Poursuivons notre chronique de « l’affaire de la chloroquine »,1 une polémique désormais multiforme et internationale après avoir été, en France, déclenchée et alimentée par le Pr Didier Raoult (Institut hospitalo-universitaire Méditerranée, Marseille). L’affaire a soudain, ces derniers jours, pris une nouvelle dimension, étrangement politique. Ce fut, le 9 avril, la visite surprise, scénarisée et amplement médiatisée du Président de la République au Pr Raoult, directeur controversé de l’IHU-Méditerranée de Marseille. Et ce alors même que ce dernier est désormais vivement et ouvertement critiqué par le « Conseil scientifique » chargé de conseiller le gouvernement dans la lutte contre le Covid-19 et constitué à la demande du Président de la République.
Visant notamment les essais marseillais à base d’hydroxychloroquine, ce Conseil rappelait que dans le contexte épidémique actuel « les chercheurs et toutes les parties prenantes de la recherche sont tenus de respecter les réglementations françaises et internationales encadrant la recherche publique et privée, en particulier dans le domaine des essais cliniques ». « Il sera attendu, après la crise, que ces pratiques soient évaluées et elles seront jugées à l’aulne des réglementations préexistantes à la pandémie, ajoutait-il. Il n’existe aucune dérogation aux réglementations en vigueur. »2
Quelques heures avant la visite du Président de la République française, le Pr Raoult répliquait via une vidéo, évoquant une nouvelle publication à venir, de taille, sur ses travaux. Dans l’après-midi, il communiquait de vive voix ses résultats au Président et les pré-publiait sur son site : Early treatment of 1061 COVID-19 patients with hydroxychloroquine and azithromycin, Marseille, France. « La première version de notre article sur les 1061 patients qui ont été traités entièrement par hydroxychloroquine et azithromycine est terminée, expliquait-il. Vous verrez dans les résultats que la mortalité est de l’ordre de 0,5 % et que le taux de guérison est extrêmement élevé. Ce traitement a déjà été utilisé par d’autres services de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Marseille, avec des résultats comparables, indépendamment de notre équipe. Nous mettons en pré-publication le résumé de cet article en anglais et un tableau qui résume l’ensemble de nos données pour que ceci puisse servir éventuellement à des décisions politiques ».
Les observateurs notaient que le problème de fond demeurait : comme les précédentes, cette nouvelle étude marseillaises nourrirait les mêmes critiques que les précédentes du fait de différents biais dont un est majeur : l’absence de « groupe contrôle ». Toujours le même dilemme. Non, le Pr Raoult n’a donc nullement prouvé ce qu’il affirme depuis désormais plusieurs semaines. Non, ses données ne disent pas non plus que la chloroquine n’a aucun effet. Mais il fallait aussi compter, désormais, avec une autre dimension, politique.
On faisait valoir, au Palais de l’Elysée, que la visite d’Emmanuel Macron chez le Pr Didier Raoult n’avait nullement pour objectif de « légitimer » la proposition thérapeutique de ce dernier. Voilà qui est heureux songèrent alors ceux qui gardent en mémoire les précédents qui voyait un tout-puissant pouvoir exécutif valider, ou pas, les résultats scientifiques des savants du régime. Non, dans la France de ce mois d’avril 2020 la visite du chef de l’Etat n’avait qu’un seul but affiché : démontrer à tous que le Président de la République s’intéresse et se documente sur ce que font les chercheurs de France.
Qui pouvait, de fait, reprocher à Emmanuel Macron de se passionner pour ce sujet ? Comment, non plus, ne pas observer et mesurer tous les dangers d’un tel mélange entre le politique et le médico-scientifique ; un mélange entre une évaluation raisonnée des bénéfices thérapeutiques et l’urgence des décisions politiques en période de crise épidémique majeure.
