Durant la pandémie Coronavirus Disease 19, certains aspects habituels des retraits thérapeutiques ont dû être adaptés. L’accompagnement des patients et de leurs proches au décès ainsi que le soutien aux équipes de soins ont amené à résoudre de nouveaux défis. L’intégration des soins palliatifs dans les processus de retraits thérapeutiques aux soins intensifs a pu être mise en œuvre durant cette crise sanitaire. La formation continue aux questions en lien avec la fin de vie et l’établissement de plans de collaboration avec les soins palliatifs est essentielle aux soins intensifs.
Depuis son apparition, l’infection due au Severe Acute Respiratory Syndrome Coronavirus 2 (SARS-CoV-2) s’est montrée être une maladie mortelle. Le taux de mortalité attendu chez les patients ventilés en début d’épidémie avoisinait 40 à 50 %. Il pourrait finalement atteindre un peu moins de 15 % en Suisse. Pendant cette crise sanitaire, l’attention a été particulièrement portée sur les ressources et moyens nécessaires pour prendre en charge ces patients dans les services de soins intensifs.1 Le 20 mars 2020, la Société suisse de médecine intensive et l’Académie suisse des sciences médicales (ASSM) ont publié des directives communes pour guider le triage des patients admis aux soins intensifs en cas de pénurie de ressources et de surcharge (passage du niveau A, où le triage se fait sur la base des critères usuels d’admission aux soins intensifs, au niveau B, où le triage aurait dû se faire sur la base du meilleur pronostic).2 Dans ce contexte, la réponse aux besoins en soins palliatifs des patients sévèrement atteints et de leurs proches a été moins mise en avant dans les médias et institutions de soins, mais s’est révélée tout aussi importante à organiser, amenant les équipes des soins intensifs à des changements radicaux dans leur approche des soins d’accompagnement de fin de vie et à collaborer de façon innovante dans les processus de retrait thérapeutique.3,4 Le retrait thérapeutique se définit comme l’arrêt de traitements incluant les mesures de soutien vital, mais aussi les démarches diagnostiques sans objectif d’améliorer le confort, le focus étant porté sur la gestion des symptômes, le soutien psychologique, social et spirituel du patient et de ses proches.
Trois éléments doivent être pris en considération dans la trajectoire menant au décès, par retrait thérapeutique, chez les patients aux soins intensifs durant l’épidémie:5
L’application des principes des soins palliatifs a été un challenge dans le contexte des mesures strictes de contrôle de l’infection en vigueur et de l’organisation nouvelle du travail dans les unités de soins intensifs. De nombreux soignants, travaillant habituellement dans divers secteurs de soins comme l’anesthésie, ont été mobilisés aux soins intensifs, dont la capacité d’accueil a plus que triplé. Ces soignants peu familiers des échecs et des retraits thérapeutiques, rarement confrontés à la perte de patients et au soutien de proches en souffrance, endurant une charge et un rythme de travail inhabituels, se sont trouvés engagés dans des prises en charge tout aussi inhabituelles où les patients demeuraient dans des états critiques sans réel espoir d’amélioration.
La décision de retrait thérapeutique étant prise en interdisciplinarité, les soignants ont diversement assumé cette implication supplémentaire. Un effort particulier a été fait pour les informer du cadre légal en vigueur et des principes éthiques entourant ce processus ainsi que pour les soutenir. Le soutien a consisté en des briefings-débriefings quotidiens, le soutien entre pairs, par un spécialiste en gestion de crises humanitaires, une équipe de soins palliatifs et par un psychologue, l’accès à un espace de détente dans l’unité pour s’allonger, à des séances d’hypnose près de l’unité, et enfin à un espace de ressourcement. Le soutien à l’échelle de l’institution a aussi consisté à mettre à disposition des logements pour les soignants résidants loin; de même les repas ont été offerts à tous à toute heure.
Une attention particulière a été portée sur le sens et l’intention de la sédation dans le contexte des soins intensifs en général et dans les retraits thérapeutiques en particulier.6,7 Les équipes ont reçu une formation afin de réaliser les évaluations des patients avec des outils dédiés et validés pour prévenir et soulager les douleurs induites par les soins, la dyspnée, l’agitation et les autres sources d’inconfort.8-10
Durant cette période, certains aspects habituels des soins lors du processus de retrait ont dû être adaptés. Des précautions particulières pour ne pas propager le virus devaient être suivies par les intervenants, en termes d’équipements de protection personnelle, de procédures pendant les soins de bouche, les aspirations trachéales, les changements et manipulations des circuits respiratoires (maintenus fermés) afin d’éviter les contaminations par aérosolisation.
Le retrait de la ventilation a reposé sur une déventilation en changeant les paramètres: fraction inspirée d’oxygène, pression d’aide respiratoire, fréquence du respirateur, et non pas sur une extubation. En effet, l’extubation induisant une hypersécrétion et de la toux, elle aurait induit un risque élevé de transmission virale.11
Une des contraintes majeures a été de s’adapter aux directives très restrictives en matière de visites des proches aux patients. Les familles ont été tenues informées chaque jour par téléphone ou visioconférence de l’évolution de leur être cher, l’éventualité d’un échec et d’un retrait thérapeutique étant évoquée tôt et régulièrement, mais sans possibilité de visite. La préparation et le soutien des patients et de leurs proches au décès présentent des défis particuliers. L’annonce de la décision par téléphone ou visioconférence est un moyen de communiquer qui peut sembler froid ou déstabilisant en cas de compréhension ou d’accès limités à ces technologies.
