De nombreuses stratégies vaccinales ont été développées pour tenter de contrôler la pandémie de Covid-19. Cet article présente le fonctionnement et l’efficacité de différents vaccins, en particulier ceux à ARN messager et adénovecteurs. Nous discutons des cibles vaccinales, des véhicules vaccinaux ainsi que de l’immunité qu’ils induisent. Nous nous penchons également sur la question des allergies aux vaccins qui a rapidement été soulevée après le début des campagnes de vaccination à large échelle. Les allergènes potentiellement en cause et les mécanismes impliqués sont discutés. Enfin, nous proposons des recommandations pour la prévention et la prise en charge des réactions allergiques sévères.
Depuis plus d’une année, le nouveau coronavirus SARS-CoV-2 a fait des millions de victimes et eu un impact dramatique sur le fonctionnement de nos sociétés. Il fait partie de la famille des coronavirus. Ce sont des virus à ARN, dont il existe sept types/familles connus pour infecter l’homme. Les quatre premiers sont des virus endémiques, responsables d’infections saisonnières des voies respiratoires. Les trois autres induisent des pneumopathies parfois sévères et incluent le SARS-CoV (apparu en 2003), le MERS-CoV (apparu en 2012) et depuis décembre 2019, le SARS-CoV-2. Devant l’urgence sanitaire que représente la pandémie de Covid-19, des efforts internationaux inégalés ont permis le développement rapide de nouveaux vaccins aux résultats remarquables.1-3 Dans cet article, nous allons discuter les différentes stratégies vaccinales, leur efficacité et les allergies liées à ces vaccins.
Une des particularités du virus SARS-CoV-2 est sa capacité d’infecter les cellules exprimant à leur surface l’enzyme de conversion de l’angiotensine 2 (ECA2).4,5 Cette dernière est exprimée sur la surface membranaire de nombreuses cellules, notamment du poumon, du tube digestif, du foie ou encore du rein, permettant l’entrée du virus dans ces organes.6 L’ECA2 interagit directement avec la protéine de surface du virus, appelée protéine S (ou Spike), qui est exprimée sous forme trimérique. Le domaine de liaison de la protéine S va se fixer à l’ECA2 et induire un changement conformationnel de la protéine S. Ceci provoque une perte du domaine de liaison,7 la fusion des membranes et l’infection des cellules hôtes par le virus avec libération de l’ARN messager (ARNm) viral dans les cellules (figure 1).
Les ingrédients d’une réponse immunitaire efficace sont d’une part, d’empêcher l’entrée du virus dans les cellules hôtes, et d’autre part, d’éliminer rapidement les cellules infectées. Pour cela, le système immunitaire doit être capable de bloquer l’interaction entre le domaine de liaison du virus et son récepteur, l’ECA2. Le domaine de liaison représente donc une cible majeure des anticorps neutralisants (nAbs, de l’anglais « Neutralizing Antibodies »).8 À l’inverse, on peut facilement imaginer que les anticorps ciblant la protéine S en conformation postfusionnelle n’aient qu’un impact limité sur l’infectivité du virus. Par ailleurs, pour limiter la propagation du virus, les cellules infectées doivent également être reconnues et éliminées rapidement par le système immunitaire. Ici l’immunité cellulaire est en jeu. Un vaccin idéal devrait donc induire non seulement des anticorps de bonne qualité, c’est-à-dire neutralisant, en bonne quantité, mais aussi une réponse cellulaire robuste.
Les nouvelles technologies vaccinales reposent sur une stratégie différente de celles plus classiques à base de virus entiers inactivés, c’est-à-dire tués et fixés par des procédés chimiques (par exemple, Sinovac7 pour le Covid-19, ou le vaccin de l’hépatite A), vivants atténués, c’est-à-dire avec une capacité proliférative du virus réduite (par exemple, rougeole-oreillons-rubéole, fièvre jaune), ou purifiés, ne contenant qu’un fragment de l’enveloppe du virus (par exemple, grippe, hépatite B). Notons que pour le Covid-19, aucun vaccin « traditionnel » n’est actuellement utilisé en Suisse et seuls ceux à base de « nouvelles » technologies sont disponibles.
Le but des « nouvelles » stratégies est d’utiliser nos cellules comme usine de production de la protéine d’intérêt contre laquelle nous souhaiterions nous immuniser. Pour ce faire, il faut pouvoir délivrer du matériel génétique qui codera pour la protéine S. Cette dernière ainsi exprimée sur la membrane de nos cellules provoque une réponse immunitaire, la cellule vaccinée étant reconnue comme du non-soi (figure 2).
