT162b2).
On note une divergence des courbes après 10 à 14 jours, qui signale que la protection par le vaccin devient effective à ce moment-là. Cela est particulièrement bien visible dans l’encart.
Conclusion: Une réponse immune protectrice est atteinte 10-14 jours après la première dose de 30 μg du vaccin Pfizer.
Les meilleures données nous proviennent du Royaume Uni, grâce à une étude sur le personnel hospitalier. Durant la première vague, certains employés furent infectés et d’autres restèrent indemnes. Entre juin et novembre 2020 tous furent testés par PCR toutes les deux semaines. Résultat: le taux d’infection chez les patients infectés durant la première vague était 83% inférieur à celui de ceux qui ne l’avaient pas été.6
Déduction: l’exposition au virus créée une immunité protective. Une vaccination est efficace si elle produit une réponse immune au moins aussi forte que l’infection.
La réponse naturelle et la réponse après la première dose de vaccination sont toutes deux relativement faibles comparée à celle observée après la deuxième dose du vaccin. Il y a de nombreuses façons de mesurer la réponse immune. Dans le cas du vaccin Pfizer, tous les tests sont concordants, ce qui renforce la crédibilité des résultats. Parmi les mesures proposées, l’apparition d’anticorps neutralisants est considérée par les vaccinologues comme étant un des meilleurs corrélats de la protection7 (tableau 1):
Plus spéculatif: dans la perspective d’émergence de mutants qui échappent à la réponse immune et à la vaccination, il faudrait alors utiliser un vaccin polyvalent, efficace contre les anciennes et les nouvelles souches. Ceci impliquerait une augmentation de la dose totale. Or, la survenue d’effets secondaires est clairement liée au dosage. Ainsi, pour le vaccin Pfizer, la dose de 60 μg fut abandonnée après seulement une injection à cause de ces effets indésirables.
Face à ces raisons convaincantes, qu’est-ce qui s’oppose à l’adoption des demi-doses ? En un mot, le règlement. La dose testée chez des dizaines de milliers de personnes fut de 30 μg pour le vaccin Pfizer et de 100 μg pour le vaccin Moderna, les dossiers soumis et approuvés par Swissmedic ne parlaient que de 30 et 100 μg, et Punkt. Schluss. Rien ne bougera sans prises de positions fermes des commissions d’experts. Mais ces commissions fédérales ne sont pas connues pour leur initiatives originales – c’est, en général, le plus pusillanime des membres qui emporte consensus et décision.
Pourtant il y a – rarement – des exceptions à cette règle. En 1996 par exemple, quand il s’est agi d’accélérer la mise à disponibilité de médicaments anti-VIH. Ou en 2008, quand une commission a dit tout haut ce que beaucoup pensaient tout bas – que les patients VIH traités n’étaient plus contagieux. Osons espérer que les décideurs actuels en prendront acte et exemple.
Pour rappel, dans la phase 1 du développement d’un médicament ou d’un vaccin, chez une dizaine ou vingtaine de volontaires, on explore la pharmacocinétique et la toxicité. La phase 2 cherche la bonne posologie et fournit une première estimation d’efficacité. En général, 2 ou 3 doses sont testées chez une centaine de participants. Enfin, la phase 3 vise à comparer le nouveau traitement avec des options thérapeutiques existant chez environ 1000 (pour les vaccins, 10 fois plus) patients ou volontaires sains, en utilisant une dose unique. Sur la base des résultats de la phase 3, le médicament ou le vaccin est approuvé, à une dose unique qui n’est pas nécessairement la meilleure ou la seule efficace, mais celle testée. Appliquée sans discernement au joueur de rugby de 25 ans et à sa frêle aïeule de 94 ans, la dose unique approuvée risque d’empoisonner celle-ci et de sous-doser celui-là.
La pratique médicale en tient compte. Selon une commission fédérale qui s’est penchée sur la problématique de l’utilisation des médicaments hors indications (off label),8 20 et 60% des ordonnances en Suisse s’écartent des recommandations officielles - les médecins suisses jurent par Hippocrate et non pas par le Compendium.
Ci-après quelques exemples parlant auxquels nous avons été confrontés:
À son introduction, la dose recommandée de téicoplanine, utilisé contre des staphylocoques résistants était de 200 mg par jour. Un essai9 chez des patients septicémiques a failli tourner au désastre à cause d’échecs thérapeutiques. La dose recommandée a depuis été révisée à 800 mg/jour.
Les études de phase 3 de l’efavirenz, médicament largement utilisé contre le VIH, étaient prévues à un dosage de 200 mg par jour. Au dernier moment, par crainte de développement de résistance, la dose a été augmentée à 600 mg/j. Commercialisée, cette dose a provoqué de fréquents troubles du sommeil et cauchemars. Souvent, 200 ou 400 mg suffisent et causent moins d’effets indésirables.
À l’inverse, la phase 3 pour la rilpivirine, prévue à 75 mg, a finalement utilisé 25 mg, en raison d’une suspicion d’allongement de l’intervalle QT et d’arythmies cardiaques. Cette dose est cependant insuffisante en cas de charge virale élevée tandis que les craintes d’arythmogénicité se sont avérées infondées.
Concernant les vaccins, on peut citer, outre la fièvre jaune déjà mentionnée, la vaccination contre la variole, où un dixième de la dose habituelle suffit.10