L’actuelle pandémie de COVID-19 est à l’origine d’une crise sanitaire mondiale sans précédent. La vulnérabilité des femmes enceintes aux infections ainsi que l’expérience des précédentes épidémies de coronavirus ont fait naître des interrogations quant aux risques de complications materno-fœtales. La rapidité avec laquelle l’infection a progressé, ainsi que l’incertitude de son impact sur la grossesse due à l’absence de données scientifiques solides a forcé les obstétriciens à adapter leur pratique en se basant sur des attitudes pragmatiques. Cet article revoit la prise en charge obstétricale des patientes infectées par SARS-CoV-2 sur la base des connaissances actuelles.
En décembre 2019, les premiers cas de pneumonie dues à un nouveau coronavirus, le SARS-CoV-2 ont été décrits en Chine. Début mars 2020 cette maladie, désormais appelé COVID-19, a été déclarée pandémique par l’OMS. Début avril 2020 plus d’un million de cas ont été objectivés à travers le monde causant plus de 50 000 décès, majoritairement en Europe.
Les changements immunologiques et cardiopulmonaires physiologiques de la grossesse rendent les femmes enceintes plus vulnérables aux complications infectieuses et aux pathologies respiratoires. Des taux importants de complications maternelles, comprenant les admissions aux soins intensifs, la nécessité d’une ventilation mécanique et décès, ont été observées lors des précédentes épidémies de SARS-CoV et MERS-CoV. À ce jour, les données disponibles liés à une infection par SARS-CoV-2 sont rassurantes et n’indiquent pas des taux d’infection plus élevés ni de risque majoré de complications chez la femme enceinte par rapport à la population générale.1,2 Quelques rares cas de décès maternel (données non publiées) existent, mais sont souvent associés à d’autres pathologies, particulièrement la prééclampsie.
À ce jour, il n’y a pas de transmission materno-fœtale du COVID-19 décrite dans la littérature.2 Les quelques cas publiés de nouveau-nés positifs sont en lien avec des prélèvements effectués des heures après la naissance. Deux études prétendent prouver une transmission verticale par la présence d’IgM dans le sang néonatal, dont on sait que la spécificité est mauvaise.3,4 Cette information est corroborée par l’absence de virus sur des échantillons de liquide amniotique, du sang de cordon et frottis du nouveau-né. Ces données rassurantes concernent majoritairement des cas d’infection lors du 3e trimestre de grossesse. Les informations sur les patientes exposées au 1er et 2e trimestre ne sont actuellement pas disponibles.
Le potentiel tératogène semble peu probable. Par contre, par analogie au SARS ou au MERS, l’infection à SARS-CoV-2 pourrait augmenter le risque de retards de croissance. En l’absence de données disponible, un suivi de croissance en deuxième partie de grossesse est recommandé.5 Les données d’une série de cas de 41 patientes atteintes de COVID-19 rapportent 7 % de pertes périnatales (2/41) et un taux de prématurité < 37 SA de 41 % (IC 95 %: 25,6-57,6). Les indications à l’accouchement n’ont pas été clairement spécifiées, mais on peut supposer qu’un grand nombre ait été d’origine iatrogène en raison de l’état de santé maternel et non pour raisons fœtales.6 À noter que ces données proviennent uniquement de patientes hospitalisées et donc a priori plus sévèrement atteintes. Elles n’incluent pas les patientes peu ou pas symptomatiques ayant bénéficié d’une prise en charge extrahospitalière.
Les mesures de prévention primaire éditées par l’OFSP contre l’infection et la transmission du virus, telles que l’éloignement social et l’hygiène des mains pour la population générale, s’appliquent plus particulièrement encore aux femmes enceinte.7
Les signes cliniques d’une infection à SARS-CoV-2 (état fébrile, toux, dyspnée, myalgies, anosmie et agueusie) sont les mêmes que chez les patientes non enceintes, bien que la fièvre semble moins présente que dans la population générale. Un test de dépistage par frottis nasopharyngé est indiqué chez les patientes symptomatiques afin d’optimiser le suivi de la grossesse. D’un point de vue biologique, on observe fréquemment, une augmentation des protéines de l’inflammation, une lymphopénie et une thrombopénie. Bien que des examens radiologiques (CT thoracique) ne soient pas nécessaires pour le diagnostic, ils peuvent être nécessaires pour guider le degré de prise en charge et ne doivent jamais être écartés en raison de la grossesse. L’évaluation de l’état clinique, le besoin de soins hospitaliers voire la nécessité d’une admission dans une unité de soins intensifs peuvent être évalués à l’aide de scores cliniques tels que le omSOFA, dont les valeurs ont été adaptées à une population obstétricale.8,9
D’une manière générale, différentes sociétés savantes ont publié des recommandations concernant la prise en charge des patientes obstétricales malades du COVID-19 qu’il s’agit d’appliquer en fonction de la capacité d’accueil et des possibilités techniques de chaque établissement de soins.10-12
Hors pathologie obstétricale, la prise en charge des patientes atteintes de COVID-19 ne diffère pas du reste de la population. Les patientes paucisymptomatiques peuvent être suivies de manière ambulatoire. Au sein du CHUV, des contrôles téléphoniques (à J2, J7 et J14) leur sont actuellement proposés afin d’assurer la continuité du suivi durant cette période. Pour d’autres, plus sévèrement atteintes, une hospitalisation ou une prise en charge en médecine intensive peut s’avérer nécessaire.