Pour délivrer ce matériel génétique, il est possible d’utiliser soit des adénovecteurs non répliquants qui contiennent de l’ADN (transcrit en ARNm puis traduit en protéine S), soit des nanoparticules lipidiques inertes qui contiennent directement l’ARNm (traduit en protéine S) (figure 2). La principale différence entre ces deux véhicules vaccinaux est que, dans le cas des adénovecteurs, il faut pouvoir délivrer le matériel génétique directement dans le noyau de la cellule alors que, dans le cadre des ARNm, il suffit de délivrer le matériel génétique dans le cytoplasme de la cellule. Cela permet en somme de sauter une étape et de court-circuiter celle de la transcription de l’ADN. Dans les deux cas cela va aboutir à : a) l’expression de la protéine S à la surface de la cellule et b) de peptides dégradés de la protéine S sur les complexes majeurs d’histocompatibilités (CMH), un élément clé servant à l’activation des lymphocytes T.
Les vaccins de Pfizer/BioNTech (BNT162b2, commercialisé sous le nom de Comirnaty) et Moderna (mRNA-1273) sont à base d’ARNm et les premiers de ce genre autorisés dans le monde. D’autres, comme celui de CureVac, sont en cours de développement. Ce type de vaccin est exempt d’adjuvant mais contient divers excipients dont du cholestérol, du polyéthylène glycol (PEG) servant à améliorer la solubilité aqueuse du vaccin et des solutions tampons.9 AstraZeneca (ChAdOx1 nCoV-19), Janssen (Ad26.COV2.S) et Gamaleya (Gam-COVID-Vac, commercialisé sous le nom de Sputnik V) ont choisi d’exploiter la technologie des adénovecteurs contre le Covid-197 sur la base des résultats et de l’expérience obtenue avec le développement d’autres vaccins, notamment contre le virus Ebola, le VIH ou encore le virus respiratoire syncytial (VRS)10,11 (figure 3). Une des limitations liées aux adénovecteurs réside dans la forte séroprévalence des adénovirus dans la population et de la potentielle immunité dirigée contre le vecteur qui en découle. Afin de contourner ce problème, AstraZeneca utilise un adénovirus de chimpanzé, dont la séroprévalence humaine est très faible.12 Gamaleya mise sur l’utilisation de deux sérotypes différents entre la première dose et le rappel.13 Cela reste néanmoins un problème important, puisque si nous développons une réponse immune et notamment des anticorps neutralisants directement contre l’adénovecteur (en plus de la protéine S), cela aura possiblement comme conséquence une perte d’efficacité des vaccinations futures ou même des rappels, puisque l’adénovecteur pourrait être neutralisé avant même de pouvoir vacciner nos cellules.
Finalement, notons que des vaccins protéinés contre le Covid-19 sont aussi en cours de développement. C’est la stratégie adoptée par Novavax.14 Dans ce cas, la protéine S est produite par le biais du système d’expression des baculovirus. Les protéines ainsi produites sont assemblées en nanoparticules et combinées à un adjuvant, la MatrixM, un dérivé de la saponine (figure 3).
Il existe encore une différence souvent mal connue entre les différents vaccins. Il est en effet possible de faire exprimer la protéine S sous sa forme native trimérique ou en conformation préfusionnelle stabilisée. Dans le dernier cas, cela force le système humoral à produire des anticorps sélectivement contre la protéine préfusionnelle et donc possiblement d’augmenter la chance d’induire des anticorps neutralisants. Pour stabiliser la protéine S, il suffit de substituer deux acides aminés de la sous-unité S2.15 Ces modifications ont donc été introduites dans les séquences utilisées pour produire certains vaccins, tels que ceux développés par Pfizer/BioNTech, Moderna, Novavax, CureVac et Janssen. AstraZeneca et Gamaleya utilisent, eux, la protéine S entière non modifiée (tableau 1).