« Je suis convaincu que c’est un grand scientifique, et je suis passionné par ce qu’il dit, et ce qu’il explique ». emmanuel macron
Au-delà des éléments de langage de l’Elysée, la réalité est que cette visite présidentielle aura eu pour effet, dans l’opinion publique française, de cautionner le traitement non scientifiquement validé et pourtant préconisé haut et fort par le Pr Raoult – comme par toutes les personnalités qui chantent ses louanges. Et ce dans une France soudain partagée en deux sur un sujet dont elle ignorait tout il y a quelques semaines. Avec le risque, en cautionnant ce traitement, d’augmenter tous ceux que le gouvernement avait, précisément, cherché à prévenir ces dernières semaines – à commencer par celui des dangers majeurs inhérents à l’automédication.
Vint ensuite, au lendemain de la visite présidentielle la déclaration de la multinationale pharmaceutique française Sanofi sur son hydroxychloroquine.3 La firme expliquait avoir « d’ores et déjà commencé à distribuer ce médicament aux autorités qui en ont fait la demande ». « Face à l’urgence sanitaire mondiale, Sanofi se tient prêt à venir en aide au plus grand nombre de pays possible, à commencer par ceux où son médicament est approuvé dans ses indications actuelles, de même que les pays où il n’existe pas de fournisseurs d’hydroxychloroquine ou ayant des situations précaires, » soulignait-elle.
Sanofi précisait avoir reçu, depuis le début de l’épidémie de Covid-19, « un nombre croissant de demandes émanant de gouvernements du monde entier ». La firme expliquait aussi que sa priorité « est également d’assurer une bonne continuité dans l’approvisionnement du médicament et de permettre aux patients traités dans les indications actuellement approuvées (lupus, polyarthrite rhumatoïde, etc.) de poursuivre leur traitement ». Pour autant elle tenait à faire savoir qu’elle mettait tout en œuvre pour approvisionner les gouvernements qui souhaitent constituer des stocks. Et ce « dans l’espoir que l’hydroxychloroquine s’avère efficace dans le traitement du COVID-19 ».
« Sanofi continuera de faire don du médicament aux gouvernements et aux hôpitaux si les études cliniques en cours sont concluantes » ajoutait encore la firme qui précisait « avoir déjà doublé sa capacité de production additionnelle grâce à la mobilisation de ses huit usines d’hydroxychloroquine à travers le monde. Et elle « prévoit de la quadrupler d’ici l’été ». Avant d’ajoute que « les preuves cliniques actuelles sont insuffisantes pour tirer une quelconque conclusion sur l’efficacité clinique ou la sécurité d’emploi de l’hydroxychloroquine dans la prise en charge de l’infection Covid-19 ».
On croyait en avoir fini avec le politique. C’était sans compter, une nouvelle fois, avec le Président de la République française qui, dans un long entretien à Radio France Internationale4 est revenu sur ses rapports avec le Pr Raoult. « J’attire l’attention de nos auditeurs, prévenait-il. Nous n’avons aujourd’hui aucun traitement reconnu. Moi, mon rôle, et ce que j’ai fait en me rendant chez le Pr Raoult, c’est de m’assurer que ce sur quoi il travaille, et c’est vraiment une de nos plus grandes sommités en la matière, rentrait bien dans le cadre d’un protocole d’essai clinique, qu’on pouvait aller vite pour s’assurer, en tout cas regarder, avec des méthodes qui doivent être simples mais rigoureuses, si ça marchait ou ne marchait pas. »
« Donc en trois heures de présence auprès de lui, vous n’êtes pas sorti entièrement convaincu » observe le journaliste. Réponse : « Ce n’est pas une question de croyance ! C’est une question de scientifiques. Je suis convaincu que c’est un grand scientifique, et je suis passionné par ce qu’il dit, et ce qu’il explique. En effet, il nous invite à être humbles, parce que lui-même dit que les choses peuvent varier selon les saisons et les géographies, et qu’un virus réagit selon les écosystèmes. »
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