La forte mortalité attendue, la surcharge de travail et les publications qui ont émergé concernant la prise en charge des patients en fin de vie atteints par le SARS-CoV-2, ont encouragé les hiérarchies médicale et soignante des équipes de soins intensifs à considérer dès le mois de mars les besoins en matière de prise en charge palliative et à collaborer directement avec les soins palliatifs.12-14 Un des éléments facilitant a été de partager des mêmes buts et principes éthiques15 (tableau 1).
À la lumière des défis à relever, une équipe de soins palliatifs dédiée a été intégrée à l’équipe des soins intensifs, en fournissant un soutien à plusieurs niveaux. Une workforce a été développée, basée sur un leadership partagé, afin de partager les expertises et le fardeau dans les retraits thérapeutiques. La collaboration devait permettre de travailler ensemble dans les tâches de soins et d’accompagnement des proches, de permettre aux équipes de soins intensifs de répartir de façon équitable les forces de travail et les ressources pour assurer des soins de qualité tant aux patients en cours de thérapies actives qu’à ceux en fin de vie.
Le protocole institutionnel de prise en charge des fins de vie aux soins intensifs a été mis à jour, incluant des directives spécifiques pour les patients infectés par SARS-CoV-2. En cas de passage au niveau B des recommandations de l’ASSM, un plan de prise en charge extraordinaire a été pensé impliquant les deux équipes, afin de se préparer à gérer des besoins exceptionnels et une mortalité accrue en maintenant la qualité des soins.2
Pour faciliter l’identification, le suivi et la prise en charge par l’équipe des soins palliatifs, cette équipe a assuré une présence quotidienne 7 jours sur 7 aux soins intensifs avec une disponibilité 24 heures sur 24 pour les retraits. La façon de référer les situations dépassées à l’équipe de soins palliatifs a été définie. La consultation régulière du synopsis des soins intensifs affiché sur de grands écrans (avec la durée de séjour, des codes couleur pour l’intubation, la curarisation, le décubitus ventral, indices de sévérité de la situation), la participation de l’équipe de soins palliatifs au colloque du soir, la rencontre des cadres coordinateurs des soins intensifs pluriquotidienne ont permis à cette équipe d’identifier les individus à risque d’échec thérapeutique et donc de décès. L’équipe de palliativistes volontaires a ainsi fourni un soutien aux personnels spécialisés ou non intervenant aux soins intensifs et un soutien direct aux familles dont le proche entrait dans un processus de retrait. Les familles ont été informées par les deux équipes des traitements entrepris, des complications, des limites des thérapeutiques, des décisions, et ont été préparées, accueillies et accompagnées à chaque étape du processus de retrait. Nombreuses questions éthiques en lien avec les retraits thérapeutiques ayant été soulevées pendant l’épidémie, une capsule d’enseignement vidéo à usage interne des collaborateurs de l’institution a été élaborée en commun, reprenant les aspects éthiques et pratiques du retrait thérapeutique avec la collaboration de la Pre S. Hurst de l’Institut éthique histoire humanités de l’Université de Genève (UNIGE).
Les institutions de soins doivent anticiper l’élaboration de procédures concernant la collaboration des soins palliatifs avec les unités de soins aigus en période de crise. L’objectif principal est de déterminer la séquence et l’ordre de retrait des traitements et de donner un cadre aux intervenants impliqués même non familiers de ce type de démarche. Ces procédures doivent laisser la place à la gestion d’exceptions: nombre de proches, phases où les proches peuvent être présents, rituels religieux.
Les protocoles de retraits thérapeutiques aux soins intensifs doivent traiter les aspects pratiques en lien avec les soins au patient (tableau 2), l’accompagnement des proches (tableau 3) et le soutien aux intervenants impliqués. L’accompagnement de fin de vie peut être intense sur le plan émotionnel dans des circonstances normales et encore plus dans les périodes exceptionnelles comme les épidémies. La politique institutionnelle, l’encadrement de proximité, les moyens de ressourcement mis à disposition, le soutien par d’autres intervenants (armée, civilistes, étudiants, psychologues, psychiatres, aumônerie, palliativistes) concourent à prévenir l’épuisement professionnel. Ce soutien doit être encadré et organisé de façon anticipée, afin d’être aussi efficace et aussi adapté que possible. Des formations continues incluant, si possible, des méthodes d’apprentissage par jeux de rôles et simulation doivent être prévues.
L’intégration, aux soins intensifs, des soins palliatifs dans le processus de retrait thérapeutique est possible même en cas de crise sanitaire majeure. Sa planification anticipée de même que la sensibilisation et la formation continue des professionnels des soins intensifs aux questions en lien avec la fin de vie sont essentielles.
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.
▪ L’intégration précoce des soins palliatifs dans le processus de retrait thérapeutique aux soins intensifs est possible même en cas de crise sanitaire
▪ La collaboration dans l’accompagnement des patients et de leurs proches ainsi que le soutien entre équipes confrontées aux situations de fin de vie constituent des objectifs prioritaires dans la gestion de crises
▪ Il est essentiel de mettre en place des formations de sensibilisation et des formations continues conjointes avec les soins palliatifs pour les professionnels des soins intensifs afin de faciliter cette collaboration
Durant la pandémie Coronavirus Disease 19, certains aspects habituels des retraits thérapeutiques ont dû être adaptés. L’accompagnement des patients et de leurs proches au décès ainsi que le soutien aux équipes de soins ont amené à résoudre de nouveaux défis. L’intégration des soins palliatifs dans les processus de retraits thérapeutiques aux soins intensifs a pu être mise en œuvre durant cette crise sanitaire. La formation continue aux questions en lien avec la fin de vie et l’établissement de plans de collaboration avec les soins palliatifs est essentielle aux soins intensifs.
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