Il a été démontré que les vaccins de Moderna et Pfizer/BioNTech induisent la production d’anticorps neutralisants et d’anticorps immunoglobulines G (IgG) dirigés contre la protéine S à des taux supérieurs à ceux retrouvés dans le plasma de patients convalescents. Ils sont également capables d’induire une réponse cellulaire. La protection offerte par ces vaccins avoisine les 95 % après deux doses.1-3 Les résultats préliminaires d’une étude de phase 3 témoignent d’une protection de 70 % après la première dose du vaccin Sputnik V. Une analyse d’immunogénicité indique un taux de séroconversion de 98 %, avec des titres d’anticorps similaires à ceux observés dans le plasma de patients convalescents. Une réponse cellulaire a également pu être observée.13 Des rapports intermédiaires portant sur plusieurs études randomisées font état d’une protection d’environ 60 à 70 % pour le vaccin d’AstraZeneca.16
Le vaccin Ad26.COV2.S de Janssen (filiale de Johnson & Johnson) est un vaccin à adénovecteur, ayant pour cible la protéine S stabilisée en conformation préfusionnelle. Il vient d’être approuvé aux États-Unis et a la particularité qu’il ne faut injecter qu’une seule dose. Les études précliniques sur ce vaccin ont permis de démontrer la supériorité immunogénique de la forme préfusionnelle stabilisée de la protéine S.17 Tout comme dans le cas des vaccins de Moderna et Pfizer/BioNTech, les résultats préliminaires d’une étude de phase 1-2 indiquent qu’il induit la production d’anticorps à des taux supérieurs à ceux présents dans le plasma convalescent.18 Enfin, des résultats similaires ont été obtenus dans une étude de phase 1-2 portant sur 131 volontaires sains, pour le vaccin protéiné de Novavax.14
Il est important de noter que certaines mutations de la protéine S pourraient permettre à des souches virales d’échapper à la neutralisation par les anticorps et mener à une perte d’efficacité de la vaccination. Trois variants retiennent particulièrement l’attention : ceux dits britannique, brésilien et sud-africain. Tous portent la mutation N501Y dans le domaine de liaison de la protéine S.19 Les variants dits brésilien et sud-africain portent chacun deux mutations supplémentaires (K417T-E484K et K417N-E484K respectivement).19 Des données récentes provenant d’Afrique du Sud témoignent d’une efficacité de seulement 10 % du vaccin d’AstraZeneca contre les infections légères à modérées par le variant sud-africain.20 Dans une moindre mesure, une réduction significative de la protection offerte par le vaccin de Novavax a également été observée en Afrique du Sud.21 La capacité de neutralisation des anticorps induits par les vaccins à ARNm semble également réduite face au variant sud-africain mais l’impact sur la protection offerte par ces vaccins reste incertain.22 Sur la base de données issues de la vaccination à large échelle en Israël, où le variant britannique est largement répandu, l’efficacité du vaccin à ARNm de Pfizer/BioNTech ne semble pas significativement réduite face à ce variant.23
Rapidement après le début de la campagne vaccinale, des cas d’anaphylaxie ont été rapportés aux États-Unis et au Royaume-Uni avec les vaccins de Pfizer/BioNTech et Moderna.24 Les chiffres publiés en février 2021 sur les 9 942 247 premières doses du vaccin Pfizer/BioNTech rapportent 4,7 cas d’anaphylaxie par million de doses.24 Concernant le vaccin de Moderna, sur un ensemble de 7 581 429 doses injectées, 19 cas d’anaphylaxie ont été rapportés soit 2,5 cas par million de doses.24 Concernant le vaccin à vecteur adénoviral d’AstraZeneca, un rapport préliminaire portant sur 4 études randomisées et plus de 12 000 patients fait état d’une seule réaction anaphylactique sur l’ensemble de la population étudiée.16 Dans tous les cas, il semblerait que l’incidence de l’anaphylaxie soit légèrement plus élevée que pour les autres vaccins existants, pour lesquels l’incidence estimée est de l’ordre de 1 cas par million de doses.25
Les mécanismes impliqués dans les réactions d’hypersensibilité restent à ce jour peu clairs, mais beaucoup s’accordent pour pointer du doigt les excipients contenus dans les vaccins, notamment le PEG contenu dans les vaccins de Pfizer/BioNTech et Moderna, et le polysorbate (PS) contenu dans la plupart des autres vaccins (tableau 1). Le PS est connu pour faire des réactions croisées avec le PEG, car il est aussi composé de chaînes d’éthylène glycol. Ils sont fortement répandus comme émulsifiants, surfactants, solubilisants ou encore stabilisateurs dans l’industrie alimentaire et cosmétique ainsi que dans la formulation de nombreux médicaments et vaccins. Le PEG, également connu sous le nom de macrogol, sert par exemple de principe actif dans de nombreux laxatifs osmotiques pour lesquels des réactions d’hypersensibilité sont décrites. Des anticorps dirigés contre le PEG, notamment de type IgE, ont été observés dans le sérum de personnes saines, pouvant expliquer les réactions d’hypersensibilité à la première exposition.26 Des mécanismes non immunoglobulines E (IgE) médiés ont aussi été postulés, notamment l’activation directe du complément par le PEG.27 Le contenu lipidique des vaccins à ARNm, de même que la trométhamine, ont également été évoqués comme allergènes potentiels. La trométhamine, également appelée TRIS, est une solution tampon présente dans la formulation du vaccin de Moderna et du Sputnik V. Le potentiel allergénique du TRIS reste néanmoins controversé puisqu’il n’a été que très rarement reconnu responsable d’anaphylaxie.28,29