Les données sur l’impact d’une corticothérapie anténatale sur l’évolution de la maladie maternelle ne sont pas disponibles. Cependant, toutes les sociétés savantes recommandent d’effectuer une maturation pulmonaire avant 34 semaines en cas d’accouchement imminent (dans les 48 heures). La patiente devrait alors être transférée dans un centre permettant une prise en charge du nouveau-né adapté à l’âge gestationnel. En revanche, toutes les maturations pulmonaires prophylactiques devraient être abandonnées.
La nécessité d’un traitement anticoagulant fait débat, mais les données non publiées rapportant de hauts taux de complications thromboemboliques ont motivé dans notre institution l’introduction d’une prophylaxie systématique chez toute patiente enceinte hospitalisée avec une infection prouvée à SARS-CoV-2.
Plusieurs molécules sont actuellement en cours d’évaluation clinique. Bien que la revue des bénéfices de ces traitements dépasse le spectre de cet article, il est important de noter que les médicaments couramment utilisés au sein du CHUV (chloroquine, azithromycine, remdésivir et lopinavir/ritonavir), présentent un profil pharmacologique rassurant durant la grossesse, sans effets tératogènes connus.13,14
En principe, le mode d’accouchement ne devrait pas être influencé par la présence d’une infection à SARS-CoV-2, mais guidé par les indications obstétricales habituelles. Bien entendu, en toute circonstance, il convient de considérer l’état clinique de la patiente. Une dyspnée ou dépression respiratoire peuvent compromettre les efforts expulsifs et motiver une courte phase de poussées actives. Chez les patientes en état plus critiques, chez qui il y a nécessité d’une extraction rapide, un accouchement par césarienne peut être indiqué. En cours de travail, une surveillance du rythme cardiaque fœtal et de l’état hémodynamique maternel (y compris saturation) doit être constante.
Du point de l’antalgie, une anesthésie péridurale devrait être favorisée afin de diminuer le risque d’intubation lié à une anesthésie générale en cas de césarienne en urgence. Devant le risque de thrombopénie, un contrôle plaquettaire doit être systématique à l’entrée en salle de travail. En raison du risque de contamination par aérosols, le protoxyde d’azote ne doit pas être utilisé. Enfin, en raison de son profil pharmacologique plus sûr du point de vue respiratoire, nous recommandons l’utilisation de la Nalbuphine plutôt que de la Péthidine.
Évidemment, des précautions particulières doivent être appliquées au sein du personnel soignant. D’une part, il s’agit de minimiser le nombre de personnes en contact avec une patiente infectée. D’autre part, le port de matériel de protection tel que blouses et masques doit être systématique. Dans notre institution, nous préconisons des mesures additionnelles par port de masques ultrafiltrants (FFP2) et de lunettes lors de l’accouchement même, en raison du risque d’aérosolisation.
L’allaitement présente d’importants effets bénéfiques pour le développement du nouveau-né et du lien mère-enfant. À ce jour, aucun cas de transmission lié à cette pratique n’a été décrit et le virus n’a pas été retrouvé dans le lait maternel.2 Une infection à SARS-CoV-2 ne représente a priori pas une contre-indication à l’allaitement si les précautions d’usage préconisées lors du soin au nouveau-né, tels que le lavage des mains, désinfection du sein et port du masque sont respectées.
À noter qu’afin de limiter le risque de propagation, les maternités romandes ont pris au sein de leurs institutions des mesures tels que le confinement des patientes infectées dans des unités séparées ou la limitation des visites, partenaire compris. Un retour à domicile rapide est également préconisé. Quoique bien acceptées par les patientes, ces directives devraient idéalement être discutées au préalable avec le médecin traitant.
Lors de la pandémie de COVID-19, le monde médical s’est retrouvé face à une situation nouvelle et un défi jusque-là jamais rencontré. Les recommandations sur la prise en charge des patientes obstétricales infectées par le SARS-CoV-2 sont sujettes à de constantes modifications et adaptations, et function des données scientifiques nouvelles. À l’avenir, le regroupement de données dans un registre international devrait permettre de mieux identifier les risques obstétricaux liés au COVID-19.15
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article
L’actuelle pandémie de COVID-19 est à l’origine d’une crise sanitaire mondiale sans précédent. La vulnérabilité des femmes enceintes aux infections ainsi que l’expérience des précédentes épidémies de coronavirus ont fait naître des interrogations quant aux risques de complications materno-fœtales. La rapidité avec laquelle l’infection a progressé, ainsi que l’incertitude de son impact sur la grossesse due à l’absence de données scientifiques solides a forcé les obstétriciens à adapter leur pratique en se basant sur des attitudes pragmatiques. Cet article revoit la prise en charge obstétricale des patientes infectées par SARS-CoV-2 sur la base des connaissances actuelles.
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