En raison du risque d’anaphylaxie, les différentes sociétés savantes ainsi que les centres américains de contrôle des maladies (CDC) ont rapidement recommandé une surveillance de 15 minutes, qui peut être prolongée à 30 minutes chez les personnes avec des antécédents d’anaphylaxie sévère sans lien avec les composés des vaccins (figure 3). Sur la base des recommandations des sociétés d’allergologie suisse (SSAI, Société suisse d’allergologie et d’immunologie clinique) et européenne (EAACI, European Academy of Allergy and Clinical Immunology), il n’y a pas de contre-indication à vacciner les personnes connues pour des allergies alimentaires, aux hyménoptères ou encore aux allergènes inhalées (poussières, pollen, animaux, moisissures) ou aux médicaments pris par la bouche.30 Concernant les patients connus pour une allergie sévère (anaphylaxie) à un produit parentéral (intraveineux, sous-cutané, intramusculaire) qui contient un composant similaire à celui de vaccin, il est proposé les référer vers un spécialiste allergologue. Ceci devrait aussi être le cas pour tous ceux qui ont une allergie (toute forme de sévérité) documentée à l’un des composants du vaccin (figure 4).
Finalement, il convient de rappeler que lors d’une vaccination, les réactions vasovagales (en particulier chez les jeunes) sont bien plus fréquentes que les réactions allergiques. Elles peuvent être distinguées sur la base d’éléments cliniques, notamment en présence d’une bradycardie et d’une bradypnée (figure 4). Il est aussi utile de rappeler qu’un prurit palmoplantaire est souvent un signe avant-coureur d’une anaphylaxie potentiellement sévère. Concernant la prise en charge, il faut administrer en priorité un traitement d’adrénaline en présence de signe de gravité (atteinte cardiovasculaire/respiratoire). En cas de réaction allergique simple (urticaire, angiœdème), la prise d’antihistaminique peut éventuellement suffire. L’indication aux corticostéroïdes sera plutôt réservée aux allergies sévères, bien qu’ils puissent affecter la réponse vaccinale (figure 4).
Dans le contexte pandémique actuel aux conséquences sanitaires et économiques désastreuses, la vaccination ouvre la perspective d’une fin de pandémie. Des efforts internationaux sans précédent ont permis le développement de vaccins contre le SARS-CoV-2 en un temps record grâce à l’utilisation de technologies nouvelles. De nouvelles générations de vaccins sont déjà en cours d’élaboration pour pouvoir faire face aux nouveaux variants, notamment ceux portant la mutation E484K (variants dits brésilien et sud-africain). Concernant le risque d’anaphylaxie lié à la vaccination, les mécanismes d’action doivent être encore mieux compris, même si les données épidémiologiques actuelles sont très rassurantes, en partie grâce aux mesures de précaution mises en place.
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.
• Les vaccins à ARN messager et à adénovecteurs induisent l’expression de la protéine S à la surface des cellules vaccinées
• Contrairement aux vaccins à ARN messager, les adénovecteurs doivent délivrer le matériel génétique directement dans le noyau de la cellule
• La protéine S peut être exprimée à la surface cellulaire en conformation native ou préfusionnelle stabilisée
• Une surveillance d’au moins 15 minutes est préconisée après la première vaccination (Pfizer et Moderna) en raison d’un risque faible de réaction allergique
• Une surveillance de 30 minutes sera recommandée chez les personnes connues pour des allergies sévères alimentaires, aux hyménoptères (par exemple, guêpe/abeille) ou encore aux allergènes inhalés (poussière, pollen, animaux, moisissures) ou aux médicaments pris par la bouche
• Le vaccin est contre-indiqué en cas de réaction allergique confirmée après la première dose ou en cas d’allergie documentée à un composant du vaccin
Many vaccine strategies have been developed to control the COVID-19 pandemic. This article presents the mechanisms of action and the efficacy of different vaccines including mRNA- and adenovirus-based vaccines. We will discuss the different vaccine targets, immune responses and allergic reactions which have been reported during the vaccination campaigns. Finally, the latest recommendations for the prevention and management of severe allergic reactions will be summarized.